M&A :  «Il y aura des opportunités avec des prix plus faibles en sortie de crise», René-Pierre Andlauer

M&A : «Il y aura des opportunités avec des prix plus faibles en sortie de crise», René-Pierre Andlauer

21.04.2020

Gestion d'entreprise

Opérations reportées ou annulées, redéfinition du prix de la cible, due diligence, etc. Les effets de l'épidémie de Covid-19 se font déjà ressentir sur les opérations de M&A. René-Pierre Andlauer, associé au sein du cabinet d'avocats Cornet Vincent Ségurel, fait le point sur la situation.

Certaines opérations pourront être reportées jusqu'en 2021, estime René-Pierre Andlauer, associé au sein du cabinet d'avocats Cornet Vincent Ségurel. La période pourrait même être encore plus compliquée pour les opérations internationales. 

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Quel est l'impact du coronavirus sur les opérations de M&A ?

Dès le 12 mars, nous avons constaté les premiers effets de la crise du Covid-19. Une opération qui devait être finalisée le 13 mars a été annulée une heure avant l’heure limite de versement de fonds par un fonds d’investissement. Il avait fait jouer la clause Mac (material adverse change - clause d’événement défavorable significatif).

Depuis, nous avons un certain nombre d’opérations qui sont a minima reportées. Certaines sont annulées ou le seront bientôt à mon avis. Les opérations seront reportées au moins jusqu’en septembre, et pour certaines on a déjà parlé de fin 2020 ou 2021.

Nous n’avons plus de vision sur ce qui s’est passé dans les sociétés depuis le 15 mars jusqu’à aujourd’hui : sur la perte de chiffre d’affaires, l’état de la trésorerie, etc.  Cela rend la lisibilité d’une société plus difficile et constitue un gros problème pratique pour les acquéreurs et les investisseurs.

Il faut une forme de retour à la normale pour refaire un arrêté comptable au mieux au 30 juin, au 31 juillet, ou au 30 septembre en fonction de la date de fin de confinement. Et là on relancera le processus d’acquisition, si l’entreprise acquéreur est toujours intéressée et si elle est encore en capacité d’y procéder. Des acquéreurs seront fragilisés par la crise et ils basculeront donc vers des positions défensives.

La période sera peut-être encore plus compliquée pour les opérations internationales. Les déplacements vont être plus difficiles avec la fermeture des frontières et les mesures relatives au confinement et au déconfinement sont spécifiques à chaque Etat. Il y aura peut-être un temps supplémentaire avant la reprise de ces opérations.

La crise aura-t-elle des conséquences sur le prix des opérations ?

Dans plusieurs secteurs touchés par la crise (la presse, l’hôtellerie, le bâtiment, etc.), il va être difficile de définir le prix d’une société. Mais plus généralement, dans tous les secteurs, toute projection du business plan est aujourd’hui compliquée. C’est la raison pour laquelle plusieurs opérations sont reportées car l’acquéreur peut soit douter de l’intérêt de l’opération dans le contexte actuel, soit de sa capacité à réaliser l’opération quand ce n’est pas le prêteur qui lui-même doute de la capacité de l’acquéreur à financer l’opération.s

En général, si la banque vous connaît et croit en votre entreprise, elle peut continuer à vous suivre. Mais elle pourra aussi vous demander de redéfinir le prix de la cible ou de plus le justifier si le prix initial est maintenu. Il est possible que l’acquéreur doive repasser devant le comité d’investissement et si la banque doute du prix de cession, cela bloquera la possibilité de l’emprunt. Le « futur » emprunteur est donc aujourd’hui parfois dans le flou.

Quelles sont les principales inquiétudes de vos clients ?

Aujourd’hui, les entreprises ont dû arrêter leur activité, leur chaîne de production. Il faudra les relancer en mettant en sécurité les salariés. L’urgence du quotidien prend trop de place et les entreprises n’ont plus ou plus assez de temps pour se consacrer à ces opérations, qui sont très prenantes pour le management. Elles sont par ailleurs dans le flou par rapport à leurs résultats et à ceux de la cible.

