"L'innovation majeure du texte réside dans l'instauration d’une négociation collective dédiée à l’emploi des seniors"

"L'innovation majeure du texte réside dans l'instauration d’une négociation collective dédiée à l’emploi des seniors"

03.06.2025

Gestion du personnel

Si pour Patrice Guézou, directeur du Capital Humain et porte-parole de la question des seniors en entreprise au sein de Sémaphores (Groupe Alpha), le projet de loi sur l'emploi des seniors constitue un progrès, il doit toutefois être enrichi d'un volet sur les transitions professionnelles. Un impératif à l’heure où les mutations technologiques transforment radicalement les métiers.

Le projet de loi sur l'emploi des seniors, examiné aujourd'hui en séance publique au Sénat, suffira-t-il à relancer l'activité des salariés âgés ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Découvrir tous les contenus liés

Cette loi constitue indéniablement un progrès, mais elle ne saurait être la panacée. Le véritable défi réside ailleurs : dans notre capacité collective à transformer le regard porté sur l'âge au travail.

Il nous faut repenser en profondeur les pratiques de recrutement et d'accompagnement des salariés expérimentés. À cet égard, la campagne nationale de communication "emploi des 50+ : changer la loi, changer les regards, changer les pratiques", lancée par la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, s'inscrit dans une démarche cohérente, en complément de la transposition de l'accord négocié par les partenaires sociaux sur les fins de carrière.

Sans cette mobilisation, le risque est réel de voir ce projet de loi demeurer sans effet concret. Comme pour l'apprentissage, c'est en déconstruisant les représentations - tant du côté des employeurs que des seniors eux-mêmes - que nous parviendrons à gagner cette bataille culturelle.

Quelles sont, selon vous, les mesures phares de ce texte ?

L'innovation majeure réside dans l'instauration d’une négociation collective dédiée à l’emploi des seniors. Cette obligation, qui s'impose tant aux branches professionnelles qu'aux entreprises, marque une rupture avec les approches précédentes.

Nous ne sommes plus dans le registre du simple dialogue de façade. Cette négociation dédiée ouvre la voie à l'élaboration d'un diagnostic partagé entre directions des ressources humaines et organisations syndicales. Un exercice qui devrait permettre d'identifier les blocages spécifiques et d'engager des actions ciblées, adaptées aux réalités du terrain.

Qu'attendez-vous concrètement de ces négociations ? Quels dispositifs innovants pourraient émerger de ces accords ?

Il ne faut pas espérer une mesure miracle. Les entreprises disposent déjà d'un arsenal considérable d'outils : dispositifs de recrutement, programmes de formation, mécanismes de gestion de carrière. L'enjeu consiste plutôt à orchestrer ces instruments existants en les recentrant sur les spécificités de ce public.

La véritable innovation tient à l'adoption d'une approche résolument personnalisée des trajectoires professionnelles des seniors. Leurs attentes sont en effet profondément hétérogènes : certains aspirent à transmettre leur expertise, d'autres souhaitent se reconvertir, d'autres encore cherchent à aménager leur temps de travail.

Il s'agit, en somme, de passer d'une logique de gestion collective, uniforme, à des dispositifs sur mesure, adaptés aux aspirations individuelles.

L'articulation entre visite médicale et entretien de mi-carrière vous paraît-elle pertinente ?

Absolument. Cette convergence s'inscrit dans une logique d'anticipation que je juge salutaire. L'intérêt de ce couplage réside dans sa capacité à favoriser une mobilité professionnelle véritablement co-construite, nourrie par un dialogue professionnel approfondi.

Nos observations au sein de Sémaphores révèlent une aspiration croissante des salariés expérimentés vers des métiers porteurs de sens et de relation humaine. Les services à la personne, la garde d'enfants, l'entretien des espaces verts... autant de secteurs qui exercent une attraction nouvelle, souvent accompagnée d'un désir de rupture avec leur domaine d'activité initial.

Cette réorientation soulève un défi majeur : celui de la transposition des compétences. Comment valoriser l'expertise acquise dans un nouveau contexte professionnel ? C'est précisément là que l'articulation entre bilan de santé et réflexion sur l'évolution de carrière prend tout son sens : elle permet d'identifier les passerelles possibles entre l'expérience passée et les aspirations futures.

Le projet de loi traite-t-il justement de cette question cruciale de la transposition des compétences ?

C'est là le maillon manquant de ce texte. Le projet de loi doit impérativement être enrichi par amendement, en s'inspirant de l'accord négocié - si compromis il y a - par les partenaires sociaux sur les transitions professionnelles, en cours de discussion.

Cette lacune revêt une gravité particulière car elle touche l'ensemble des catégories socioprofessionnelles : ouvriers et employés, certes, mais également techniciens et ingénieurs confrontés aux mutations technologiques qui transforment radicalement leurs métiers. Ces évolutions imposent des reconversions d'une ampleur considérable.

Or, force est de constater que les dispositifs existants demeurent insuffisamment performants pour accompagner ces transitions. Les entreprises elles-mêmes peinent à identifier les outils et les moyens financiers qu'elles peuvent mobiliser. Cette défaillance constitue un frein majeur à la fluidité des parcours professionnels des seniors.

Hier à la tête de Centre Inffo, aujourd’hui en charge de cette practice chez Sémaphores, quelles solutions préconisez-vous ? 

L'enjeu consiste à mieux coordonner les dispositifs de la formation professionnelle, indépendamment de l'origine des flux financiers. Dans cette perspective, le compte personnel de formation (CPF) me paraît constituer le socle naturel de cette convergence.

Cet outil présente l'avantage d'être familier tant aux employeurs qu'aux salariés. Sa vocation pourrait être élargie pour drainer non seulement les ressources individuelles, mais également celles de l'ensemble des financeurs : entreprises, branches professionnelles, régions ou France Travail. Ces derniers pourraient aisément abonder ce compte, permettant de dépasser les plafonds actuellement fixés.

Il s'agit là d'une évolution logique, qui s'appuierait sur un dispositif qui a fait ses preuves et bénéficie du soutien de la Caisse des dépôts et consignations. Une étape supplémentaire reste donc à franchir pour donner une cohérence d'ensemble à notre système de formation professionnelle, quelles que soient les étapes de la vie.

Comment le débat parlementaire pourrait-il améliorer la réforme des retraites de 2023 notamment concernant la pénibilité, l’usure professionnelle et les carrières longues ?

Le projet de loi souffre d'un déséquilibre qu'il conviendrait de corriger en replaçant la question des compétences au cœur du dispositif. A cet égard, la négociation du plan de développement des compétences, réclamée par certaines organisations syndicales, mériterait d'être inscrite dans le texte.

Une telle disposition présenterait un double avantage : elle permettrait d'établir un diagnostic partagé de l'employabilité de l'ensemble du corps social à un moment donné, tout en identifiant les situations les plus critiques. Cette approche préventive s'avère d'autant plus nécessaire que les questions de pénibilité et d'usure professionnelle requièrent une anticipation fine des parcours.

Le législateur pourrait par ce biais lier les enjeux de fin de carrière avec ceux de la montée en compétences, indispensables dans un contexte d’allongement de la vie active.

Anne Bariet
Vous aimerez aussi