Les suites de la suspension en référé d'un refus de permis de construire

04.11.2016

Immobilier

Le permis de construire délivré par l'administration à l'issue du réexamen de la demande ordonné par le juge des référés est provisoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours au fond. Un tel permis peut être retiré par l'administration dans des conditions précises qui ne sont pas celles fixées par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme.

Le 7 octobre 2016, le Conseil d’État a livré un arrêt de principe définissant, pour la première fois, la nature et surtout le régime du permis de construire susceptible d’être délivré par l’administration après la suspension en référé d’un premier rejet (CE, 7 oct. 2016, n°395211).
Le litige était né, en l’espèce, d’un refus de permis de construire dont l’exécution avait été suspendue par le juge des référés à la demande du constructeur (C. just. adm., art. L. 521-1). Classiquement, le juge de l’urgence avait ordonné à la commune un réexamen du dossier qui, en l’occurrence, avait abouti à la délivrance d’un permis de construire. Fort de cette autorisation, le demandeur satisfait s’était alors désisté de son action au fond, ce qui avait conduit l’administration à retirer le permis fraîchement octroyé. Un nouveau contentieux s’était alors noué autour de ce retrait qui, à son tour, a été suspendu en urgence pour ne pas avoir respecté les modalités fixées par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme.
Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État censure l’ordonnance pour erreur de droit, estimant que la nature nécessairement provisoire du permis obtenu excluait l’application des dispositions de l’article L. 424-5 conçues pour des autorisations durables. Après avoir fait solennellement le point sur l’autorité qui s’attache aux ordonnances de suspension et sur les obligations qui en découlent pour l’administration, le Conseil d’État établit un régime prétorien de retrait pour les permis délivrés en exécution d’une ordonnance de référés.
La double implication de l’ordonnance de suspension
On sait que le juge des référés, statuant en urgence, ne peut ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l’exécution d’un jugement d’annulation au fond : une ordonnance de suspension n’a pas l’autorité de chose jugée au principal. Elle n’en est pas moins exécutoire et obligatoire en vertu de l’autorité qui s’attache aux décisions de justice (C. just. adm., art. L. 11). 
L’administration doit prendre provisoirement en compte les motifs de la suspension
Lorsque la suspension d’une décision administrative a été prononcée, l’administration ne peut légalement reprendre une même décision sans avoir remédié au vice retenu par le juge des référés, et ce tant qu’il n’a pas été mis fin à la mesure de suspension soit par l’aboutissement d’une voie de recours, soit par la levée de la mesure (C. just. adm., art. L. 521-4), soit par l’intervention d’une décision au fond (CE, 5 nov. 2003, n° 259339). Dans la présente affaire, l’application de ce principe est étendu aux ordonnances de suspension visant des décisions de rejet.
Dans cette hypothèse, il incombe à l’administration, sur injonction du juge des référés ou lorsqu’elle est saisie par le pétitionnaire, de procéder au réexamen de la demande (CE, 20 déc. 2000, n° 206745 ; CE, 27 juill. 2001, n° 232603). Lors de cette nouvelle instruction, le pouvoir d’appréciation de l’administration est limité : «compte tenu de la force obligatoire de l’ordonnance de suspension, l’administration ne peut, sauf circonstances nouvelles, rejeter de nouveau la demande en se fondant sur les motifs que le juge des référés a identifié comme propres à créer un doute sur la légalité de l’acte». 
L’autorité de délivrance conserve donc la faculté d’opposer un nouveau refus fondé sur des motifs autres que ceux neutralisés par l’ordonnance mais peut également décider d’autoriser le projet.
L’administration peut délivrer un permis de construire provisoire
Par nature, la décision intervenue pour l’exécution d'une l’ordonnance de suspension revêt un caractère provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation. Le Conseil d'État considère que le permis de construire octroyé, le cas échéant, à l’issue de la réinstruction du dossier ordonnée en référé, n’échappe pas à cette règle.
Remarque: l’intervention de cette décision n’a d’ailleurs pas pour effet de priver d’objet les conclusions tendant à l’annulation de l’ordonnance du juge des référés (CE, 13 juill. 2007, n° 294721).
Très concrètement, le constructeur dispose dans ce cas d’une décision créatrice de droit, soumise aux formalités de publicité et susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux. Comme l’indique le rapporteur public Xavier De Lesquen dans ses conclusions, le titulaire d’un permis provisoire se trouve en réalité « dans la même situation juridique que le bénéficiaire d’une autorisation délivrée d’emblée par l’administration pour faire droit à sa demande, mais qui ferait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir susceptible de la faire disparaître complètement ».
 
