Les salariés et les représentants du personnel, les parents pauvres de l'entreprise à mission ?

Les salariés et les représentants du personnel, les parents pauvres de l'entreprise à mission ?

29.05.2019

Gestion du personnel

France Stratégie organisait le 2 mai dernier une conférence sur l'entreprise à mission. Parmi les intervenants, Emmanuelle Mazuyer, directrice de recherche CNRS en droit privé à l'université Lyon 2. Elle revient pour actuEL-RH sur les enjeux de cette réforme, notamment, pour les salariés.

D'où vient cette notion d'entreprise à mission ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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L'entreprise à mission est un concept importé en France en 2015 par une thèse de l'Ecole des Mines publiée en 2015 (*) et par le Collège des Bernardins (**). On rencontrait déjà des formes d'entreprises à mission aux Etats-Unis avec les Benefits Corporations, en Italie avec les Società Benefit, au Royaume-Uni avec les Community Interest Companies. Les fonctions sociales des entreprises se sont développées depuis la fin des années 1990, le début des années 2000 et s'inscrit dans une mouvance visant à redonner du sens à l'entreprise. Cela passe principalement par la RSE mais pas seulement. Il y aussi tout le champ de l'économie sociale et solidaire (ESS), qui a pris de l'ampleur avec la loi Hamon de 2014. Il faut d'ailleurs souligner que les entreprises de l'ESS voient les entreprises à mission de manière négative car, certaines dont les coopératives, sont soumises à des conditions strictes, alors que l'entreprise à mission repose sur le volontariat.

Avec l'entreprise à mission, on assiste à une judiciarisation de la RSE avec sa transposition statutaire. Mais tout cela reste très unilatéral car c'est la direction qui détermine la mission de l'entreprise.

Quelle place accorde la loi Pacte aux salariés dans les entreprises à mission ?

La seule occurrence "salarié" dans la loi Pacte dans les dispositions relatives aux entreprises à mission apparaît lorsqu'est évoqué le comité de suivi de mission sur le suivi à l'article L.210-10 alinéa 3 du code du commerce. Il est ainsi prévu qu'un comité de mission distinct des organes sociaux et devant comporter au moins un salarié est chargé exclusivement de ce suivi. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, les obligations sont allégées. Le comité de mission peut être remplacé par un référent de mission. Ce dernier peut être un salarié - mais pas forcément - à la condition que son contrat de travail corresponde à un emploi effectif. Par ailleurs, il faut attendre le décret d'application qui devra fixer les modalités concrètes comme par exemple les moyens financiers du comité de mission. Par exemple, on ne sait pas s'il pourra faire appel à des experts.

Il faut aussi souligner que l'entreprise à mission, comme la RSE - sous couvert de donner des droits aux salariés - peut leur imposer des obligations. En effet, ce sont principalement ces derniers qui sont chargés de mettre en oeuvre dans l'entreprise les engagements liés à la RSE. Ce sont les premiers destinataires des engagements de l'entreprise à travers les codes de bonne conduite, la mise en oeuvre des engagements contre la corruption, les discriminations ou en faveur de la diversité.

Un rôle particulier est-il attribué aux représentants du personnel ?

Si rien n'empêche l'entreprise de consulter les représentants du personnel au moment de définir la mission de l'entreprise, il est toutefois prévu qu'elle n'est soumise qu'au seul avis du comité de direction. On est donc très loin de la co-détermination à l'allemande.

Vous vous interrogez sur la place accordée au dialogue social dans le champ de ces entreprises à mission. Comment l'imaginez-vous ?

Nous n'avons pas la réponse d'autant plus que nous sommes dans une période de fusion des instances représentatives du personnel. Pour l'instant, la RSE marque plutôt une ouverture vers la société civile dans un contexte où les syndicats sont en perte de monopole. Au niveau de l'entreprise, on voit se développer des formes de démocratie directe par laquelle l'entreprise s'adresse directement aux salariés, comme par exemple avec le référendum.

Vous dénoncez aussi le risque de privatisation de l'intérêt public

On assiste avec l'entreprise à mission à une double privatisation de l'intérêt public. La RSE ouvrait déjà cette voie car l'entreprise s'engageait sur des thématiques qu'elle déterminait mais en faisant référence à des normes d'origine publique (lois, conventions internationales. Avec l'entreprise à mission, celle-ci détermine elle-même ses missions sans aucun lien avec des normes publiques mais seulement en relation avec ses propres intérêts. Elle délimite elle-même l'intérêt public dans son champ d'activité.

Aurait-il mieux valu alors renforcer encore davantage la présence des administrateurs salariés au sein des organes de direction ?

Certes, la loi Pacte augmente le nombre d'administrateurs salariés au sein des conseils d'administration. Mais ces derniers sont tenus à un devoir de confidentialité. Ils ne sont pas dans la même position que celle des représentants du personnel car ils ne peuvent pas partager d'informations avec leurs collègues. Le fait qu'ils soient plus nombreux pourrait peut-être leur permettre d'en discuter au moins ensemble.

Que risque l'entreprise qui ne respecte pas la mission inscrite dans ses statuts ?

En cas de non-respect de la mission mentionnée dans les statuts, l'entreprise s'expose seulement à l'obligation de supprimer cette mention statutaire. Le texte a été rédigé de manière à ce que que la responsabilité de l'entreprise ne puisse être engagée. Toutefois, rien n'empêchera "toute personne intéressée", donc un salarié ou un consommateur de démontrer que l'entreprise n'a pas respecté sa mission et d'intenter une action en responsabilité.

 

(*) "Les entreprises à mission : formes, modèle et implications d'un engagement collectif", de Kevin Levillain.

(**) Programme de recherche 2015-2018 "Gouvernement de l'entreprise et création de commun".

Florence Mehrez
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