L’action collective initiée par Me. Leguevaques veut «imposer aux grandes sociétés de ne pas distribuer leurs dividendes»

L’action collective initiée par Me. Leguevaques veut «imposer aux grandes sociétés de ne pas distribuer leurs dividendes»

10.04.2020

Gestion d'entreprise

En 72 heures, l’avocat au barreau de Paris a fédéré plus de 1 000 personnes et 4 sociétés. Toutes se sont ralliées à son action : celle de déposer un référé liberté devant le Conseil d’Etat - via une action collective lancée sur sa plateforme mySMARTCab - pour enjoindre au gouvernement d’être ferme sur les dividendes versés par les grands groupes en 2020.

Pour l’avocat, il y aurait deux poids deux mesures : d’un côté plusieurs ordonnances demandent aux salariés de faire des efforts pendant la crise sanitaire du Covid-19. De l’autre, des milliards d’euros de dividendes pourraient être versés aux actionnaires par plusieurs sociétés du CAC40, certaines ayant pourtant recours au dispositif de chômage partiel financé par l’Etat. Christophe Leguevaques nous détaille ses arguments juridiques portés devant la plus Haute juridiction administrative mercredi dernier. 

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Comment avez vous organisé l’action collective ?

Nous avons été interrogés par des citoyens sur les efforts demandés aux salariés et aux TPE-PME en cette période de crise sanitaire, alors que certains grands groupes vont continuer à distribuer des dizaines de milliards d’euros à leurs actionnaires et salariés dirigeants tout en profitant parfois des avantages mis en place par le gouvernement pour sauver l’emploi (comme le chômage partiel, par exemple). La question juridique n’était pas facile car nous pouvions nous heurter à un dogme : celui du droit de la propriété privée. Nous avons trouvé les moyens de le contourner ou tout du moins de le relativiser pour faire valoir la solidarité nationale. 

Les actions collectives conjointes sont un peu notre spécialité. Cela fait plusieurs années que nous menons des actions citoyennes : avec les dossiers sur le médicament lévothyrox, le compteur linky, sur la protection sociale des livreurs d’Uber Eats, ou encore contre l’utilisation du pesticide Chlordecone aux Antilles. L’objectif est de rassembler un grand nombre de demandeurs sur une question juridique afin de réunir à la fois des informations suffisantes et des moyens pour rivaliser avec les grands acteurs économiques et judiciaires représentés par les meilleurs avocats. On peut ainsi mutualiser les coûts et peser en terme économique. Nous n’avons pas voulu aller sur le terrain de l’action de groupe qui est un piège procédural. Elle ne fonctionne pas en France notamment parce qu’elle est longue et très encadrée. 

Pourquoi allez devant le Conseil d’Etat ?

Actuellement il est impossible d’agir auprès d’un parlementaire pour pousser une loi imposant le non versement des dividendes par les grands groupes. Or, le 20 avril, Vivendi tiendra son assemblée générale (et a déjà annoncé vouloir verser 697 millions d’euros de dividendes, alors que certaines de ses filiales ont mis leurs salariés au chômage partiel ndlr). Il faut aller vite. Et il existe en droit public la théorie des circonstances exceptionnelles. Elle a été découverte par le Conseil d’Etat lors de la première guerre mondiale. Elle permet au gouvernement, en présence de circonstances exceptionnelles, de prendre des mesures législatives ou fiscales qui normalement ne sont pas de son ressort. Nous avons donc décidé, en nous fondant sur divers textes en droit des sociétés, en droit civil, en droit public, etc., d’enjoindre au gouvernement, via un référé liberté porté devant le Conseil d’Etat, de prendre plusieurs mesures règlementaires. Le but est de d’imposer aux grandes sociétés du CAC40 ou réalisant plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires, de ne pas distribuer leurs dividendes et de le geler ainsi que de ne pas racheter d’actions. Puis, nous demandons à ce que l’action publique assure le séquestre de ces fonds auprès de la Caisse des dépôts et consignation (CDC). Nous souhaitons aussi que le gouvernement crée une contribution exceptionnelle de solidarité correspondant à 75 % du montant des dividendes. Les fonds ainsi prélevés pourraient permettre d’abonder le fonds de solidarité déjà mis en place par l’Etat et un plan de relance écologique. 