Ce n’est dès lors pas une période propice à l’achat. L’équipe de direction est concentrée sur le présent de la société et beaucoup moins sur l’évolution que permet une acquisition. En revanche, cela n’empêche pas certains de se projeter déjà. Il y aura quelques opérations spécifiques sur des sociétés profitant de la crise (dans les jeux vidéos, la fabrication de matériel médical, ou la vente en ligne par exemple) et il y aura surtout des opportunités avec des prix plus faibles en sortie de crise. Il y en a d’ailleurs déjà avec l’ouverture des premières procédures collectives pour des entreprises dont la crise a révélé les fragilités. En outre, des modes de consommation vont évoluer et des entreprises seront affaiblies par la crise.

Les banques peuvent-elles se désengager ?

Plus on est en amont de l’opération, plus la banque peut se désengager. Si on est au term sheet (définition des principaux termes du contrat de prêt à conclure), la banque pourra s’arrêter. Si on a signé l’offre, elle sera tenue par l’offre mais elle pourra néanmoins vous conseiller de reporter l’opération. En général, vous n’allez pas fragiliser votre relation avec le banquier à ce moment-là. Il sera difficile pour l’équipe de direction d’une société d’aller à l’encontre de l’opinion du banquier. Le rapport de force sera compliqué.

Quels points de vigilance pour l'entreprise acquéreur ?

L’entreprise acquéreur devra obtenir et revérifier les chiffres actuels de la société, voir s’ils sont ligne avec le business plan, ce qui sera rarement le cas dans les premières semaines suivant la crise. Elle devra vérifier la solvabilité des clients de la cible et la solidité de ses fournisseurs.

Les sites d’implantation géographiques de l’outil industriel vont aussi compter. Avant, on regardait les marchés de vente. Désormais, si, par exemple, une entreprise ne produit qu’en Chine, cela pourra peut-être poser problème. Il y aura une prise en compte de la carte de la chaîne de production. Ces risques n’étaient pas toujours mesurés auparavant et ils le seront désormais par la force des choses.

Il faudra également vérifier la capacité de la société à poursuivre dans des circonstances de crise. Ce sera un élément apprécié. Il y a des entreprises qui ont plus ou moins bien réagi. Cela sera en faveur ou pas du management en place.

La situation actualisée de la trésorerie de la cible devra être analysée. Est-ce qu’elle a consommé tous ses fonds propres en raison de sa fermeture ? 
De façon plus générale, il faudra aussi prêter attention au climat social avant la crise. Dans les entreprises où il y avait des tensions, cela sera plus difficile de remobiliser les gens à la sortie de la crise, notamment s’ils n’avaient pas déjà confiance dans le projet ou les dirigeants.

On observera donc plus longtemps les entreprises qui ont des difficultés (sociales, financières, managériales, etc.) avant de réaliser une opération.

Quel impact sur la phase d'audit ?

Les audits sont ralentis. Là encore, les gens se concentrent sur le quotidien. Le dirigeant de la société cible va d’abord faire avancer son entreprise. Certaines opérations sont repoussées ou suspendues. Mais, pour les audits en cours comme pour ceux à venir, nous retrouvons les mêmes points de vigilance : la qualité des créances, la façon dont les provisions sont passées dans la société, qui sera un sujet encore plus discuté qu’à l’accoutumée pendant cette période.

Un point important concerne le social : est-ce que toutes les nouvelles mesures qui ont vu le jour avec la crise sanitaire ont bien été appliquées ? Est-ce que les salariés ont bien été protégés ? Quel impact dans le cas contraire ?

Cela fera partie des points d’attention supplémentaires. Il y aura donc des sujets qu’il faudra approfondir et sur lesquels il sera nécessaire de redoubler de vigilance.

propos recueillis par Leslie Brassac
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