"Les salariés ne voudront plus travailler dans des lieux où leur bien-être est menacé"

"Les salariés ne voudront plus travailler dans des lieux où leur bien-être est menacé"

19.10.2021

Gestion du personnel

Christophe Nguyen, psychologue du travail et président associé du cabinet Empreinte Humaine, vient de publier un ouvrage avec Jean-Pierre Brun, professeur à l'université de Laval : "Santé psychologique au travail et Covid-19" (*). A cette occasion, il répond à nos questions sur les effets de la crise sanitaire sur les relations de travail et le management.

Quels enseignements doivent tirer les entreprises de la crise sanitaire ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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La crise sanitaire a déstabilisé l’organisation de travail, le management, les fondamentaux, parfois la place du travail dans la vie des gens. Toutefois, même si la crise a pris de court les entreprises, celles qui n’ont pas fait preuve d’anticipation ont rencontré plus de difficultés en termes de dégradation de la santé au travail de leurs salariés. Dès mars 2020, des études montraient pourtant une dégradation de la santé mentale en fonction des décisions prises, notamment le télétravail imposé.

Il est donc faux de dire que ces situations de troubles psychosociaux étaient uniquement liées à des mesures imposées aux entreprises. Certaines organisations s’en sont mieux sorties car elles ont eu une démarche volontariste sur ce sujet et ont pris en compte les besoins humains. Elles avaient déjà les réflexes, les moyens, les procédures et les personnes dont c’était le rôle. Elles ont adapté leurs process, sécurisé les personnes, les ont aidées à s’exprimer sur le sujet. Elles avaient déjà dans leur culture le souci de la prise en compte des effets positifs et négatifs du travail sur la santé mentale. A commencer par un engagement de leur comité de direction.

Certaines entreprises ou certains managers ont compensé la distance par de nombreux moments festifs, qu’en pensez-vous ?

Cette "ultraconvivialité" a été nécessaire à certains moments pour conserver ce lien. Les salariés ont eu besoin de proximité, de souplesse, d’écoute. Toutefois, il faut être vigilant avec cette convivialité forcée si par ailleurs on ne traite pas les vrais sujets : la fatigue, la reconnaissance alors que les objectifs ont été maintenus. La convivialité n’est pas l’unique réponse à un problème d’isolement social que nous avons tous vécu, l’enjeu est aussi le ressourcement psychologique dans le travail. La façon dont les salariés ont été traités pendant la crise va jouer sur leur fidélité et leur sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Selon vous, les entreprises ne doivent pas se focaliser que sur le télétravail ?

Le télétravail n’est que la partie immergée de l’iceberg. Si le télétravail est plus efficace individuellement, d’un point de vue collectif il faut tenir compte du sentiment d’appartenance, de la créativité et de l’apprentissage, qui s’avèrent plus difficiles lorsqu’on travaille à distance. En prenant en compte le vécu souvent très différent des uns et des autres, il faut cartographier les tâches à faire chez soi et au bureau. L’hybridation du travail doit permettre de prendre le meilleur des deux mondes. Il va falloir renouveler la façon dont on travaille pour être efficace et, surtout, parler du travail au-delà d’un certain nombre de jours permis en télétravail.

Les entreprises doivent veiller à établir des relations saines entre les personnes qui donnent envie de revenir. On constate que malgré des investissements financiers dans de nouveaux locaux, certaines entreprises n’arrivent pas à faire revenir les salariés qui s’interrogent sur l’intérêt de revenir au travail si c’est pour faire la même chose que chez soi.

C’est donc la question du travail en lui-même qui doit être réinterrogée, celle de la redistribution des tâches, de son sens collectif et individuel et de l’équité.

La période qui s’ouvre est-elle cruciale pour les DRH ?

Oui car les attentes des salariés sont plus claires. Ils ne voudront plus travailler dans des lieux où leur bien-être est menacé. Beaucoup se sont réorganisés psychologiquement et ont remis le travail à une autre place. La politique QVT des entreprises doit suivre.

Les entreprises doivent trouver de nouveaux repères pour recréer collectif à des échelles importantes. La transformation du travail doit être une opportunité de réconcilier bien-être au travail et efficacité durable. Les entreprises doivent veiller à des liens sociaux de qualité.

Vous insistez aussi sur la rénovation des fondamentaux du management

Le développement du travail hybride nécessite des managers qui connaissent le travail réel afin d’éviter un "surcontrôle", un micromanagement et de pouvoir faire confiance aux salariés. Or, un bon technicien ne fait pas forcément un bon manager et inversement. Cela suppose donc un renouvellement des politiques de management. Les entreprises qui misaient sur les ingénieurs ou sur ses opérateurs sur le terrain doivent ouvrir une réflexion organisationnelle afin que les managers appréhendent le travail réel. On note d’ailleurs que les managers qui connaissent le travail concrètement étaient plus reconnaissants, ils anticipaient mieux, aidaient leurs équipes à prioriser plus facilement. Et créaient une dynamique collective et positive pour la santé mentale de leur équipe.

J’observe une autre tendance de fond : les salariés souhaitent de l’autonomie mais aussi une proximité du management, un accompagnement dans leur développement ; cela est encore plus nécessaire lorsque le travail se fait à distance. La valeur ajoutée du management doit être claire. Il est dès lors nécessaire de former les managers et de clarifier les attentes de l’entreprise afin de développer des pratiques saines et efficace de management. La crise a montré tout leur intérêt pour la qualité de vie au travail et le maintien des performances.

De la même manière, il va falloir revoir la taille des équipes. Il n’est plus possible pour les managers, avec l’essor du travail hybride, de diriger des équipes de 30 salariés sauf si le métier est déjà dans une logique de prestataire ou de "transaction".

 

(*) "Santé psychologique au travail et Covid-19", de Christophe Nguyen et Jean-Pierre Brun. Editions De Boeck Supérieur. 

Florence Mehrez
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