Avez-vous une chance de voir votre requête aboutir ?

Si le Conseil d’Etat nous donne en partie raison, cela serait déjà extraordinaire. Je ne suis pas certain qu’il donne des instructions fermes au gouvernement. Nous avons donc prévu des demandes subsidiaires dans notre mémoire visant à geler les dividendes, les placer à la CDC et attendre que le Parlement puisse se réunir à nouveau, à la sortie du confinement, pour décider comment les utiliser. 

Souvent le Conseil d’Etat donne raison en creux. C’est ce qu’il s’est passé pour la requête rédigée par le Syndicat des jeunes médecins demandant à ce qu’un confinement total soit institué par le gouvernement. Leur requête a été rejetée par la plus Haute juridiction administrative le 22 mars. Toutefois ses recommandations au gouvernement sont allées dans le sens de ce que souhaitaient les médecins : durcir le confinement (A la suite de la décision du Conseil d’Etat, un décret du 24 mars a précisé les motifs d’exceptions au confinement à domicile telles que la pratique sportive individuelle dans un rayon d’un kilomètre et pour une heure au maximum, ndlr).  

Nous avons déposé la requête mercredi 8 avril. Le Conseil d’Etat dispose de 48 heures à une semaine pour statuer. Si d’ici ce soir nous n’avons pas de date d’audience, cela voudra vraisemblablement dire que notre recours est rejeté. 

Dans votre requête vous faites notamment référence à la loi Pacte ayant instauré l’objet social de la société. Pourquoi ?

Depuis une trentaine d’années on nous explique qu’il y a deux conceptions du capitalisme : la vision anglo-saxonne avec les « shareholders values ». La société est là pour réaliser des profits et les distribuer à ses actionnaires. Et le capitalisme rhénan qui considère que la société doit enrichir les parties prenantes « les stakeholders » : ses salariés, actionnaires, tout en tenant compte des impératifs environnementaux, etc. Ma lecture de la modification ayant été faite à l’article 1833 du code civil par la loi Pacte est la suivante : le législateur a pris partie en faveur des stakeholders. On doit utiliser ce texte pour limiter les politiques de redistributions massives de dividendes aux actionnaires ou de salaires mirobolants attribués à certains managers de grands groupes. Il faut abandonner le court termisme pour des stratégies à long terme.

Bercy a pourtant demandé aux entreprises, bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie, de ne pas verser de dividendes ou de racheter des actions. Cela ne va pas assez loin selon vous ?

Ce ne sont que des déclarations.  Et je ne suis pas certain que cette vision soit réalisable en droit. N’est ce pas une rupture d’égalité potentiellement sanctionnable devant le Conseil constitutionnel ? Comment justifier le refus du soutien de l’Etat à certaines entreprises et pas à d’autres ? Au prétexte qu’elles ont versé des dividendes ? Je ne pense pas que cela soit un facteur de discrimination suffisant. 

En même temps, des mesures législatives ont bel et bien été prises pour permettre le recours au chômage partiel, exposer certains salariés au virus ou remettre en cause certains acquis sociaux (durée du travail, repos hebdomadaire, congé, etc.). C’est inégalitaire. 

Vous justifiez votre recours par la nécessaire solidarité nationale à instituer face à une « calamité nationale ». Pouvez-vous nous expliquer ce point de doit ?

Le paragraphe 12 du préambule de la Constitution de 1946 - ayant une valeur constitutionnelle – vise l’hypothèse de calamité nationale. Il me semble que nous sommes dans une telle situation. Pour y faire face, le texte prévoit que tous les Français doivent faire preuve de solidarité et être traités de manière égalitaire. En nous appuyant sur ce texte, nous estimons qu’il doit s’appliquer aux entreprises. 

propos recueillis par Sophie Bridier
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