Louis Ladaigue, avocat au sein du cabinet Fromont Briens, analyse les conséquences pratiques et les difficultés issues de la disposition de la loi du 5 août 2021 qui permet le maintien des garanties de protection sociale complémentaire pendant la suspension du contrat du travail s'agissant des salariés soumis à l'obligation vaccinale.
La qualité d’un texte de loi examiné et voté par le Parlement en cinq jours est une gageure. Dans ce contexte, légiférer de façon satisfaisante sur la protection sociale complémentaire (PSC) des salariés (1) relève même de l’exploit.
C’est en tout cas ce qu’a tenté le Sénat à travers un amendement n° COM-216 déposé et voté le 23 juillet, figurant aujourd’hui à l’article 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.
Décortiquer cette disposition pour le moins originale est également une bonne occasion de revenir sur le maintien des dispositifs de PSC aux salariés faisant l’objet d’une suspension non-indemnisée du contrat de travail.
Rappelons très en synthèse qu’une des principales dispositions en droit du travail de la loi du 5 août 2021 est de créer une faculté pour les employeurs de suspendre le contrat de travail :
- soit des salariés ne pouvant plus accéder à leur lieu de travail à défaut de pouvoir présenter un "pass sanitaire". Cette mesure prévue à l’article 1er de la loi concerne les salariés affectés à certains lieux de travail et s’appliquera à partir du 30 août ;
- soit des salariés dans l’incapacité poursuivre leur activité professionnelle à défaut d’être vaccinés contre le Covid-19. Cette mesure prévue à l’article 14 de la loi concerne les salariés travaillant dans les secteurs sanitaires et médico-social soumis à une obligation vaccinale et s’applique progressivement depuis le 7 août, avec une période transitoire.
Dans les deux cas, cette suspension "s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération" (articles 1er, II, C, 1, alinéa 1er et 14, II, alinéa 2).
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Le régime de la suspension du contrat de travail des salariés ne respectant pas leur obligation vaccinale (second cas) est toutefois plus détaillé. Le texte (article 14, II, alinéa 2) ajoute en effet que "pendant cette suspension, le salarié conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit", cette phrase étant signalée "d’ordre public". Cette formulation très large, bien qu’assez peu juridique car ne renvoyant pas aux définitions légales habituelles de la PSC, englobe notamment l’ensemble des dispositifs de "frais de santé", de prévoyance "lourde" et de retraite supplémentaire (2).
Cette disposition est tout d’abord étonnante dans son esprit.
Certes, si la suspension du contrat de travail, sauf disposition dérogatoire, prive par principe le salarié de sa rémunération contractuelle, l’intéressé continue de bénéficier du statut collectif applicable dans l’entreprise dans les conditions prévues par les actes de droit du travail fixant ce statut (convention ou accord collectif de branche ou d’entreprise, décision unilatérale de l’employeur, etc.), en ce compris les actes instituant des avantages de PSC.
Or, les actes mettant en place ces avantages ne prévoient quasiment jamais, en pratique, le maintien de ces dispositifs aux salariés en suspension de contrat de travail non indemnisée (3). Tout au plus, il peut de temps en temps arriver que les salariés dans ces situations soient autorisés à continuer à bénéficier du régime sous réserve du paiement intégral de la cotisation d’assurance (c’est-à-dire sans financement patronal).
Ce constat s’explique par le fait qu’il est impossible de trouver à ce jour, dans les obligations de droit du travail pesant sur les employeurs, une quelconque obligation de maintien des garanties de PSC aux salariés dont le contrat de travail est suspendu sans maintien de la rémunération.
Concernant les règles subordonnant les exonérations de cotisations sociales applicables au financement patronal des régimes de PSC, et plus particulièrement le respect des caractères obligatoire et collectif de ces régimes, là encore, aucun texte légal ou réglementaire, ni aucune doctrine administrative ne fonde une telle obligation de maintien.
On rappellera au contraire que ces règles, établies après quelques hésitations entre 2007 et 2009 puis refondues très récemment en juin 2021 (instruction interministérielle du 17 juin 2021), prévoient en toute logique que "le bénéfice de l’exclusion d’assiette ne peut pas être remis en cause au motif que le dispositif n’organiserait pas le maintien des garanties au profit des salariés absents » dans les "cas où la période de suspension du contrat de travail n’est pas indemnisée".
D’un point de vue théorique, il est en effet assez cohérent de considérer que "l’accessoire suit le principal" et donc que l’employeur, dans les cas où il n’est pas tenu de maintenir la rémunération principale, n’est également pas tenu de maintenir les éléments de rémunération périphériques tels que les garanties de PSC.
Mais aussi et surtout, en pratique, la majorité des dispositifs de PSC étant financés paritairement par le salarié et l’employeur, il est indispensable pour l’employeur de pouvoir récupérer mensuellement la part salariale du financement de cette couverture pendant toute sa durée, puisqu’il doit reverser la cotisation d’assurance globale à l’organisme assureur.
Tant que l’employeur verse un revenu au salarié (en temps normal ou lorsque la suspension est indemnisée), cette participation du salarié est aisément prélevée, ou précomptée, sur ce revenu.
