Louboutin c/ Amazon : précisions sur la notion de communication commerciale

23.01.2023

Gestion d'entreprise

La CJUE, interrogée une fois de plus sur la notion d’usage au sens de l’article 9 du règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’UE, ouvre la porte d’une possible responsabilité des places de marché en ligne.

Christian Louboutin est titulaire d’une marque Benelux enregistrée en 2005 et d’une marque de l’Union européenne enregistrée en 2016. Cette marque, appelée « marque de position », se caractérise par l’apposition d’une couleur rouge caractéristique sur la semelle d’une chaussure à talon haut. Le titulaire reproche à Amazon d’avoir porté atteinte à ses droits de marque, d’une part, par l’affichage sur sa place de marché en ligne d’annonces relatives à des chaussures à semelles rouges mises en circulation sans son consentement, d’autre part, en ayant détenu, expédié et livré ces produits. Selon le titulaire, par ces agissements, Amazon aurait joué un rôle actif dans l’usage de sa marque, justifiant la reconnaissance de la responsabilité de la plateforme sur le terrain du droit des marques. Amazon rétorque que la présence de son logo sur les annonces de vendeurs tiers, les services accessoires qu’elle propose ou encore le fait qu’elle crée les conditions techniques nécessaires, contre rémunération, à l’usage d’un signe identique à une marque protégée n’implique pas qu’elle utilise le signe dans le cadre de sa propre communication commerciale.

Les juridictions de renvoi, quant à elles, relèvent que le fonctionnement d’Amazon diffère du fonctionnement de certains autres sites internet de vente en ligne, qui se contentent d’exploiter une place de marché en ligne dont les annonces proviennent exclusivement de vendeurs tiers. Elles se demandent alors si le mode de fonctionnement différent d’Amazon, qui procède d’un regroupement sur un site internet de vente en ligne tant des annonces de tiers que de l’exploitant du site internet, pouvait induire l’usage d’un signe identique à une marque par l’exploitant lui-même. Dans un tel contexte, les juridictions se demandent quel est le rôle à donner à la perception du public quant à l’imputabilité d’un tel usage. Elles se demandent également si l’exploitant qui fournit notamment un service d’expédition de produits revêtus d’un signe identique à une marque enregistrée, au sens de l’article 9, § 2, sous a) du c sur la marque de l’Union européenne, doit être considéré comme faisant usage d’un signe identique à une marque protégée (Règl. (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, 14 juin 2017 : JOUE n° L 154, 16 juin).

Ainsi, les juridictions de renvoi décident d’interroger la Cour afin de déterminer si l’exploitant d’un site internet de vente en ligne, qui propose, en sus de ses propres offres à la vente, une place de marché en ligne, fait lui-même usage, au sens de l’article 9, § 2 du règlement (UE) 2017/1001, d’un signe identique à une marque enregistrée, lorsque les tiers vendeurs proposent à la vente, sur cette même place de marché en ligne, des produits revêtus de ce signe sans le consentement du titulaire.

La notion d’usage dans la vie des affaires

En premier lieu, la Cour revient sur la notion de « faire usage » qui, n’étant pas définie par les textes, a dû faire l’objet d’un encadrement jurisprudentiel. Elle cite alors son arrêt « Coty Germany » (CJUE, 2 avr. 2020, aff. C-567/18, Coty Germany), dans lequel elle avait retenu que le tiers « fait usage » du signe lorsqu’il a un comportement actif, impliquant une maîtrise directe ou indirecte de l’acte en cause, en ce que, naturellement, seul le tiers pouvant se voir reprocher un tel comportement est en mesure de faire cesser l’acte en cause (point 28). Dans le cas de figure d’un exploitant de place de marché en ligne, la Cour rappelle que le rôle actif se comprend de l’usage du signe qui est fait dans le cadre de la propre communication commerciale de l’exploitant (CJUE, 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal et a., points 102 et 103). Ainsi, l’exploitant qui se restreint à mettre en ligne les annonces de vendeurs tiers affichant un signe identique ou similaire à une marque enregistrée ne fait pas lui-même usage du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale, et ce, même s’il fournit les conditions techniques nécessaires pour faire usage du signe et en retire un intérêt économique. La Cour rappelle ensuite que dans ces précédentes affaires, d’une part, l’exploitant n’avait pas connaissance du caractère contrefaisant des produits, et d’autre part, il n’offrait pas lui-même de produits à la vente.

