Alors que l’exécutif prévoit d’allonger l’âge de départ à la retraite à 64 ou 65 ans, Françoise de Saint-Sernin, avocate au sein du cabinet éponyme, alerte sur le risque de paupérisation des seniors, exclus de l'emploi qui se retrouvent majoritairement dans le "halo autour du chômage". Ce phénomène touche plus de deux millions de personnes dont de nombreux cadres.
La réforme des retraites pose le problème crucial de l’emploi des seniors. Quel est le retour de vos clients ? Que constatez-vous ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

D’une façon générale, les seniors sont discriminés en France. La première cause est culturelle. L’entreprise, notamment les grands groupes, ne veut pas des seniors. Elle part du principe qu’un salarié expérimenté est trop cher au regard de la performance fournie. De ce fait, elle est déterminée à s’en séparer dès qu’il franchit un anniversaire fatidique, 50-55-60 ans.
Conséquence ? Elle n’investit ni dans sa formation, ni dans son adaptation, préférant recruter un collaborateur plus jeune et donc "forcément" plus compétent et de surcroît, moins cher. Ils quittent donc prématurément leur emploi, en moyenne cinq à six ans avant les seniors des autres pays européens. Et même si l’emploi de cette tranche d’âge a progressé ces dernières années en raison de la disparition des préretraites et du recul de l’âge de départ, le décrochage avec les autres pays de l’Union européenne reste le même. En Allemagne, par exemple, le taux d’emploi des seniors est deux fois plus élevé qu’en France. Les salariés âgés quittent en moyenne la vie professionnelle à 67 ans, sans passer par la case chômage. Les syndicats allemands ont imposé la formation professionnelle tout au long de la carrière, contrairement aux partenaires sociaux français qui n’ont pas les mêmes contre-pouvoirs.
Vous dénoncez la paupérisation des seniors. Pourquoi ?

La Cour des comptes a alerté, dès 2019, sur ce phénomène. Les seniors licenciés à 57, 58 ans ont épuisé leurs droits à l’allocation chômage (trois ans d’indemnisation au plus) avant de pouvoir prendre leur retraite. Ils passent donc par la case "halo autour du chômage". Ils vivent pendant deux à trois ans sur leurs économies, faute de pouvoir prendre leur retraite à taux plein. La décote serait trop importante s’ils partaient sans avoir le nombre de trimestres requis. Cette paupérisation touche plus de deux millions de personnes dont de nombreux cadres.
Aussi le report de l’âge de départ légal à la retraite, à 64 ans ou 65 ans, prolongerait de facto cette situation de pauvreté qui pourrait s’étirer non plus sur deux à trois ans, mais sur quatre à cinq ans.
En parallèle, l’Institut Montaigne propose la suppression des "préretraites Unedic", dénonçant un "effet pervers" similaire au système des préretraites aidées…

La "préretraite Unedic" invoquée par l’Institut Montaigne, est en réalité le "statut du salarié âgé". Le salarié qui est encore en cours d’indemnisation chômage à 62 ans, ce qui suppose qu’il a été licencié et qu’il s’est inscrit à Pôle emploi à 59 ans (trois ans d’indemnisation) conserve le bénéfice des indemnités chômage jusqu’à ce qu’il puisse prendre sa retraite à taux plein, et en tout état de cause à 67 ans, soit l’âge auquel le salarié peut prétendre à une retraite à taux plein même s’il n’a pas obtenu le nombre de trimestres nécessaires. Les entreprises ont donc bonne conscience quand elles se séparent des salariés âgés de 59 ans. Elles savent qu’ils seront moins pénalisés que leurs cadets.
La suppression d’un tel mécanisme aurait des conséquences extrêmement graves sur la paupérisation des seniors exclus de l’emploi.
Les syndicats proposent plusieurs pistes, Index seniors, congé de reconversion professionnelle, évolution de compte personnel de prévention (C2P). Qu’en pensez-vous ?

L’Index est une très bonne chose. À condition de prendre en compte parmi les critères le taux de formation. L’entreprise ne doit pas se désengager et reporter l’effort sur le salarié et son compte personnel de formation. Il ne s’agit pas de sous-salariés, de collaborateurs obsolètes. Pourquoi les seniors seraient-ils moins compétents, moins efficaces alors qu’ils ont de l’expérience ? Il n’y a aucune raison qu’un salarié de 61/62 ans ne soit plus profitable s’il a été formé, s’il a continué à exercer des responsabilités.
D’autant qu’ils sont moins volatils que les jeunes. De surcroît, ils veulent travailler. Ils sont investis. Les quinquas sont la génération pivot. C’est sur eux que repose la cohésion familiale et sociale puisqu’ils assument tout en même temps, la charge des parents âgés, les études des enfants, les remboursements d’emprunt immobilier. Ils quittent prématurément la vie professionnelle à une période où ils n’ont pas pu mettre encore un sou de côté. Ou se voient proposer des missions de sous-traitance, dans le cadre d’une mise à disposition avec d’autres entreprises ou via le statut d’auto-entrepreneur, ou encore du tutorat vis-à-vis de jeunes. En les écartant progressivement de leur entreprise.
Et au sein de l’entreprise, comment se manifestent les discriminations vis-à-vis des seniors ?

Elles sont de plusieurs sortes. L’attractivité des préretraites Unedic contribuent, sans conteste, au pic de départs négociés et licenciements observé à 59 ans (par exemple sur la courbe des ruptures conventionnelles) et encouragent un comportement opportuniste par rapport au chômage et aux droits à la retraite. Le salarié n’ayant pas atteint l’âge voulu devra donc être particulièrement vigilant quand l’employeur lui proposera une rupture conventionnelle de son contrat de travail.
Mais d’autres méthodes existent. Par exemple, le harcèlement moral démissionnaire qui consiste à dégrader exprès les conditions de travail d’un salarié pour provoquer son départ à moindre coût. Le salarié sera ainsi soumis à des brimades, des reproches injustifiés, des courts-circuitages, des placardisations… Les conséquences sont désastreuses car elles entraînent la déstabilisation non seulement des salariés visés mais également de tous les collègues qui sont témoins de ces procédés.
De plus, avec l’instauration du barème Macron, qui plafonne les dommages et intérêts en fonction de la seule ancienneté, les entreprises peuvent désormais se délester de leurs quinquas sans bourse délier. Car ces derniers ont généralement perdu leur ancienneté ; ils ont bougé vers la cinquantaine, soit pour évoluer plus favorablement ailleurs, soit parce que l’employeur en a décidé ainsi. En somme, leurs indemnités de rupture sont particulièrement modiques. L’employeur ne craint plus de licencier abusivement.
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