Loyers commerciaux durant la pandémie de Covid-19 : la jurisprudence récente en faveur du preneur

Loyers commerciaux durant la pandémie de Covid-19 : la jurisprudence récente en faveur du preneur

13.06.2022

Gestion d'entreprise

Les mesures de fermeture administrative anti-Covid-19 adoptées à l’encontre des établissements dits « non essentiels » à la vie de la nation ont créé un contentieux important relatif au paiement des loyers des baux commerciaux. Le point sur la jurisprudence récente avec Robert Corcos, associé et Hélène Girard, avocate chez FTPA.

Dans le contexte de la pandémie, le contentieux s'est développé en matière de paiement des loyers commerciaux. Les locataires ont soulevé plusieurs fondements juridiques dans le but d’éviter le paiement des loyers donnant ainsi lieu à une arborescence de décisions de justice. A ce titre, la Cour d’appel de Paris a rendu le 30 mars 2022 une décision remarquée. Elle s’est ainsi exprimée sur les fondements proposés par le preneur pour s’opposer au paiement de ses loyers et a retenu la destruction de la chose louée sur le fondement de l’article 1722 du code civil (Cour d'appel de Paris, 30 mars 2022, n°21/16714 et n°21/16710). 

Le rejet de l’imprévision, de la force majeure et de l’obligation de délivrance du bien loué

Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Paris a examiné le cas d’une résidence de tourisme ayant été contrainte de fermer ses portes au gré des mesures de confinement. En première instance, le juge des référés avait condamné le locataire au paiement d’une provision sur les loyers dus, déduction faite des « 56 jours de fermeture administrative » liés à la Covid-19. La Cour d’appel de Paris, chargée de se prononcer sur l’existence d’une contestation sérieuse quant au paiement des loyers sollicité par le bailleur, a en premier lieu écarté les trois fondements suivants soulevés par le locataire.

Tout d'abord, l’imprévision (article 1195 du code civil) et la bonne foi (article 1104 du code civil) : la Cour d’appel retient que « si ces dispositions permettent à une partie de solliciter la renégociation du contrat à son cocontractant, elles ne le dispensent pas de l'exécution de ses obligations durant la renégociation ». L’obligation du paiement des loyers par le locataire survit donc à l’imprévision et à l’exigence de bonne foi.

La Cour s'est ensuite intéressée à la force majeure (article 1218 du code civil) : la Cour d’appel expose que « l'obligation de paiement d'une somme d'argent est toujours susceptible d'exécution, [elle] n'est, par nature, pas impossible ; elle est seulement plus difficile ou onéreuse ». Cette solution confirme la jurisprudence antérieure qui juge le paiement des loyers possible durant la période de Covid-19 (Cour d’appel de Lyon, 13 avril 2022, n°21/01573 ; Cour d'appel de Nîmes, 4 mars 2022, n°21/01389 ; Cour d’appel de Paris, 7 mai 2021 n°20/15102 ; Cour d’appel de Paris, 12 mai 2021, n°20/17489 ; Cour d'appel de Paris, 2 juin 2021, n°20/17808). 

Enfin, sur l’obligation de délivrance du bien loué (article 1719 du code civil), la Cour d’appel retient que les fermetures administratives n’ont pas d’effet sur la délivrance des locaux mis à disposition par le bailleur et ajoute qu’à cet égard, le locataire « ne peut pas non plus se prévaloir d'une diminution de la clientèle liée au contexte sanitaire ». Cette solution est conforme à la jurisprudence (Cour d'appel de Lyon, 13 avril 2022, n°21/01573 ; Cour d’appel de Paris, 7 mai 2021, n°20/15102). 

Gestion d'entreprise

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La reconnaissance de « la destruction des locaux » frappés de mesures de fermeture administrative

Aux termes de sa décision du 30 mars 2022, la Cour d’appel de Paris a cependant accueilli le fondement juridique de « la destruction de la chose louée » pour exonérer le preneur du paiement des loyers. Elle expose que, conformément à l’article 1722 du code civil, « si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix ou la résiliation du bail » (Cour d'appel de Paris, 30 mars 2022, n°21/16714 et n°21/16710). Elle retient que la destruction de la chose louée peut s'entendre de la perte matérielle de la chose louée mais aussi d'une perte juridique partielle et temporaire, notamment en raison d'une décision administrative. Dans le cas d’espèce, confirmant l’ordonnance de référé du 9 septembre 2021, la Cour d’appel a déduit automatiquement le montant de la provision des loyers dus pour les périodes de fermeture administrative des locaux loués. Cette solution confirme également en partie la jurisprudence antérieure (Cour d'appel de Paris, 7 mai 2021, n°20/15102, cas d'un restaurant ; Cour d’appel de Paris, 12 mai 2021, n°20/17489, cas d’un restaurant ; Cour d'appel de Paris, 2 juin 2021, n°20/17808, cas d’un commerce de chaussures ; Cour d'appel de Paris, 30 juin 2021, n°20/15566, cas d’un restaurant ; Cour d'appel de Paris, 8 juillet 2021, n°21/02296, cas d’une salle de sport ; Cour d'appel de Douai, 16 décembre 2021, n°21/03259, cas d’un magasin d’habillement ; Cour d’appel de Paris, 29 septembre 2021, n°21/00544, cas d’un restaurant ; tribunal judiciaire de La Rochelle, 23 mars 2021, n°20/02428, cas d’un magasin de vêtement).

