Liquidation judiciaire et divorce d'un entrepreneur : logement familial saisissable

17.06.2022

Gestion d'entreprise

L'attribution au conjoint d'un entrepreneur de la jouissance exclusive du logement familial, implique que ce dernier n'y a plus sa résidence principale. Les droits de l'entrepreneur sur ce bien deviennent donc saisissables par ses créanciers professionnels.

Alors que le statut légal nouveau de l’entrepreneur individuel fait l’actualité (L. n° 2022-172 du 14 févr. 2022 : v. bull. 258, « Entrepreneur individuel en difficulté : ce qui change au 15 mai 2022 », p. 1), la décision ci-dessous référencée apporte une solution complémentaire importante relative à l’insaisissabilité des droits sur l’immeuble où est fixée la résidence principale de l’entrepreneur (C. com., art. L. 526-1 al. 1er). Une solution qui intéressera celui malheureux en affaires et en amour.

Soit donc un coiffeur, mis en redressement puis en liquidation judiciaires par jugements des 23 juin 2016 et 23 juin 2017.

Remarque : la précision des dates est importante car la règle de l’insaisissabilité légale de la résidence principale n’est pas applicable aux procédures collectives ouvertes avant le 8 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 : Cass. com., 29 mai 2019, n° 18-16.097).

Le 9 juillet 2019, le juge-commissaire autorise le liquidateur à mettre aux enchères publiques un bien immobilier appartenant au débiteur et à son épouse. Précisons que celle-ci en avait la jouissance exclusive, depuis une ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 rendue au cours de la procédure de divorce des époux. Menacée d’être évincée, l’épouse interjette logiquement appel de l’ordonnance du juge-commissaire.

La cour d’appel déclare irrecevable la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l’immeuble au titre des opérations de liquidation. Elle estime, en effet, que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à l’épouse est sans effet sur les droits de l’époux sur le bien et sur son insaisissabilité légale.

Le liquidateur forme un pourvoi contre cet arrêt. Le problème ainsi posé de la saisissabilité ou non du bien immeuble dans un tel contexte est, à notre connaissance, inédit ; la réponse de la Cour de cassation mérite donc une particulière attention.

La Cour censure en effet l’arrêt d’appel au visa des articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil. Le dense chapeau explicitant la solution mérite d’être intégralement reproduit : « Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l’un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l’entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l’entrepreneur, à l’égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n’est plus située dans l’immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage ». La Cour en déduit logiquement que « les droits qu’il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de son activité professionnelle ». La solution met ainsi en exergue une importante condition de l’insaisissabilité de droit, soit que l’entrepreneur individuel ait effectivement sa résidence principale dans l’immeuble. Il conviendra également d’avoir égard à la chronologie, l’expression « à l’égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective » se prêtant à une interprétation a contrario.

Thierry Favario, Maître de conférences HDR, Université Jean Moulin Lyon 3

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