Loi biodiversité : reconquête ou simple gestion de la biodiversité ? (1/3)

02.09.2016

Environnement

Ce texte volumineux entérine une nouvelle vision de la nature basée sur son utilisation et non plus sur sa protection.

La loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages achève son long et laborieux périple teinté de reports, de concessions et de volte-face. Ainsi, de son annonce lors de la conférence environnementale en septembre 2012 à sa publication au JO le 9 août 2016, il s'est presque écoulé quatre ans. Cela n'est pas sans rappeler la loi de 1976 sur la protection de la nature dont l'élaboration du projet de loi avant son examen parlementaire avait traîné en longueur : elle avait été annoncée en... 1968 ! Il est vrai que ce type de loi entraîne immanquablement l'hostilité d'acteurs économiques qui voient d'un mauvais oeil que de nouvelles contraintes frappent à leur porte, au contraire d'une loi énergétique qui ne fâche personne (ou presque) et qui est supposée créer des emplois et relancer l'activité économique.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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La première partie de cet article sera consacrée à des réflexions d'ordre général sur la loi. Un deuxième article traite du contenu des principales dispositions (v. "L'ambition mesurée de la loi biodiversité" et un troisième offre un tableau récapitulatif plus détaillé des mesures à retenir (v. "Loi biodiversité : focus sur les principales dispositions").

La protection de la nature cède le pas à la gestion de la biodiversité

Le texte est particulièrement volumineux. Alors que le projet de loi initial ne contenait que 72 articles, le texte final en comporte 174 et couvre 74 pages du JO. Certains articles, particulièrement longs, englobent à eux seuls de nouveaux dispositifs juridiques (préjudice écologique, Agence française de la biodiversité, mesures compensatoires, accès aux ressources génétiques, espèces envahissantes, réglementation des activités sur le plateau continental). On est bien loin des 43 articles de la loi de protection de la nature de 1976 tenant sur à peine 4 pages de JO.

Autre différence avec la loi de 1976 : alors que cette dernière avait été approuvée à l'unanimité, la loi biodiversité a donné lieu à de sérieuses passes d'armes entre parlementaires (et quelquefois avec le ministère de l'environnement), le Sénat s'opposant avec véhémence à tout ce qui pourrait susciter de nouvelles contraintes pour le monde industriel ou agricole. Toutefois, mis à part quelques dispositions plus ou moins accessoires au sujet qui ont régressé (disparition de la taxation de l'huile de palme au profit d'un simple rapport ; report de l'interdiction des néonicotinoïdes de 2018 à 2020), le contenu du texte a été relativement préservé grâce à la persévérance de l'Assemblée nationale et s'est même enrichi d'outils nouveaux (en particulier, on doit au Sénat les dispositif sur la réparation du préjudice environnementale).

Cette contestation s'est poursuivie devant le Conseil constitutionnel qui a néanmoins validé la quasi totalité du texte (déc. n° 2016-737). Ainsi n'a-t-il censuré que quelques dispositions de la loi, sans rapport avec celle-ci - identification et protection des chemin ruraux, garde particulier - ou contraires à la Constitution  - cession à titre onéreux de semences appartenant au domaine public par des associations loi 1901, rattachement de l'établissement public du marais Poitevin à l'AFB. Il a en outre confirmé la légalité du principe de non-régression, de l'interdiction des néonicotinoïdes en 2020 ou encore de la redevance d'exploitation des gisements sur le plateau continental ou dans la ZEE.

Enfin, l'objectif de cette loi n'a rien de commun avec la loi fondatrice de protection de la nature de juillet 1976, adoptée voila quarante ans. Désormais, ce n'est plus la protection de la nature qui est l'objectif - la loi de 1976 est notamment à l'origine de la notion d'espèces protégées, des arrêtés de biotope et des réserves naturelles, mais bien la gestion de la biodiversité. Le titre de la nouvelle loi ne contient d'ailleurs pas les mots "protection" ou "préservation". Il faut rentrer dans le coeur du texte pour trouver dans le  titre IV la "protection des espèces" alors que les "espaces naturels" ne sont pas revêtus de ce qualificatif. Comme le souligne un collectif d'auteurs, la "loi sur la biodiversité n’implique plus l’obligation de protéger la nature, mais seulement d’en tirer parti et d’investir dans cette « réserve d’actifs naturels »" (G. Clément et a., Ménager la nature, Libération, 9 juin 2016). Protéger est désormais synonyme d'inertie : la secrétaire d'État à la biodiversité n'hésite d'ailleurs pas à dire que "la notion même de protection est, par essence statique" et qu' "en 2016, il est important de recréer une dynamique" de reconquête de la biodiversité (Terre sauvage n° 331, août 2016).

La reconquête de la biodiversité : un objectif irréaliste ?

La reconquête de biodiversité promue par la loi peut faire sourire. Au vu des dispositions proposées par le texte, on se dit que cet objectif aura bien du mal à s'accomplir, sauf miracle. Il faudrait déjà songer à stopper la perte d'érosion de la biodiversité (principe désormais retenu par l'article L. 110-1 du code de l'nevironnement), ce qui serait déjà en soit une tâche considérable.

Il y a en tout cas urgence à agir en ce sens, si l'on en croit les différents indicateurs, la plupart au rouge :

- le rythme de destruction, de dégradation ou de banalisation des milieux naturels reste encore élevé (67 000 ha/an en métropole ; 783 ha de forêts perdus et 314 ha artificialisés en outre-mer), les prairies pelouses et pâturages naturels étant particulièrement impactés (50 000 ha/an en métropole entre 1990 et 2012). Les milieux aquatiques ne sont pas non plus épargnés avec une fragmentation des cours d'eau par des ouvrages hydrauliques (16 obstacles pour un linéaire de 100 m) ;

- les pollutions continuent de peser sur la biodiversité, en particulier par des apports de nitrates en diminution de seulement 7 % entre 1998 et 2014 et des rejets de produits phytosanitaires qui repartent à la hausse (+ 12 % depuis 2009/2011) ;

- les espèces envahissantes progressent (6 espèces supplémentaire par département tous les 10 ans ; 60 espèces présentes en outre-mer) ;

- la faune et la flore continuent de disparaître ou de se raréfier : par exemple, près d'un tiers des espèces menacées continuent de régresser, mais les espèces communes s'appauvrissent elles aussi (les populations d'oiseaux communs se sont réduites d'un quart entre 1989 et 2015) ;

-  les habitats et milieux naturels poursuivent leur dégradation ou leur disparition : 22 % seulement  des habitats d'intérêt européen sont en bon état de conservation, tandis que 52 % des zones humides et 43 % des cours d'eau sont en bon état et que les espaces prairiaux régressent significativement (- 8 % entre 2000 et 2010). Seuls les récifs coralliens s'en sortent mieux, 64 % étant stables ou en amélioration.

 

A paraître en décembre : « Loi biodiversité, ce qui change en pratique »

L’éclairage de nos spécialistes sur toutes les dispositions de la loi et leurs applications concrètes.

Pour réserver votre exemplaire au tarif de 55 € TTC, vous pouvez envoyer un e-mail à contact@editions-legislatives.fr

Olivier Cizel, Code permanent Environnement et nuisances
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