Cependant, en statuant ainsi, la Cour d’appel de Paris s’écarte de certaines décisions antérieures contraires. En effet, dans le cas d’un magasin d’habillement, la Cour d’appel de Nîmes retenait que « la fermeture administrative n'affecte pas les locaux en eux-mêmes, le preneur conservant l'usage de ces locaux dans leur intégralité » et que les dispositions de l'article 1722 du code civil ne prévoient pas l'hypothèse d'une « perte temporaire » (Cour d'appel de Nîmes, 4 mars 2022, n°21/01389). 

Cette décision se rapprochait de celle du tribunal judiciaire de Paris concernant un commerce de coiffure et d’esthétique qui concluait que « l’impossibilité d’exploiter les locaux […] résulte de la nature de l’activité économique exercée dans les lieux loués et non de la chose louée elle-même, qui n’est détruite ni en totalité, ni partiellement » (tribunal judiciaire de Paris, 28 octobre 2021, n°16/13087).

Une décision de la Cour d’appel de Paris concernant un supermarché à dominante non alimentaire retenait que « le législateur, [au moyen de mesures relatives à la prorogation des délais de paiement des loyers pendant la période d’urgence sanitaire (ordonnances n°2020-316 et n°2020-306 du 25 mars 2020)] a pris en compte les conséquences pour bailleurs et preneurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, excluant de ce fait l’application à cette situation de l’article 1722 du code civil » (Cour d'appel de Paris, 3 juin 2021, n°21/01679). 

Les effets de la perte juridique des locaux loués sur le paiement des loyers afférents

La Cour d’appel de Paris a réitéré son raisonnement dès le 21 avril 2022 dans le cas d’une crèche qui avait d’abord été soumise à une fermeture administrative totale au premier trimestre 2020 puis à des jauges limitant son activité (Cour d’appel de Paris, 21 avril 2022, n°21/17272, cas d’une crèche). Cependant, si les décisions de la Cour d’appel de Paris font pencher désormais la balance en faveur du locataire sur le fondement de la perte de la chose louée, elles ne concernent que la reconnaissance de l’existence d’une contestation sérieuse dans le cadre d’une procédure de référé et ne tranchent donc pas sur le fond cette question. 

La décision de la Cour d’appel de Paris retient, pour les résidences de tourisme concernées, une période de fermeture du 20 mai au 2 juin 2020 (soit 14 jours) pour le premier confinement (Décret n°2020-604 du 20 mai 2020 complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020), une période de fermeture du 1er novembre au 14 décembre 2020 pour le deuxième confinement (Décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020), et aucune fermeture administrative pour le troisième confinement du 19 mars au 19 mai 2021 (Décret n°2021-296 du 19 mars 2021), soit une durée totale de fermeture de 56 jours.

Enfin, un jugement du tribunal judiciaire de Béthune en date du 6 mai 2022 va encore plus loin puisqu’il déduit de la perte de la chose louée la dispense du paiement des loyers et une obligation de remboursement des loyers indûment perçus par le bailleur dans le cas d’un commerce de « vente au détail d’articles d’équipement de la maison, d’équipements de la personne, culture, loisirs, confiserie et à titre accessoire, location de véhicules » (tribunal judiciaire de Béthune, 12 avril 2022, n°20/02378). Le tribunal retient à ce titre qu’il existait une « impossibilité juridique absolue et temporaire » pour le locataire d’user de la chose louée pendant les périodes de fermeture administrative.

L’exonération du paiement des loyers dépendrait du nombre de jours de fermeture administrative en fonction du type d’établissement concerné et de sa position sur le territoire national. Conformément au droit des contrats, le remboursement des loyers payés peut être demandé par le preneur pendant une période de 5 ans à compter de la date d’exigibilité du loyer en question.

Si les décisions récentes des juridictions des premiers degrés tendent à donner raison aux preneurs, privés de la possibilité d’exploiter leur fonds de commerce pendant les périodes de fermeture administrative liées à la pandémie, il reste encore à la Cour de cassation de se prononcer sur ces questions afin de trancher définitivement ce débat.

Les conséquences ne sont pas insignifiantes pour les bailleurs et les preneurs, notamment de cafés, restaurants, cinémas et discothèques dont le nombre de jours de fermeture administrative est de plusieurs mois.

 

 

 

 

 
Robert Corcos Co-auteur : Hélène Girard (avocate chez FTPA avocats)
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