Dans cette chronique, Emmanuel Gastineau, consultant Secafi, Groupe Alpha, pointe les limites des labels environnementaux et de la finance verte pour répondre aux enjeux écologiques. Il estime nécessaire de réinventer le dialogue social afin d'inscrire les stratégies climatiques des entreprises dans le débat au sein et autour de l’entreprise.
La nécessité d’engager la lutte pour la transition énergétique et environnementale s’est imposée largement dans les débats. Avons-nous choisi les bonnes méthodes ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Avant de rentrer dans l’analyse des méthodes actuellement proposées, il nous faut rappeler une condition indispensable à la réussite de toute transition : son acceptabilité sociale. L’efficacité ne sera au rendez-vous que dans le cadre d’une plus grande justice sociale. Elle seule permettra la soutenabilité des efforts à réaliser.
Pour engager cette transition, un fort courant d’inspiration libérale a poussé à l’établissement d’un cadre incitatif. Il repose sur deux outils principaux : d’une part, les labels et autres certifications ; d’autre part, les instruments financiers de la finance verte et des marchés de compensation.
Les premiers endossent le rôle de valorisation positive. Ils viennent récompenser, au plan marketing, les efforts et engagements des entreprises, et autres acteurs sociaux ou institutions, les plus vertueux. Les seconds, marchés carbone, marchés de compensations de la biodiversité, etc., ont la fonction punitive. Ils pénalisent les actions néfastes à l’environnement, jugées inévitables mais ainsi tolérées à titre résiduel.
Ce cadre incitatif est-il pertinent pour garantir justice sociale et efficacité ? De nombreuses raisons nous amènent à en douter.
Par ailleurs, les labels, les certifications et la finance verte font face à un malaise de fond. Qui peut se résumer par les questions suivantes : où s’arrête la tolérance d’activités "grises" (à la frontière de l’environnementalement souhaitable et de l’économiquement indispensable) et où commence l’écoblanchiment ? Quand bien même il serait majoritairement vertueux, que vaut un portefeuille dont un pourcentage, supposé minime, si tant est qu’il soit connu, ne concourt pas, voire contrevient, aux transitions visées ?
La finance verte, les labels et autres certifications doivent rendre des comptes et afficher une transparence qu’ils sont loin d’assurer à date.
Quant aux marchés de compensation, leurs limites sont évidentes.
Ils sont d’abord beaucoup trop limités pour être efficaces et ne pas créer de situation de distorsion de concurrence au niveau mondial. A titre d’exemple, les marchés carbone ne couvrent que 45 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe. Ce pourcentage chute dramatiquement dans d’autres zones de l’économie mondiale… Au total, à date, ces marchés ne concernent que 5 % des émissions mondiales ! Les données manquent pour la biodiversité, mais elles seraient nécessairement encore plus faibles, au vu du caractère encore récent et balbutiant des réglementations concernant cet enjeu.
Mais est-ce une bonne idée d’envisager la généralisation de marchés fondés sur des droits à polluer ? Est-ce de nature, là encore, à favoriser la justice sociale ? En économie, le concept de rareté est fondamental. Il fonde la valeur qui conditionne les choix des acteurs. Or, on le sait depuis longtemps, un bien devenu rare, voire interdit, à l’image de l’ivoire par exemple, prend de la valeur. Et cette valeur créée est propice à des déviations comme les bulles spéculatives, voire même le développement d’activités criminelles, pour reprendre l’exemple de l’ivoire...
De notre point de vue, cette architecture libérale n’est pas adaptée aux enjeux. Elle est pourtant à ce jour au cœur de la politique européenne. En l’état, ces mesures risquent de se révéler défaillantes, pour une période encore longue, et avec un horizon de maturité encore incertain.
