Loyers commerciaux : «beaucoup de bailleurs sont prêts à faire des cadeaux mais pas sans contrepartie», estime S. Ingold

Loyers commerciaux : «beaucoup de bailleurs sont prêts à faire des cadeaux mais pas sans contrepartie», estime S. Ingold

26.10.2020

Gestion d'entreprise

Avec les fermetures administratives des locaux commerciaux - au printemps dernier et à nouveau depuis le couvre-feu - les loyers restent un sujet pour les locataires et les bailleurs. Stéphane Ingold, associé chez Gouache avocats, cabinet spécialisé dans la défense des preneurs, nous explique sa stratégie pour trouver des solutions via la renégociation du bail.

En mars dernier, le confinement et les fermetures administratives des locaux commerciaux qu'il imposait, avait poussé l'executif à décreter un moratoire sur le paiement des loyers. Moratoire qui a pris fin le 11 septembre dernier. 

Quelles sont les conséquences de la fin de ce moratoire ?

Depuis le 11 septembre, les bailleurs peuvent à nouveau raisonner comme ils le faisaient avant la période de droit dérogatoire liée au Covid-19. Ils sont en mesure de délivrer des commandements de payer. L’activité s’est donc un peu relancée depuis un mois. Mais tous les bailleurs ne fonctionnent pas de la même façon. Ce sont surtout les petits bailleurs, les SCI d’investissement ou les gestionnaires de bien qui délivrent des commandements. Les premiers contentieux que j’ai été amené à gérer concernaient des bailleurs privés ou des petites foncières.

Ce ne sont pas les grands bailleurs institutionnels qui se lancent dans l’action judiciaire. Mon impression est la suivante : les grosses foncières continuent à négocier, à rechercher une solution amiable et ne se précipitent pas pour mettre une pression inutile sur les locataires. Ils sentent très probablement que sur le plan juridique leur position n’est pas certaine. Les preneurs ont des arguments sérieux à leur opposer. Sur le plan économique, ils ont tout intérêt à transiger et à trouver un accord, même bancal. Il sera toujours plus favorable qu’une décision de justice qui reste aléatoire et ne sera pas rendue tout de suite. 

Les commandements que vous recevez sont de quels types ?

Certains commandements, adressés avant l’expiration du moratoire, ne visaient pas la clause résolutoire du contrat de bail. Nos confrères cherchaient avant tout à ce que le bailleur soit payé. Depuis, d’autres commandements, plus classiques, sont reçus et visent bel et bien cette clause. Je ne les ai pas encore contestés.

Quelle est votre stratégie ?

Au cabinet, nous intervenons uniquement du côté des preneurs. Nous sommes avocats des utilisateurs de surface commerciale : nous accompagnons au quotidien des commerçants comme de grandes enseignes nationales. On a donc pris parti très vite et développé une doctrine.

Je contre-attaque tout d’abord un commandement par l’envoi d’un courrier officiel. Je demande alors au bailleur de renoncer aux effets de son commandement car je considère qu’il est délivré de mauvaise foi. De plus, les causes visées dans celui-ci ne sont pas exigibles. Pour moi, la créance n’est pas certaine, elle n’est pas exigible et ne peut être réclamée car les sommes demandées n’avaient pas à être payées en raison de l’exception d’inexécution, de la force majeure ou de la perte de la chose louée.

Vous cherchez aussi à relancer la négociation entre les parties. Pourquoi ?

Quand je reçois un commandement, je le conteste en droit, puis je propose systématiquement une réunion dans un esprit de médiation. Ce que j’essaie de faire, c’est surtout d’éviter une discussion entre confrères afin que les parties puissent dialoguer. Je chercher à faire remonter les besoins des uns et des autres, de faire en sorte que les gens se parlent, d’être un facilitateur. Je tente donc de discuter directement avec le client adverse. Dans ce cas, je quitte ma fonction et je ne plaide pas. De façon générale, les bailleurs sont plutôt à l’écoute. J’essaie de comprendre leurs propres besoins financiers, leurs impératifs, leur politique à long terme, etc. Et nous co-construisons alors une solution. Je cherche à éviter que chacun reste dans sa logique d’affrontement.

La solution se trouve dans la renégociation des clauses et conditions du bail. Beaucoup de bailleurs sont prêts à faire des cadeaux mais pas sans contrepartie. Si le preneur a un peu de liquidité parce qu’il a souscrit un prêt garanti par l’état, par exemple, on propose tout de suite au bailleur une somme d’argent. On peut aussi proposer le paiement d’un loyer à la baisse pendant une période déterminée. On peut revoir les résiliations triennales, mettre en place des renouvellements anticipés du bail, prévoir une durée de bail plus importante, jouer sur le dépôt de garantie, etc. Il faut faire preuve d’imagination !

