Les PSE sous haute surveillance

Les PSE sous haute surveillance

02.02.2025

Gestion du personnel

Audition des dirigeants devant l’Assemblée nationale, contrôle renforcé des Dreets, recherche d’activités alternatives par les organisations syndicales… Face à la poussée des plans sociaux, tous les acteurs, députés, administrations, syndicats, s’activent sur le front de l’emploi en suivant de près ces plans de sauvegarde pour l’emploi. Mais l’action de ces vigies sera-t-elle suffisante, sans impulsion de l’Etat, pour stopper l’hémorragie de procédures collectives ?

Ce jeudi 22 janvier, Guillaume Darrasse, le président d’Auchan France et DG d’Auchan Retail, était auditionné par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, présidée par la députée LFI Aurélie Trouvé. Au cœur des discussions, le plan de sauvegarde pour l’emploi qui touche 2 400 salariés en France, la question des aides publiques et l’activité partielle de longue durée, "des sommes assez substantielles", mais surtout les conditions de départ proposées aux salariés licenciés. Pourront-ils être reclassés au sein de la galaxie Mulliez, qui comprend notamment Boulanger, Décathlon, Leroy-Merlin, Norauto, qui n’est pas considérée comme un groupe au sens juridique, échappant de facto à l’obligation de reclassement au sein de ce périmètre ? Les différentes enseignes, regroupées au sein de l’Association familiale Mulliez (AFM), une appellation "sans réalité juridique", selon un porte-parole, sont juridiquement indépendantes les unes des autres. 

Sans dévoiler les négociations en cours avec les partenaires sociaux, Guillaume Darrasse a tenté de rassurer sur ses intentions, en indiquant qu’il travaillait à "proposer des solutions dans les autres enseignes du groupe". "Ce n’est pas mécanique et automatique au sens juridique du terme mais nous le faisons, nous avons des solutions digitales internes où tous les postes sont accessibles à l’ensemble des collaborateurs". 

Guillaume Darrasse n’est pas le seul chef d’entreprise à devoir rendre des comptes devant les députés.

Avant lui, les dirigeants de Stellantis, de Michelin, de Lactalis, de Sanofi, de Michelin, d’Arcelor-Mittal ont dû expliquer leur stratégie, devant cette même commission, pour convaincre du bien-fondé de leurs choix, qui ont des implications considérables sur l’économie et l’emploi du pays.

Des licenciements à "bas bruit"

De quoi faire monter la pression et donner des sueurs froides aux dirigeants. Car, avec le retour depuis l’automne, des plans sociaux, la vigilance est de mise :  Auchan, Dumarey Powerglide, Flunch, Cora, Arkema, Michelin… Toutes ces entreprises ont annoncé des plans de restructuration d'ampleur. Le ministère du travail a recensé, début janvier, 141 plans de sauvegarde de l'emploi prévoyant 23 841 suppressions de postes au troisième trimestre 2024.

Ce niveau n'avait jamais été atteint depuis la fin de la crise sanitaire. "Et c’est sans compter les suppressions d’emploi qui se déroulent à bas bruit, au sein des TPE et des PME", insiste Michel Ghetti, président-directeur général de France Industrie & Emploi (FIE). Avec à la clef, "la suppression d’emplois qualifiés, susceptible d’entraîner une paupérisation des qualifications".

Tout cela contribue à ce qu’ont confirmé les dernières statistiques publiées par la Dares, selon lesquelles le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 4 % au dernier trimestre, soit 3,7 % sur un an.

La CGT parle d’une véritable "saignée sur le plan industriel". L’Union des entreprises de proximité (U2P) a alerté, de son côté, sur la perte de 1 500 emplois chaque semaine dans les TPE. L’inquiétude gagne aussi l’ANDRH, qui révélait en novembre dernier, que plus de la moitié des entreprises sondées dans leur enquête prévoyaient une diminution du nombre de postes.

