Lutte contre l'esclavage moderne : état des lieux du UK Modern Slavery Act

Lutte contre l'esclavage moderne : état des lieux du UK Modern Slavery Act

09.03.2021

Gestion d'entreprise

Le Business & Human Rights Resource Centre (BHRRC), a publié, en février 2021, un rapport intitulé « Modern Slavery Act : Five years of reporting. Conclusions from monitoring corporate disclosure », visant à faire le point sur 5 ans de mise en oeuvre du UK Modern Slavery Act, la législation britannique qui, depuis 2015, vise à lutter contre l'esclavage moderne. Explications avec Emmanuel Daoud et Marine Doisy, avocats au sein du cabinet Vigo.

Le UK Modern Slavery Act impose aux entreprises opérant au Royaume-Uni et ayant un chiffre d’affaires supérieur à 36 millions de livres sterling, une obligation de reporting sur leur démarche de lutte contre l’esclavage moderne.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Remarque : le UK Modern Slavery Act vise les infractions d’esclavage, servitude et travail forcé, et de trafic d’êtres humains (sections 1 et 2).

Ces entreprises doivent ainsi identifier et répondre aux enjeux liés à l’esclavage moderne dans leurs activités et celles de leurs sous-traitants. Ainsi que le relève le rapport, la loi ne fait toutefois que suggérer, et non imposer, à l’entreprise concernée de détailler ses politiques, ses processus de due diligence, ses initiatives en termes de formation et sensibilisation, ainsi que les indicateurs mis en place pour suivre la mise en œuvre et l’effectivité de ces mesures. En théorie, il suffit donc pour l’entreprise de publier une déclaration sur le sujet, même pour constater qu’elle n’a pris aucune mesure pour combattre le travail forcé et le trafic d’êtres humains, pour être conforme à la loi !

Remarque : la disposition dite « TISC » (Transparency in Supply Chains) impose aux entreprises de publier « une déclaration des étapes que l’organisation a pris durant l’année fiscale pour s’assurer qu’aucun esclavage ou trafic d’êtres humains n’a lieu » dans le cadre de ses activités ou de sa chaîne de fournisseurs (traduction libre).

Seules trois conditions minimales sont requises pour que le reporting soit considéré comme conforme au regard de la loi :

  • la déclaration doit être approuvée par le Board of Directors ;
  • un directeur identifié doit signer cette déclaration, enfin  ;
  • la déclaration doit être facilement identifiable et accessible sur le site internet de l’entreprise. La conformité aux dispositions du UK Modern Slavery Act ne tient ainsi qu’à conditions purement formelles.

A partir de l’analyse de 16 000 déclarations d’entreprises de tous secteurs soumises à cette législation, recueillies dans le Modern Slavery Registry, qu’il a lui-même créé faute de plateforme mise à disposition par le gouvernement, le BHRRC dresse les conclusions de la mise en œuvre de cette loi.

Remarque : le Modern Slavery Registry est désormais clos, le gouvernement britanique ayant annoncé en créer un. Les archives sont néanmoins toujours consultables ici.

S’il constate que plusieurs améliorations ont pu être observées dans le cadre du reporting fait par les entreprises depuis 2015, il conclut principalement à l’échec du UK Modern Slavery Act à parvenir à ses objectifs initiaux.

Remarque : au fur et à mesure, de plus en plus de sociétés mères et de filiales concernées par le reporting étaient identifiées, de plus en plus d’entreprises ont rempli les trois conditions minimales de conformité, et la qualité des informations rapportées par certaines entreprises a également pu être améliorée.

Ainsi :

  1. En dépit d’une non-conformité importante (concernant selon le rapport, 40% des entreprises), aucune injonction ni sanction administrative n’a été imposée aux entreprises non-conformes depuis l’entrée en vigueur de la loi. Pas même une exclusion d’un marché public n’a été décidée sur ce fondement. Le gouvernement a seulement invité la société civile et les investisseurs à inciter les entreprises à se mettre en conformité et a envoyé quelques lettres auxdites entreprises pour leur indiquer que leur non-conformité ne pourrait être tolérée. Hormis ces initiatives, aucune autre action concrète n’a été observée par le BHRRC ;

  2. Les politiques et déclarations publiées par les entreprises en matière de lutte contre l’esclavage moderne restent générales et ne traduisent pas d’engagement réel de leur part, ni a fortiori d’engagement spécifique et concret dans les secteurs d’activités et régions dans lesquels ces entreprises interviennent ;

  3. Le UK Modern Slavery Act n’a pas permis d’amélioration significative dans les pratiques des entreprises pour mettre fin à l’esclavage moderne ;

  4. L’approche restrictive de la loi, qui traite de l’esclavage moderne de façon spécifique, distincte des autres formes d’abus au travail, ne permet pas de mettre en lumière l’ensemble des éléments qui sont pourtant susceptibles de mener ou de témoigner d’une situation d’esclavage moderne. A titre d’exemple, des salaires faibles ou des mauvaises conditions de travail n’ont pas nécessairement à être identifiés dans le cadre du reporting alors même qu’en contribuant à la vulnérabilité des travailleurs, ces éléments participent à augmenter le risque d’exploitation de ces mêmes travailleurs.