L’intérêt sur le plan judiciaire, c’est que les juges apprécient le comportement de bonne foi, et le dialogue. Je laisse donc des traces des échanges entre les parties dans mes dossiers, dans l’hypothèse où la négociation échouerait…

Quels sont les arguments juridiques à faire valoir pour les preneurs ?

Au cabinet, nous avons choisi de notifier au bailleur une argumentation basée sur le droit positif. Nous considérons qu’il offre bien davantage que les mesures prises par le gouvernement au mois de mars pour protéger les commerçants les plus fragiles. Notre bon vieux code civil regorge de moyens pour agir.

Nous avons tout d’abord opposé le principe de l’exception d’inexécution (article 1219 du code civil) en le notifiant le plus tôt possible. Il autorise le preneur à ne pas exécuter son obligation à titre d’exception si son co-contractant, le bailleur, n’exécute pas son obligation essentielle et que cette inexécution est d’une certaine gravité.

Mais le bailleur qui se voit imposer une obligation de fermeture administrative ne peut pas exécuter son obligation ?

Il est victime lui aussi d’une certaine façon de ces mesures. Mais la question n’est pas de savoir si le bailleur peut s’exonérer de son obligation de délivrance. Ce qu’on lui reproche, c’est de ne pas avoir été en mesure d’accomplir son obligation essentielle et peu importe de savoir pourquoi. Le bailleur ne pouvait pas délivrer le bien tel que prévu dans le contrat de bail : à savoir permettre au locataire de recevoir du public. Les obligations doivent donc être suspendues de part et d’autre : coté bailleur et preneur.

Comment invoquer la force majeure ?

Une première décision a été rendue au mois de mai et confirmée par la cour d’appel de Paris en juillet. Dans le dossier, la force majeure était prévue et mentionnée dans un contrat de fourniture de prestation d’énergie. La suspension du contrat était ainsi évoquée dans l’hypothèse de la force majeure. Et ces décisions rappellent que la pandémie constitue un cas de force majeure. Cela ne fait donc plus débat selon moi. 

Mais peut-on invoquer cette jurisprudence pour des baux qui n’envisagent pas l’hypothèse de la suspension ? Nous pensons au cabinet qu’il est tout de même possible d’invoquer la force majeure.

Avec la fermeture des bars, des salles de sport, le couvre-feu instauré dans plusieurs métropoles françaises, de nombreux locataires de baux commerciaux sont à nouveau contraints de fermer leurs locaux… Comment voyez-vous l’avenir ?

Il faut que les gros bailleurs en centre commercial ou les foncières sortent de leur logique purement financière. Ils ont vécu une période faste. Il est nécessaire qu’ils rentrent dans une logique économique de terrain. Idéalement, les baux devront être adaptés en réfléchissant aux loyers variables. C’est celui que les commerçants seront en mesure de payer si on continue à vivre des périodes de fermeture. C’est ce que nos clients nous demandent. Mais les bailleurs ne sont pas encore à l’écoute.

Aujourd’hui la plupart des preneurs, même ceux qui ont les reins solides, ont été contraints de prendre des mesures : de recourir au chômage partiel, au prêt garanti par l’état, etc. Ils sont souvent sous perfusion. Mais certains, notamment dans le domaine de la restauration ou des salles de sport, ne pourront pas faire face. La situation est dramatique !

Le prochain champ de bataille, est celui de la révision des baux (article L 145-38 du code de commerce). Les valeurs locatives vont baisser - elles ont déjà baissé dans les grandes métropoles du fait des grèves et du mouvement des gilets jaunes l’année dernière -. Il va donc y avoir des opportunités pour les preneurs afin de rechercher des loyers à la baisse. Et je pense que le gouvernement devra légiférer pour assouplir les conditions de la révision légale. Actuellement, ces conditions sont trop strictes pour permettre au preneur de continuer à exploiter normalement tout en payant un loyer ne correspondant plus à son niveau d’activité. Il est fondamental que le gouvernement intervienne.

 

Le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le maire, annonçait hier à l'Assemblée nationale, la mise en place d'une incitation fiscale à réduire les loyers commerciaux dont pourrait bénéficier les bailleurs. Les détails seront présentés dans la semaine.

 

 

 

 

 

propos recueillis par Sophie Bridier

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