Le gouvernement ne le cache pas : "les conditions économiques se durcissent sensiblement, avec une accélération du nombre de procédures collectives ouvertes par les entreprises en difficulté", avait déclaré Astrid Panosyan-Bouvet, la ministre du travail, en début d’année. Marc Ferracci, le ministre de l’industrie, partage ce pessimisme : "des milliers d’emplois sont en danger", a-t-il déploré fin 2024.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Des marges de manœuvre limitées

Reste que les marges de manœuvre du gouvernement sont limitées. En l’absence de majorité au Parlement, l’exécutif ne prévoit pas de réformes d’ampleur. L’urgence consiste donc à limiter la casse sociale. Parmi les projets figure ainsi la réactivation du dispositif d’activité partielle longue durée sous la forme d’une APLD rebond, un mécanisme plus favorable que l’activité partielle de droit commun qui vise à maintenir l'emploi des salariés des entreprises menacées par d’importants risques de restructuration. Ce dispositif est actuellement en discussion dans le cadre du PLF pour 2025. Mais quelle que soit l’issue du vote, "ce dispositif arrive évidemment trop tard, pointe Michel Ghetti. Il ne sera d’aucun effet".

Le rôle central des Dreets

Pas plus que les mesures mises en place par les ordonnances Macron de 2017 qui ont, par exemple, instauré les ruptures conventionnelles collectives ou les accords de performance collective, des dispositifs considérés comme des alternatives au licenciement économique. "Nous ne sommes pas dans cette configuration, assure Frédéric Géa, professeur de droit privé à la Faculté de droit, sciences économiques et gestion de Nancy. Les projets actuels sont bel et bien des projets de licenciements collectifs, le cas échéant des plans de départs volontaires, et ils donnent lieu à des PSE. Or, de ce point de vue, et avec le recul, la réforme de 2017 n’a pas, à mon avis, entraîné les bouleversements que certains tiennent pour responsables des ruptures envisagées".

Résultat? "Le seul levier qui existe est celui de l’administration qui peut peser sur ces processus, en vertu de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 qui a conféré à l’autorité administrative (hier les Direccte, aujourd’hui les Dreets - Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) un rôle majeur au stade de l’élaboration du PSE". Soit en validant l’accord négocié avec les partenaires sociaux, soit en homologuant un document unilatéral établi par l’employeur.

Comme par le passé, l’administration, chargée du contrôle de la procédure, est donc en première ligne. Certes, ses moyens ne vont pas brusquement augmenter. "Mais on sent une administration mobilisée, très vigilante", confirme cet observateur social. Les mesures d’âge, qui mettent à l’écart les salariés âgés de plus de 55 ans, sont-elles trop importantes ? Le plan de reclassement est-il suffisamment étoffé ? Quel est son périmètre géographique ? "L’administration, et ce n’est pas nouveau, encourage la négociation du PSE, tente de peser sur celle-ci, et elle veille à ce que les PSE mettent l’accent sur le reclassement, interne comme externe, y compris d’un secteur d’activité à un autre. Bref, elle fait ce qu’elle peut pour exercer son pouvoir d’influence, qui, depuis la loi du 14 juin 2013, s’est considérablement renforcé".

Un avertissement de taille pour les DRH.

Des PSE retoqués et retravaillés

Face à de telles critiques, l’employeur ne doit évidemment pas rester les bras croisés et se remettre rapidement à l’ouvrage. Flunch s’est ainsi vue contrainte de retravailler son plan de sauvegarde, présenté de manière unilatérale, en décembre et qui porte sur 85 à 90 emplois. L’enseigne a, en effet, été rappelée à l’ordre par la direction régionale du travail de Ile-de-France, en décembre dernier. "L'administration a estimé qu'elle pourrait prendre des mesures plus favorables pour les salariés compte tenu des moyens du groupe, Flunch étant Mulliez", explique Angeline Bruneau, secrétaire générale adjointe de la FGTA-FO (Fédération générale des travailleurs de l'alimentation, des tabacs et des services annexes).

Le PSE de Dumarey Powerglide, l’équipementier strasbourgeois, qui prévoit 248 suppressions d’emplois (sur 584), était, lui aussi, dans le viseur de la Dreets. Car si les syndicats avaient négocié des indemnités légales et supra légales, de l’ordre de 20 650 à 50 650 euros selon l’ancienneté dans l’entreprise, ils n'avaient pas donné leur aval au PSE. La première version du document unilatéral n’avait pas non plus convaincu la Dreets ; celle-ci a demandé des compléments d'information, dans deux lettres d'observation, en décembre et en janvier, notamment sur les catégories professionnelles visées par le PSE. L'entreprise a ainsi dû transmettre l'intégralité des fiches d'emploi pour justifier la méthode employée pour distinguer chacune de ces catégories et démontrer ainsi que le "découpage opéré ne [relevait] pas d'une intention de ciblage au regard d'un motif inhérent à la personne ou en raison de l'affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée". Cette nouvelle copie plus étoffée lui a finalement permis d'obtenir le feu vert de l'administration du travail, le 29 janvier. 

