L’IA fait-elle bon ménage avec le droit ? Quels réflexes juristes et avocats doivent-ils adopter pour cohabiter avec cette technologie ? Pierre Berlioz, professeur de droit à l’Université Paris Cité et Fabrizio Papa Techera, président du directoire de la legaltech Lexbase, nous ont éclairés lors d’un atelier animé par le club de data scientists Datacraft, le 17 octobre dernier.
Saviez-vous qu’une intelligence artificielle pouvait « halluciner » ? Autrement dit, fournir une réponse qui n’est pas vraie, mais vraisemblable, en fonction des probabilités qu’elle a calculées. Probablement non, à moins d’avoir dépassé le stade d’observateur ou de néo-utilisateur intrigué et fasciné par les promesses quasi « magiques » des outils qui s’appuient sur cette technologie.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Lors de l’atelier parisien organisé par Datacraft, Fabrizio Papa Techera (Lexbase) a rappelé d’emblée : « Le droit diffère selon les cultures, et le diable est dans les détails. » D’où la nécessité de concevoir des algorithmes adaptés et de les entraîner avec des données du droit français. L’IA (par certaines de ses « briques ») permet la collecte massive de data, pour alimenter les banques de données. En droit, la gestion des données de jurisprudence est néanmoins un exercice délicat, car il nécessite des traitements pour anonymiser efficacement (par exemple, la personne physique victime, mais pas le magistrat ni l’avocat) et thématiser la donnée (par exemple, s’agit-il d’un accident de la circulation ?) puis la segmenter (s’agit-il des faits, des motivations, etc. ?).
Lexbase revendique ainsi une base de 6 millions de décisions de justice, avec un flux d’environ 300 000 nouvelles par an, qui va croître rapidement.
Une autre possibilité de l’IA est de pouvoir comparer des données similaires, pour dresser des tendances. Pour ce faire, techniquement, il est nécessaire de créer une empreinte digitale à la sémantique (aux mots) pour les faire correspondre. Un peu comme lorsque l’application Shazam permet de retrouver le titre d’une chanson grâce à ses ondes sonores.
Pour identifier les mots, on utilise des technologies de grands modèles de langage (LLM : « Large Langage Model » en anglais). C’est ce qui permet d’optimiser des IA conversationnelles (chatbots). D’où un « effet waouh » qui peut se produire lorsqu’on demande à une IA de rédiger un texte. Mais il est capital de s’interroger sur les sources d’information. Une réponse de droit donnée par une IA générative peut faire l’impasse sur des réformes récentes, et se référer à des textes de loi obsolètes.
Dans un tel contexte, un juriste averti en vaut deux. « Les étudiants en droit et les professionnels doivent apprendre à utiliser les nouveaux outils à base d’IA. Mais la recherche documentaire traditionnelle est aussi un élément de formation, qui permet d’apprendre. Il ne faut donc pas s’en passer, mais surtout, s’attacher à raisonner en juriste », estime le professeur de droit Pierre Berlioz . Autrement dit, ne pas prendre pour argent comptant une information délivrée par une IA mais rechercher toujours la source (existe-t-elle, est-elle à jour ?) et faire preuve d’esprit analytique et critique.
D’autre part, l’un des risques de l’IA est de brouiller la frontière entre information et conseil. Exemple cité, qui pourrait arriver dans un futur très proche : une grosse entreprise exploite des milliers de contrats. Grâce à l’IA, elle les analyse et en fonction de l’évolution jurisprudentielle et réglementaire, des actualisations automatiques sont proposées. Quid du périmètre du droit ? « En faisant cela, l’outil sort d’un simple accès à l’information et à sa gestion, pour passer véritablement à l’exercice du droit », note Pierre Berlioz. Ce qui pose la question de la responsabilité, comme pour les décisions prises par des véhicules autonomes.
Il est donc nécessaire de penser le futur rôle du juriste et son périmètre d’intervention, sur fond d’IA.
Autre incitation à la prudence avec les IA génératives : M. Papa Techera évoque le cas, largement médiatisé, d’un cabinet d’avocats new-yorkais qui, croyant que ChatGPT était un moteur de recherche, lui a demandé des références jurisprudentielles pour bâtir sa plaidoirie. Malheureusement, celles-ci se sont avérées inventées. Ce qui a valu au cabinet d’être mis en cause. « Le droit n’est pas un applicatif facile, insiste le dirigeant de Lexbase. Contrairement à la santé, où le corps humain est une base de travail stable pour l’IA, et un énorme marché. Le droit n’est pas stable, il y a des versions différentes à gérer, et le marché est plus restreint. L’avenir dépendra des moyens qui seront consacrés. »
L’étape ultime étant d’aboutir à une IA conversationnelle fiable, capable de délivrer du conseil comme un avocat. Mais nous n’en sommes pas encore là.
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