La perception de l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif

La différence d’implication d’Amazon dans les offres de vente et la question soulevée cette fois-ci de la perception de l’utilisateur, qui n’est nul autre que le traditionnel consommateur, sont les éléments déterminants de l’arrêt de la Cour.

Dans la présente affaire, le site internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne recourt à un mode de présentation uniforme des offres à la vente publiées sur son site internet, appose son logo sur les annonces de tiers comme sur ses propres annonces et offre des services supplémentaires tels que le soutien dans la présentation des annonces, le stockage ou encore l’expédition des produits. La question, dans ces circonstances, est alors de savoir si l’exploitant de ce site internet intégrant une place de marché en ligne fait lui-même usage du signe d’autrui.

Ainsi, tout en précisant qu’il s’agit d’éléments factuels qui relèvent de l’appréciation des juridictions de renvoi, la Cour se propose d’apporter des éléments d’interprétation. Tout d’abord, elle précise qu’il faut entendre par « communication commerciale », « toute forme de communication destinée aux tiers, visant à promouvoir son activité, ses biens ou ses services, ou à indiquer l’exercice d’une telle activité » (point 39). Dès lors, l’exploitant utilise le signe dans le cadre de sa propre communication commerciale, lorsqu’il apparaît, aux yeux des tiers, que cette utilisation fait partie intégrante de sa communication et, par-là, relève de son activité. Il convient, dès lors, d’apprécier si l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif du site internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question.

A cette fin, la Cour va s’abstraire, en quelque sorte, de ses jurisprudences passées impliquant une place de marché en ligne, en s’attachant, cette fois-ci, à examiner la perception de l’utilisateur de la place de marché en ligne. Pour ce faire, la Cour se demande si l’utilisateur du site internet normalement informé et raisonnablement attentif peut croire que l’exploitant commercialise, en son nom et pour son propre compte, le produit revêtu du signe. En d’autres termes, il s’agit de savoir si l’utilisateur est susceptible de croire que l’exploitant fait lui-même usage du signe. Pour répondre à cette interrogation, la Cour estime qu’il convient d’apprécier globalement les circonstances de l’espèce, comme le mode de présentation des annonces, aussi bien prises individuellement que dans leur ensemble, ainsi que la nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant du site internet de vente en ligne.

Appréciation du mode de présentation des annonces

S’agissant, en premier lieu, du mode de présentation, la Cour explique que les annonces affichées sur le site internet de vente en ligne incluant une place de marché en ligne doivent être présentées de telle manière que l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif puisse distinguer les offres de vendeurs tiers de celles de l’exploitation. L’utilisation par l’exploitant d’une présentation uniforme, incluant son propre logo, par ailleurs renommé, sur toutes les annonces de vendeurs tiers ou non, ne permet pas de distinguer clairement les annonces et pourrait amener l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif à croire que c’est l’exploitant lui-même qui commercialise les produits revêtus du signe en cause. En somme, la Cour considère qu’une présentation indifférenciée permet d’alimenter un risque de confusion dans l’esprit de l’utilisateur.

Appréciation de la nature des services proposés par l'exploitant du site internet

En second lieu, les services proposés par l’exploitant du site internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne aux vendeurs qui offrent à la vente des produits revêtus du signe identique à une marque protégée, tels que le stockage ou bien encore l’expédition et la gestion des retours, impliquent également que l’utilisateur puisse être amené à croire que l’exploitant utilise le signe en cause en son nom et pour son propre compte. Il convient, par ailleurs, de retenir que l’utilisation de mentions du type « les meilleures ventes », « les plus demandés », « les plus offerts » dans la promotion de certaines offres permet de renforcer cette impression.

En conséquence, la Cour retient que l’exploitant d’un site internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque enregistrée, pour des annonces de vendeurs tiers, si l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif peut établir un lien entre les services proposés par l’exploitant et la marque, ce qui est notamment le cas lorsque, compte tenu de l’ensemble des éléments caractérisant la situation en cause, un tel utilisateur pourrait avoir l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise lui-même, en son nom et pour son propre compte, les produits revêtus de la marque.

Chloé PIEDOIE, Assistante-chercheure, doctorante au CEIPI, membre du laboratoire de recherche du CEIPI (UR 4375)

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