Les syndicats également à l'offensive

Mais les Dreets ne sont pas les seules vigies. D’autres acteurs interviennent. Chacun à sa manière et selon ses propres méthodes. Les syndicats ne cachent pas leur détermination pour endiguer l’hémorragie. Ils ont tous demandé des rencontres pour l’emploi, à François Bayrou, à l’occasion des discussions bilatérales qui se sont déroulées à Matignon début janvier. Sur le terrain, ils sont aussi à l’offensive. Philippe Wattebled, délégué CFDT de Valeo, se bat actuellement pour limiter le nombre de suppressions d’emplois, fixé jusqu’ici à 1230. 

Une stratégie qui peut s’avérer payante selon Frédéric Géa : "il y a une telle instabilité économique que les ajustements sont fréquents. Le nombre de ruptures envisagées peut significativement évoluer entre le début et la fin de la procédure. Ces ajustements, relatifs par exemple au nombre d’emplois supprimés ou aux catégories professionnelles concernées, sont parfois même envisagés postérieurement à la décision d’homologation ou de validation. Ce qui montre une vraie fragilité des entreprises". Un élément "troublant", selon cet expert.

Chez Thales Alenia Space (TAS), les syndicats sont aussi à la manœuvre. Leur théâtre d’opération ? L’activation de l’accord de gestion active de l’emploi (GAE), négocié en 2019, puis renouvelé en 2024, qui prévoit la possibilité de suspendre les licenciements durant une période pendant laquelle les syndicats peuvent saisir la commission centrale d’anticipation, composée des organisations syndicales, de la DRH mais aussi du directeur juridique, du directeur de la recherche et développement, pour présenter des propositions alternatives, nouvelles activités industrielles, projets de diversification… Un accord "quasi-unique", se félicite Grégory Lewandowski, coordinateur CGT. Qui compte bien mettre à profit ce laps de temps pour éviter la suppression programmée de 980 emplois. Ce mécanisme a d’ailleurs fait ses preuves en 2023 : le site de Pont-Audemer (Eure) a transformé sa production de cartes SIM et EcoSIM, en berne, en un site de production et d’assemblage de cartes électroniques à haute valeur ajoutée pour l’aviation civile et militaire. Sans passer par la case licenciements. Mais avec un accompagnement en formation des 300 salariés concernés mené par l’opérateur de compétences du secteur, l’Opco 2I, de Normandie.

Recours judiciaires

A défaut de solutions, une autre voie existe, celle des recours judiciaires. C’est la démarche entreprise par le CSE de la Mutualité française qui a obtenu, le 26 novembre, de la cour administrative d'appel de Paris l'annulation de l'homologation du PSE portant sur 80 emplois. Les syndicats et élus du comité social et économique (CSE) se sont réjouis, dans un communiqué, de cette décision :

"Les élus du CSE n’ont cessé de rappeler à la gouvernance de la Fédération que la constitution des catégories professionnelles, au-delà du fait qu’elle a été instrumentalisée pour viser des salariés en particulier, ne répondait en rien aux exigences légales. L’arrêt de la cour valide cette position".

"Les conséquences de la réorganisation sur les risques psycho-sociaux n’avaient, en outre, pas été sérieusement prises en compte par la direction, comme en témoigne la souffrance au travail exprimée aujourd’hui par la plupart des « survivants » du plan social".

Pour mémoire, le PSE, enclenché en février 2023, prévoyait le licenciement d’un tiers de l’effectif alors que 80 % des missions de la Mutualité restaient identiques.

La décision de la cour administrative d’appel devrait donner aux salariés des voies de recours supplémentaires. Et constituer un nouveau casse-tête pour le DRH…

 

Anne Bariet
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