Pour mémoire, un tiers de l’empreinte carbone européenne est importé. Réduire les émissions doit aussi passer par la remise en cause de la mondialisation. Le protectionnisme environnemental est en effet le seul apte à protéger les économies européennes et à engager un effet d’incitation vertueux pour le reste du monde. Une telle mesure permettrait à la fois de diminuer les émissions de gaz à effet de serre importées et de valoriser les efforts d’adaptation des entreprises européennes. En outre, elle participerait au financement des investissements à réaliser et sécuriserait les prises de risques inhérentes à la conception de stratégies alternatives.
De plus, pour favoriser l’engagement des entreprises dans la transition, elles doivent gagner en visibilité. D’une part, elles doivent être assurées d’une protection contre les moins vertueux. D’autre part, elles doivent bénéficier d’une vision claire des marchés et des réglementations ou incitations les encadrant. Sans cette planification écologique, avec ses volets d’interdiction programmée et de développement de nouveaux marchés, les acteurs privés continueront d’adopter les stratégies d’optimisation gagnantes à court terme. Car la fin du mois continuera de primer sur la fin du siècle.
Cette régulation écologique de l’économie, créatrice de richesses à moyen terme, doit s’imposer. Pour cela, elle doit être protégée et encadrée. Les incitations n’y suffiront pas, a fortiori si elles reposent sur des outils et mécanismes aussi fragiles que ceux évoqués plus haut.
Protectionnisme environnemental et planification écologique dessinent le cadre alternatif à l’architecture libérale des labels et des marchés de compensation. Ils accroîtraient grandement les chances d’atteindre à l’efficacité visée. Néanmoins, il n’est pas garanti qu’ils assurent l’autre dimension recherchée : celle d’une transition juste socialement.
Cette notion de transition juste renvoie à deux dimensions : celle de la valeur du travail et, de ce fait, du pouvoir d’achat associé (sous l’angle de la consommation) et celle de l’emploi, menacé par la disparition de certaines activités. Cette seconde dimension justifie que l’on s’interroge sur la bonne mobilisation du monde économique et social, à l’échelon granulaire le plus adéquat : celui de l’entreprise dans son environnement.
Mais comment inscrire les stratégies climatiques des entreprises dans le débat au sein et autour de l’entreprise ? Nous pensons qu’il faut réinventer nos modèles de gouvernance. Ces stratégies incluront des dimensions essentielles qui intéressent toutes les parties prenantes de l’entreprise et, en premier lieu, ses salariés. Elles fondent en effet la durabilité de leur emploi : évolution des produits et services : nouvelles techniques de production ; ré-internalisation; insertion dans des circuits courts et des formes d’économie circulaire… Toutes ces transformations se feront si elles sont préparées et concertées avec les premiers concernés et non dans le cénacle feutré des conseils d’administration.
Seul un dialogue social réinventé, via un rôle explicite confié aux instances de représentation du personnel et des parties prenantes externes, dans la définition, comme dans la mise en œuvre de ces stratégies, peut garantir l’acceptabilité sociale des changements à engager. Les lois récentes, telles la loi Pacte et celle Climat et Résilience, n’ont malheureusement pas encore pris en compte ce besoin de réinventer le dialogue social. Elles se sont arrêtées en chemin alors qu’elles pouvaient enclencher une nouvelle dynamique dans les entreprises, d’une part, pour la première, en décidant d’accroître la présence des salariés dans les conseils de surveillance et, d’autre part, pour la seconde, en instaurant une information-consultation dans les entreprises sur les thèmes de la transition écologique et de ses impacts. Et ce, afin, enfin, que les salariés soient associés, en amont, aux grandes décisions stratégiques et d’organisation. Et si c‘était le dialogue social réinventé, la troisième arme dont nous avons besoin, aux côtés du protectionnisme environnemental et de la planification écologique ? Nous en sommes convaincus. C’est même, de notre point de vue, la seule voie à même de faire émerger prises de conscience, prises de responsabilité et, au final, consensus sur les objectifs et moyens, garants d’une transition acceptable pour tous, organisations et citoyens.
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