Loi Sapin III : les attentes des professionnels de la compliance

Loi Sapin III : les attentes des professionnels de la compliance

24.04.2022

Gestion d'entreprise

Que reprochent les professionnels du droit à la loi Sapin II ? Comment l’améliorer ? Avocats, directeurs juridiques et directeurs de la conformité ont répondu à ces questions à l’occasion du Sommet du Droit, organisé mercredi dernier par Leaders League.

« Cinq ans après la loi Sapin II, on constate encore la lourdeur des programmes à mettre en place. Si on veut implémenter un programme robuste, qu’on veut embarquer tout le monde, cela reste extrêmement lourd et coûteux pour les entreprises », témoigne Géraldine Hivert-de Grandi, directeur juridique et conformité au sein du groupe RATP Dev, à l’occasion du Sommet du Droit organisé jeudi dernier par le groupe Leaders League.

Pourquoi est-ce si compliqué ? « Quand on constate que les interlocuteurs ont changé tous les 2 ans, voire même il y a 18 mois… On se rend compte qu’ils sont humains et qu’ils traitent les sujets d’une manière personnelle. Même si les process et les outils sont les mêmes, les résultats sont différents ».

« Si demain j’ai le contrôle d’une autorité comme la CNIL ou l’AFA, est-ce que je me sens sereine dans ce que je peux montrer ? », s’interroge la juriste.

Pour que le programme de conformité soit robuste, elle estime qu’il faudrait apporter de la « cohérence » aux process. Limiter le nombre d’interlocuteurs, mais aussi « mettre en œuvre un budget et des ressources considérables pour passer la moyenne du contrôle AFA ».

«Beaucoup de contraintes »

Sur l’adhésion des collaborateurs, la directrice juridique estime que le pari est réussi. Ils sont « assez bien sensibilisés » même si elle reconnaît que les tâches sont chronophages par rapport à leurs autres missions quotidiennes et « sur lesquelles la direction générale a de plus fortes attentes ». « C’est un exercice auquel les collaborateurs se plient mais ils ne comprennent pas toujours la pertinence des formalités ». Politique cadeaux, déclaration HATVP, conflits d’intérêts… Cela représente « beaucoup de contraintes » et peut engendrer quelques « confusions », d’autant plus lorsque les collaborateurs ne sont pas spécialisés en compliance.

« Ce n’est pas évident, et cela requiert toujours un effort. Il faut beaucoup les encourager pour arriver à un bon résultat », relativise la directrice juridique.

 « J’ai constaté la difficulté de compréhension du sujet par les entreprises, l’administration et par l’Etat », explique Jean-Baptiste Carpentier, directeur de la conformité du groupe Veolia. « Je souscris à la lourdeur », concède-t-il. « Néanmoins, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. On a créé un vrai choc dans les entreprises ». Elles ont finalement compris qu’elles avaient « besoin de compétences, d’appuis internes et externes », se félicite Jean-Baptiste Carpentier.

« On voit de grandes évolutions depuis 2016 », agrée Thierry Marembert, avocat fondateur du cabinet Kiejman & Marembert. « Les premières enquêtes internes, c’était le Far West : sans avocat, sans notification du droit de se taire… Aujourd'hui, tout a été codifié par l’AFA et le PNF ».  Pour l’avocat, les outils sont en train de se mettre en place. « On arrive à une certaine maturité et il ne faut pas tout bouleverser maintenant ».

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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« C’est trop tôt ! »

« Une loi Sapin III maintenant, ce serait prématuré », approuve Sophie Musso, associée du cabinet Proétic, « en tout cas sur la partie du dispositif anticorruption ». Côté AFA, celle-ci estime qu’il faut « reconnaitre l’énorme progression. L’Agence a fait du bon travail, notamment auprès des organisations professionnelles. Il ne faut pas tout changer trop vite ».

« C’est trop tôt ! », abonde Géraldine Hivert-de Grandi. « Légiférer à outrance, je n’y suis pas favorable. On a besoin de temps pour digérer la loi Sapin II ». Sur le projet de loi, certaines mesures lui semblent « aller de soi ». Etendre les obligations anticorruption aux filiales de grands groupes étrangers : « une mesure saine et d’équité ». L’extension à l’infraction de favoritisme : « pourquoi pas ? », estime la directrice juridique. Pour Sophie Musso, il serait intéressant de codifier dans la loi certaines pratiques : « les enquêtes internes » ou encore « les négociations avec le PNF ».

« Créer une AFA sur le devoir de vigilance » ?

« Il y aura un update nécessaire », approuve Jean-Baptiste Carpentier. « Mais de grâce, de la cohérence dans tout ça ! ». Pour le directeur conformité, la nouvelle loi devra « couvrir tous les sujets de conformité extra-financière. La corruption n’est qu’un seul élément, le devoir de vigilance doit être intégré ». Celui-ci ne craint qu’une chose : que le législateur créée « une AFA dédiée au devoir de vigilance ».

Un avis partagé par Thierry Marembert : « avoir une 2e autorité à côté de l’AFA, cela ne favorisera pas la mutualisation des ressources dans l’entreprise ». Pour l’avocat, « avoir un réseau RGPD, un réseau concurrence, un réseau devoir de vigilance... » ne contribuera pas à créer une culture de conformité en interne. « L’approche du législateur devra être plus globale », considère l’avocat.

En tout état de cause, « il y aura un effort de pédagogie à faire de la part des directions juridiques vis-à-vis du top management. Si on veut capter le budget et les ressources nécessaires, on devra se débrouiller pour montrer que ce n'est pas compliqué. Il faudra simplifier les sujets pour arriver à nos fins », conclut Géraldine Hivert-de Grandi.

Leslie Brassac
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