Il en résulte, selon le rapport du BHRRC, qu’y compris dans les secteurs à haut risque, le niveau de reporting demandé par le UK Modern Slavery Act n’a pas permis de combattre effectivement et efficacement les risques de travail forcé. De même, certains sujets, pourtant pertinents, ne sont pratiquement jamais abordés dans le cadre du reporting, en particulier la mise en œuvre d’un dialogue avec les travailleurs, syndicats et représentants du personnel (15% des entreprises seulement indiquent le faire), la prise en compte des pratiques propres de l’entreprise, en ce qu’elles peuvent être en soi, susceptibles d’augmenter le risque de travail forcé (par exemple si l’entreprise encourage à tout prix les achats au coût le plus bas, etc.), et l’adoption de plan d’actions et de mesures correctives visant à réagir en cas d’identification d’un risque.

Le BHRRC conclut par conséquent à la nécessité d’obligations contraignantes pour les entreprises concernées, qui devraient aller au-delà des seules obligations de reporting. Cette obligation est d’autant plus importante à l’heure actuelle, ainsi que le relève le rapport, que la pandémie de Covid-19 tend à accroitre le risque de travail forcé pour les travailleurs.

Au terme de son rapport, le BHRRC propose donc plusieurs recommandations, en vue de lutter de façon plus effective contre toutes les formes d’esclavage moderne :

  1. Créer une nouvelle législation interne en la matière, aux termes de laquelle la responsabilité des entreprises serait engagée si elles ne justifient pas d’une due diligence suffisante sur le sujet ;

  2. Mettre en place des interdictions d’importations pour les produits qui seraient liés à de graves violations des droits humains et du droit du travail, notamment en cas de travail forcé ou de travail des enfants ;

  3. Enfin, le rapport recommande que ce nouveau cadre juridique couvre et soit applicable pour les marchés publics, c’est-à-dire que le gouvernement puisse prendre en compte les démarches mises en œuvre par les entreprises en matière de due diligences et de protection des droits humains pour l’octroi des marchés publics.

Le BHRRC n’est pas le premier organisme à relever les insuffisances du UK Modern Slavery Act. Dans le cadre d’une revue de cette législation par une commission parlementaire déjà, de nombreuses recommandations avaient été publiées en vue d’améliorer l’effectivité de la loi (voir ici ou ici).

De même, l’Independant Anti-Slavery Commissioner, dont le rôle a été créé par le UK Modern Slavery Act, avait lui aussi souligné les défaillances de la loi et sollicité des mesures plus contraignantes pour en faire appliquer les dispositions.

Remarque : partie 4 du UK Modern Slavery Act 2015. Son rôle est d’encourager les bonnes pratiques en matière de prévention, de détection et de poursuites judiciaires de l’esclavage moderne et d’identification des victimes.

Le gouvernement britannique a par conséquent annoncé envisager des amendements aux dispositions TISC incluant (Home Office, « Transparency in supply chains consultation, government response », 22 sept. 2020) :

  1. La mise en œuvre par le gouvernement lui-même d’un registre public où les entreprises pourront soumettre directement leur déclaration de reporting (jusqu’à présent, seul le BHRRC avait mis en place une plateforme publique, le Modern Slavery Registry) ;

  2. Une deadline unique et fixe pour le reporting de l’ensemble des entreprises, plutôt que forcément liée à la fin de l’année fiscale de chaque organisme ;

  3. L’extension de l’obligation de reporting au secteur public ;

  4. Les critères de reporting seront rendus obligatoires ;

  5. L’imposition de sanctions, y compris financières, en cas de non-conformité, une fois qu’un organisme unique supervisant l’exécution de la loi sera créé.

Le BHRRC prévient toutefois d’ores et déjà dans son rapport, que ces mesures, bien que bienvenues, sont insuffisantes. La législation européenne en matière de devoir de vigilance en train de voir le jour, pourra ainsi, espérons-le, pallier les insuffisances de la législation interne britannique, et apporter aux entreprises une sécurité juridique plus grande concernant les standards attendus de leur part.

Emmanuel Daoud et Marine Doisy
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