Introduit par la loi Pacte, le statut de société à mission présente une image vertueuse pour les entreprises. Prudence toutefois, car derrière cette qualité se cachent des risques et incertitudes juridiques. Emmanuel Daoud, avocat associé, et Mathilde Lacaze Masmonteil, avocate au sein du cabinet Vigo, nous explique tout.
L’introduction du statut d’entreprise à mission dans le droit français, par l’article 176 de la loi « PACTE », a impulsé un souffle nouveau dans le monde des sociétés commerciales.
La qualité de société à mission suppose préalablement une modification des statuts de la société concernée, avec l’élaboration d’une raison d’être au sens de l’article 1835 du code civil ainsi que des objectifs sociaux et environnementaux que l’entreprise doit se fixer expressément. Ce statut de société à mission est extrêmement séduisant car il confère à l’entreprise une image vertueuse. Cependant, il est générateur d’incertitudes juridiques quant aux conséquences que pourrait avoir une défaillance de la société et de ses dirigeants.
L’absence de précédents jurisprudentiels en raison de la nouveauté de ce dispositif juridique doit conduire à faire preuve de prudence et de sincérité dans la mise en œuvre de ce statut. Les articles 1843-5 du code civil, L. 225-252 et L. 225-253 du code de commerce organisent les rapports de responsabilité en interne, diligentés par la société contre les dirigeants fautifs. Ce type d’action sociale ne sera ici pas développé, et l’attention sera portée sur les droits des tiers.
Les sanctions prévues par le code de commerce en matière de société à mission ne se résument qu’au retrait de la qualification du label « société à mission » dès lors que l’entreprise agit en violation de ses objectifs (c.com, art. L. 210-11). Cette action est ouverte au Ministère public ou toute personne intéressée (dont l’identité n’est pas définie par les textes). Confrontée à la réalité de ses actions ou de ses inactions au regard de sa raison d’être, l’entreprise doit assumer le risque juridique de perdre ce statut, ou du moins adopter une raison d’être ajustée à son activité.
D’autres actions liées au droit commun des sociétés permettent aux tiers d’engager la responsabilité des dirigeants. L’article L.225-251 du code de commerce prévoit que la responsabilité des administrateurs et du directeur général peut être engagée lorsque ces derniers agissent en violation des dispositions statutaires. Ils sont responsables tant envers la société qu’envers les tiers. Les actionnaires peuvent également engager une action aux fins d’obtenir indemnisation de leur préjudice.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a modifié le code de la consommation en son article L.121-2, prévoyant que les pratiques commerciales trompeuses peuvent désormais englober les allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur « La portée des engagements de l'annonceur, notamment en matière environnementale, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ».
La publicité et la communication sur les engagements afférents à la raison d’être de l’entreprise doivent être cohérentes avec la trajectoire poursuivie par cette dernière pour prévenir toute publicité mensongère qui pourrait nuire à la bonne information des investisseurs et des consommateurs. Conformément à l’article L.121-2 précité, la raison d’être peut s’analyser comme une indication sur la portée des engagements de la société, et pourrait donc induire en erreur le consommateur.
La menace d’une telle action, devrait inviter l’entreprise à repenser sa stratégie commerciale, ou du moins à adopter une raison d’être adéquate au regard de son activité.
S’agissant du préjudice indemnisable, notamment lorsque la pratique commerciale porte sur des engagements environnementaux, la preuve de sa nature et de son étendue semble difficile à rapporter. Il s’agira très certainement d’un préjudice moral, voire également d’un préjudice pécuniaire si les victimes, notamment investisseurs, ont confié des deniers importants à l’entreprise en raison de ses engagements.
Le droit commun des contrats pourrait utilement être envisagé comme un fondement pertinent d’engagement de la responsabilité de la société pour violation de sa mission. Le Conseil d’Etat considère que l’inscription de cette raison d’être et des missions dans les statuts oblige l’entreprise à s’y conformer. Selon son interprétation, il est tout à fait envisageable que la responsabilité de l’entreprise puisse être recherchée sur le plan contractuel, sous l’angle des engagements unilatéraux.
La jurisprudence civile reconnaît depuis près de deux décennies la force obligatoire des engagements éthiques, constatant une « volonté non équivoque et délibérée de s’obliger ». Les objectifs découlant de la raison d’être traduisent une volonté de « s’obliger » en matière sociale et environnementale, cette fois envers la société dans son ensemble. Cette obligation englobe tout lien contractuel découlant des objectifs que la société s’est fixés. L’inscription dans les statuts va néanmoins plus loin qu’un engagement contractuel entre parties : en rendant publics ses engagements, l’entreprise affiche son intention vertueuse en s’obligeant elle-même à atteindre cette voie.
Conformément au droit des contrats, l’article 1217 du code civil offre un arsenal juridique au cocontractant victime de fairwashing.
Il conviendra néanmoins d’être prudent sur cette hypothèse. En matière de codes de conduite, assimilable dans une certaine mesure aux engagements pris sur la base de l’article 1835 du code civil, la Cour de cassation a pu préciser que la valeur contraignante semblait dépendre d’une rédaction précise de son contenu. Or la très grande majorité des objectifs des sociétés à mission est rédigée de manière particulièrement floue et vague.
Il faudrait par conséquent démontrer que l’acte litigieux de la société présente un caractère tel qu’il puisse être considéré comme entrant véritablement en contradiction avec la mission.
Au-delà de la responsabilité contractuelle, il n’est pas inenvisageable que la nullité du contrat soit étudiée sur le fondement de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant (c.civ., art. 1132). Il faudra, pour le cocontractant lésé, démontrer que les engagements vertueux pris sur le fondement de l’article 1835 ont été déterminants de son consentement.
Il conviendra de ne pas oublier le caractère contraignant de ses engagements induit par la rédaction de l’article 1100 du code civil en matière de RSE, disposant en son dernier alinéa que les obligations peuvent naître de « la promesse d'exécution d'un devoir de conscience envers autrui ». L’adoption du statut d’entreprise à mission peut-il s’analyser comme un devoir de conscience, envers la société dans son ensemble ? Cette supposition rend moins aisée la tâche de déterminer qui aura, ou non, intérêt à agir.
« It takes many good deeds to build a good reputation, and only one bad one to lose it ». Cette citation attribuée à Benjamin Franklin devrait être gravée au frontispice des salles des conseils d’administration de toutes les sociétés concernées pour que leurs dirigeantes et dirigeants mesurent la portée de leurs actions et omissions s’agissant du respect de leur raison d’être et de leurs objectifs sociaux et environnementaux.
La vigilance et la rigueur s’imposent pour prévenir toute action dommageable qui pourrait ternir non seulement la réputation de l’entreprise, mais aussi entraîner des conséquences civiles, commerciales, boursières et pénales très préjudiciables.
Les 1302 sociétés à mission enregistrées jusqu’à maintenant doivent désormais intégrer de nouveaux risques dans leur stratégie d’entreprise, et ne pas se reposer sur l’absence de précédents juridictionnels pour persévérer dans un business as usual qui pourrait être mortifère.
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