Les plans de vigilance «ne sont pas à la hauteur des enjeux», estime D. Potier

Les plans de vigilance «ne sont pas à la hauteur des enjeux», estime D. Potier

30.01.2019

Gestion d'entreprise

Pour la deuxième année consécutive, les entreprises françaises s’apprêtent à publier leur plan de vigilance. Trois questions au député socialiste Dominique Potier, rapporteur de la loi sur le devoir de vigilance à l’Assemblée nationale, sur l’exercice 2018.

La loi sur le devoir de vigilance a été adoptée en mars 2017. Les premières preuves de sa mise en application ont pu être observées dans les rapports annuels publiés en 2018 par les grands groupes. Premier point avec Dominique Potier (PS ; Meurthe-et-Moselle)

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Quel bilan tirez-vous de l’exercice 2018 au regard des objectifs et de l’esprit de la loi ?

Je pense, tout d’abord, qu’il y a eu un manque d’anticipation de la part d’une partie des entreprises, qui ont longtemps espéré que cette loi serait remise en cause politiquement. Mais après l’alternance, en 2017, grâce à la mobilisation des parlementaires, des syndicats de salariés et des ONG, le nouvel exécutif a confirmé la mise en œuvre de la loi. En raison de cette phase d’incertitude, les entreprises n’ont pas du tout anticipé : elles ont attendu le caractère définitif et obligatoire de la loi pour se mettre en route.

Reste que la très grande majorité des 200 entreprises concernées ont élaboré un plan de vigilance, et ça, c’est un point positif. Ces derniers ne sont toutefois pas à la hauteur des enjeux. Les parties prenantes - syndicats, ONG, collectivités territoriales concernées, etc. - n’ont pas été assez associées à ce travail. Ces plans de vigilance ont été fabriqués en interne, dans les directions RSE, et trop souvent à la périphérie des organes de décision centraux des entreprises. Et ça, ce sont de véritables carences.

Par ailleurs, on observe une certaine ambiguïté en termes d’évaluation du risque juridique de la part des entreprises : la peur de s’exposer - en dévoilant leur cartographie des risques et les moyens de prévention et d’atténuation mis en œuvre - les conduit à limiter le niveau de leur engagement. Elles ne savent pas trop sur quel pied danser. Or, il faut qu’elles comprennent qu’il y a moins de risque à dire la vérité qu’à l’occulter. Je voudrais qu’on parvienne à corriger cette erreur d’appréciation en 2019.

Enfin, en ce qui concerne la poignée d’entreprises qui n’ont pas rempli leurs obligations en la matière, j’estime qu’il n’y a pas de bonne raison de ne pas avoir respecté la loi et qu’il faut en tirer des conclusions. Si l’absence de plan de vigilance est par nature sanctionnable, je serais en revanche plus tolérant sur l’imperfection de ces documents car je pense que l’on est en phase d’apprentissage et que l’on doit être dans une logique d’amélioration continue en 2019. Je vais également réitérer ma demande au gouvernement pour que soit publiée la liste des entreprises soumises aux obligations relatives au devoir de vigilance, et j’ai d’ores et déjà demandé, en ma qualité de rapporteur, qu’une évaluation de la loi soit faite en 2020.

Que répondez-vous aux entreprises qui se plaignent de la multiplication, de la complexité et de l’empilement des normes et obligations dans le domaine de la RSE ?

On m’a effectivement fait part d’un empilement de normes et obligations issus de directives européennes sur le reporting et la RSE qui parfois s’imbriquent mal. Je suis prêt à ce que l’on réfléchisse à une meilleure articulation et complémentarité de ces différents documents, dans une logique de plus grande clarté et de simplification, sans amenuiser le devoir de vigilance. C’est un vaste chantier, j’y suis favorable, et j’ai dit et redit aux syndicats patronaux ma disponibilité en tant que parlementaire à chercher des voies et des solutions collectivement. Il faut mettre tous ces documents sur la table et travailler ensemble pour faire en sorte qu’ils soient plus faciles à écrire pour les entreprises et plus faciles à lire pour la société civile.

Dans vos vœux pour 2019, vous livrez un plaidoyer pour que le devoir de vigilance fasse l’objet d’une directive européenne. Où en est-on sur ce terrain ?

L’Europe doit faire du devoir de vigilance l’un des quatre ou cinq items qui distinguent les entreprises européennes du capitalisme d’État asiatique et du néolibéralisme anglo-saxon dans ses formes les plus brutales. Quatre ou cinq États membres y réfléchissent actuellement, dont l’Allemagne. L’idée est que l’adoption d’un certain nombre de législations nationales permettent de constituer un groupe pionnier en Europe. J’y crois vraiment. Je suis déjà intervenu plusieurs fois au Parlement européen sur ce sujet, mais les rapports de force et l’ambiance actuelle à l’échelle européenne ne sont pas très favorables.

propos recueillis par Miren Lartigue
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