Loyers commerciaux pendant la pandémie liée au Covid-19 : la Cour de cassation penche en faveur des bailleurs

Loyers commerciaux pendant la pandémie liée au Covid-19 : la Cour de cassation penche en faveur des bailleurs

12.07.2022

Gestion d'entreprise

La Cour de cassation vient de rendre 3 arrêts de principe concernant des litiges entre bailleurs et preneurs sur le paiement de loyers commerciaux durant la pandémie de Covid-19. Robert Corcos, associé et Hélène Girard, avocate chez FTPA, reviennent dans cette chronique sur la portée de ces arrêts.

Nous avions commenté par un précédent article une décision de la Cour d’Appel de Paris du 30 mars 2022 considérant que le preneur pouvait soulever l’existence d’une contestation sérieuse écartant le recours à la procédure de référé pour éviter de payer les loyers dus pendant la période de fermeture administrative liée à la Covid 19. Cet arrêt intervenant en matière de référé, ne tranchait cependant pas le fond du dossier.

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Par trois arrêts de principe rendus le 30 juin 2022, la Cour de cassation a tranché la question de l’exigibilité des loyers des locaux commerciaux pendant la pandémie de Covid-19, en faveur des bailleurs.

Plusieurs Cours d’appel avaient par le passé eu l’occasion de se prononcer sur les fondements juridiques soulevés par les preneurs pour suspendre le paiement de leur loyer. Comme celles-ci, la Cour de cassation a écarté l’imprévision (art. 1195 Code civil), la force majeure (art. 1218 du Code civil) et l’obligation de délivrance de la chose louée (art. 1719 du Code civil).

Comme évoqué dans notre article précédent, la solution était moins tranchée sur le fondement de la perte de la chose louée (art. 1722 du Code civil). La Cour de cassation a jugé que « la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d'une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance. Un locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers ».

Le contexte de la solution de la Cour de cassation du 30 juin 2022

La Cour de cassation a rapporté avoir été saisie d’une trentaine de pourvois sur des litiges entre bailleurs et preneurs depuis la pandémie de Covid-19. Elle a sélectionné trois dossiers prioritaires qui lui permettaient de répondre à des questions de principe et de faire ainsi une application générale de ses réponses.

L’arrêt n° 21-19.889 porte sur une décision au fond suite à une opposition à une injonction de payer. Le second arrêt n° 21-20.127 porte quant à lui sur une demande de provision en référé pour arriérés de loyers. Dans le cadre de la décision dont il avait été interjeté appel, la Cour d’appel de Grenoble avait conclu que : « l'appelante ne peut invoquer l'article 1722 du code civil, permettant une réduction des loyers en cas de perte partielle de la chose louée, puisqu'en la cause, les locaux donnés à bail n'ont subi aucune perte ». Enfin, l’arrêt n° 21-20.190 tranche le sort d’une saisie attribution des arriérés des loyers commerciaux.

Le raisonnement de la Cour de cassation sur la perte de la chose louée

La Cour de cassation rappelle que l’interdiction de recevoir du public, instituée par arrêtés, puis par décrets dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, s’appliquait aux commerces dont l’activité n’est pas indispensable à la vie de la nation et dont l’offre de biens ou de services n’est pas de première nécessité. Afin d’arbitrer entre les intérêts des bailleurs et ceux des preneurs concernés et de rendre une solution d’application uniforme, la Cour de cassation a procédé à une analyse économique, habillée juridiquement.

La Cour de cassation retient de l’analyse économique de la situation versée au débat par le ministère de l’Économie, des finances et de la relance que :

  • « jusqu’à 45 % des établissements du commerce de détail ont été fermés durant la crise ;
  • le montant total des loyers et charges locatives ainsi immobilisés est estimé à plus de 3 milliards d’euros ;
  • ces entreprises ont pu bénéficier de trois dispositifs d’aides successifs (fonds de solidarité, coûts fixes et aide loyers), ainsi que d’autres mesures de soutien. »

Ainsi, ces données semblent avoir fortement influencé le raisonnement de la Cour.

Sur l’analyse juridique du fondement de la perte de la chose louée, la Cour de cassation retient que l’interdiction de recevoir du public était générale et temporaire. De plus, celle-ci avait pour seul objectif de préserver la santé publique par une restriction des rapports interpersonnels. Enfin, cette mesure était sans lien direct avec la destination du local loué telle que prévue par le contrat mais résultait du caractère non indispensable à la vie de la nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis. Selon la Cour de cassation, la prépondérance de l’objectif de santé publique de la mesure d’interdiction générale justifie la fermeture du local loué aux frais du preneur. Les commerçants ne sont donc pas en droit de demander une réduction de leur loyer.

La Cour de cassation rejoint le raisonnement la Cour d’appel de Nîmes qui retenait que « la fermeture administrative n'affecte pas les locaux en eux-mêmes, le preneur conservant l'usage de ces locaux dans leur intégralité » et que les dispositions de l'article 1722 du code civil ne prévoient pas l'hypothèse d'une « perte temporaire ». Cette décision se rapproche également de celle du Tribunal judiciaire de Paris concernant un commerce de coiffure et d’esthétique qui concluait que « l’impossibilité d’exploiter les locaux […] résulte de la nature de l’activité économique exercée dans les lieux loués et non de la chose louée elle-même, qui n’est détruite ni en totalité, ni partiellement ».

La Cour de cassation conclut par ailleurs que : « les mesures prises par les autorités publiques pour lutter contre la propagation de la Covid-19 n’ont pas écarté l’application du droit commun de la relation contractuelle ».

Cette décision devra cohabiter avec la jurisprudence ancienne de la Cour de Cassation concernant la perte de la chose louée qui retenait pourtant que « l'application de l'art. 1722 n'est pas restreinte au cas de perte totale de la chose ; elle s'étend au cas où, par suite des circonstances, le preneur se trouve dans l'impossibilité de jouir de la chose ou d'en faire un usage conforme à sa destination ». Le juge du fond avait également conclu à l’application de l'art. 1722 en cas d'impossibilité d'utiliser les lieux loués conformément à leur destination essentielle par suite d'une décision de l'autorité administrative.

Le débat ne semble donc pas clos.

 

 

Robert Corcos Co-auteur : Hélène Girard (Avocat à la Cour chez FTPA)
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