A ce stade, coexistent donc sur un même projet de construction, un rejet dont l’exécution est suspendue à titre conservatoire et une autorisation provisoire, acquise au bénéfice du doute, dont la pérennité est intimement liée à l’issue des recours engagés contre le refus initial de permis de construire.
A permis provisoire, régime spécifique
Le Conseil d’État précise qu’eu égard à son caractère provisoire, le permis obtenu à l’issue du réexamen de la demande, « peut être remis en cause par l’autorité administrative ». Il impose néanmoins que cette possibilité soit mise en œuvre en respectant un régime de retrait dédié, indépendant du code de l’urbanisme. 
Remarque : la voie de l’abrogation est exclue. Celle-ci aurait pour conséquence d’encourager les constructeurs à réaliser au plus vite les travaux, considérés comme réguliers jusqu’à la disparition du permis provisoire.
Exclusion des dispositions du code de l’urbanisme relatives au retrait 
L’article L. 424-5 du code de l’urbanisme prévoit que le permis de construire, d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s’il est illégal et dans le délai de 3 mois suivant la date de cette décision. En l’espèce, l’argument retenu par le tribunal administratif de Bordeaux pour suspendre le retrait litigieux était que ces conditions n’avaient pas été respectées. Le Conseil d’État censure l’ordonnance pour erreur de droit. La nature particulière du permis en litige ne permet pas, en effet, de raisonner ainsi en référence au cadre législatif classique. La logique contentieuse qui sous-tend un tel permis impose un régime particulier de disparition de l’ordonnancement juridique.
En conséquence, statuant sur la demande de suspension du retrait en litige, le juge suprême déboute le pétitionnaire après avoir constaté que le moyen invoqué n’était pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte.
Conditions de retrait du permis provisoire
Selon le Conseil d’État, quatre événements permettent à l’administration de revenir sur le permis délivré à titre provisoire. Dans ses conclusions, le rapporteur public évoque, à cet égard, un « droit de retrait différé » visant à « donner force utile à l’intervention du juge des référés, tout en respectant scrupuleusement le pouvoir d’appréciation de l’administration ». Cette faculté de retrait peut être mise en œuvre :
 
- à la suite du jugement rendu au principal sur le recours formé contre le refus de permis de construire, sous réserve que les motifs de ce jugement ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à ce que l’administration reprenne une décision de refus. Autrement dit, la voie du retrait est ouverte, bien entendu, si les juges du fond valident la légalité du refus de permis de construire mais aussi, le cas échéant, en cas d’annulation du refus en fonction du motif d’annulation retenu. En effet, si le juge du fond prononce l’annulation du rejet en retenant un moyen de légalité externe, rien n’empêche, dans ces circonstances, l’administration de réitérer un refus en ayant pris le soin de le purger de ses vices ;
 
- lorsque le bénéficiaire du permis se désiste de son recours en annulation, mettant ainsi un terme à l’instance engagée au fond. Rien ne permettant d’affirmer dans ce cas le caractère illégal du rejet initial, il apparaît légitime que l’administration puisse rapporter l’autorisation provisoirement accordée ;
 
- si le juge des référés prononce une levée de la mesure de suspension dans les conditions prévues à l’article L. 521-4 du code de justice administrative ;
 
- s’il est mis fin à la suspension du fait de l’exercice d’une voie de recours contre la décision du juge des référés. Dans cette hypothèse comme dans la précédente, l’administration est dégagée de la force obligatoire de la mesure de suspension et retrouve son plein pouvoir d’appréciation.
 
La logique est donc de coupler le retrait au recours, le retrait du permis provisoire étant conditionné par le caractère légal du refus initial et non par la légalité du permis provisoire lui-même.
 
Soucieux d’un certain parallélisme, le Conseil d’État précise que le retrait doit intervenir dans un délai raisonnable, qui ne peut, eu égard à l’objet et aux caractéristiques du permis de construire, excéder 3 mois à compter de la notification à l’administration du jugement intervenu au fond ou de la décision donnant acte du désistement. L’arrêté de retrait ne peut, en outre, être pris qu’après que le pétitionnaire a été mis à même de présenter ses observations.
 
On ne peut que saluer l’orthodoxie juridique de cette « somme » jurisprudentielle que constitue l’arrêt du 7 octobre 2016. Il est pourtant légitime de s’interroger, en pratique, sur l’utilité de cette autorisation par définition précaire pour le constructeur qui, compte tenu du risque, ne pourra la mettre en œuvre immédiatement.

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La gestion immobilière regroupe un ensemble de concepts juridiques et financiers appliqués aux immeubles (au sens juridique du terme). La gestion immobilière se rapproche de la gestion d’entreprise dans la mesure où les investissements réalisés vont générer des revenus, différents lois et règlements issus de domaines variés du droit venant s’appliquer selon les opérations envisagées.

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Sophie Aubert, Dictionnaire permanent Construction et urbanisme
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