En revanche, il est beaucoup plus délicat pour l’employeur de recouvrer la quote-part salariale lorsqu’aucun flux financier ne transite par lui. C’est pourquoi, de façon pragmatique, la doctrine administrative en matière d’exonérations de cotisations sociales prévoit que le maintien des garanties de PSC en cas de suspension du contrat de travail n’est pas obligatoire lorsque le précompte de la cotisation salariale est impossible, c’est-à-dire lorsque la suspension n’est pas indemnisée par l’employeur.
Cette disposition de la loi du 5 août 2021 imposant au contraire le maintien des garanties de PSC aux salariés suspendus sans rémunération faute de respecter leur obligation vaccinale est donc inédite et singulière au regard de l’ensemble des dispositions légales, de quelque nature que ce soit, existant à ce jour. On comprend d’ailleurs difficilement pourquoi ce maintien concerne les seuls salariés soumis à une obligation vaccinale, et non aussi ceux dont le lieu de travail implique de disposer d’un "pass sanitaire".
Quoi qu’il en soit, dans une matière juridique assez technique, cette originalité peut susciter une certaine méfiance, ici malheureusement fondée : ses auteurs n’ayant pas particulièrement anticipé sa mise en pratique, cette disposition se révèle peu claire et assez perfectible. Le texte reste en effet tout simplement muet sur les modalités de mise en œuvre de cette obligation.
Pourtant, lorsqu’elle dépasse quelques jours et ne peut donc plus être négligée, la gestion en PSC des cas de suspension de contrat de travail non indemnisée vient avec son lot de problématiques.
Si on veut lui donner un sens, ce texte impose a minima à l’employeur de permettre au salarié de continuer à bénéficier de sa couverture d’assurance sans interruption.
Mais l’employeur doit-il maintenir sa contribution financière à la couverture ? Certes, le texte ne l’exprime pas expressément, mais c’est pourtant là le principal avantage garanti par l’employeur à ses salariés dans le cadre d’un régime de PSC. Difficile donc de considérer que l’intéressé continue à bénéficier desdites garanties si cet avantage lui est retiré...
Qu’en est-il de la part salariale ? Rien ne justifierait que le salarié soit dispensé de s’acquitter de sa contribution. Au contraire, on observera tout d’abord que lorsque les textes veulent imposer un maintien sans frais pour le salarié, ils le prévoient expressément, à l’image de l’article L.911-8 du CSS relatif à la portabilité des couvertures de "frais de santé" et de prévoyance "lourde" pendant les périodes d’indemnisation du chômage, faisant clairement référence à un "maintien à titre gratuit". Au cas particulier, il n’y a donc pas de gratuité sans texte.
Il serait de plus absurde que les salariés en cause, sanctionnés en raison de la violation d’une obligation légale, soient à cet égard légalement plus avantagés que l’ensemble des autres salariés de l’entreprise.
Pour autant, nous l’avons vu, se pose dès lors la difficulté du recouvrement de cette cotisation salariale toujours due, comme dans tous les cas de suspension non indemnisée. À ne rien anticiper, l’employeur serait contraint d’avancer cette somme, le salarié accumulant de son côté une dette, matérialisée par des bulletins de salaire négatifs, à régler lors de la reprise du travail (ou, dans certains cas, au moment de son départ, par exemple sur le solde de tout compte).
Afin d’éviter cette situation, on peut se demander si l’employeur serait légitime à conditionner clairement le maintien de la couverture au paiement par le salarié de sa part de cotisations par tout autre moyen pendant la période de suspension (chèque, virement, prélèvement automatique, etc.).
Enfin d’ailleurs, face à ces inconvénients concrets, certains employeurs trouveront même peut être souhaitable de tout simplement prendre en charge cette cotisation salariale. Une pratique qui plus est conforme à l’instruction précitée du 17 juin 2021, autorisant les employeurs à prévoir librement, sans remise en cause du caractère collectif des régimes, des modalités plus favorables de maintien des dispositifs de PSC dans les cas de suspension du contrat de travail qu’ils souhaitent.
Outre l’impossibilité du précompte, l’absence de revenu pose une difficulté évidente quant au calcul de la cotisation d’assurance. En effet, si de nombreux régimes de "frais de santé" sont financés au moyen d’une cotisation forfaitaire (montant fixe exprimé en euros), certains d’entre eux, ainsi que l’ensemble des régimes de prévoyance "lourde" et de retraite supplémentaire, reposent sur une cotisation proportionnelle à la rémunération (montant variable exprimé en pourcentage du salaire).
À défaut de rémunération, ces cotisations ne peuvent donc être calculées selon les règles habituelles et des mesures "correctrices" sont nécessaires. Force est de constater que le législateur a oublié d’en prévoir, rendant cette disposition insuffisante pour s’appliquer à elle seule.
Les employeurs concernés vont donc devoir improviser, par exemple en asseyant la cotisation sur un salaire reconstitué correspondant à la rémunération des 12 derniers mois, ou à la rémunération théorique contractuelle, et surtout corrélativement demander à leur organisme assureur des aménagements contractuels sur ce point, d’autant que les contrats d’assurance prévoient généralement la suspension de la garantie en cas de suspension du contrat de travail lorsque celle-ci n’est pas rémunérée.
Sur ce point d’ailleurs, le caractère "d’ordre public" de ce texte, dont le Sénat avait précisé "qu’il ne pourra y être dérogé par voie contractuelle" (4), a-t-il une incidence sur lesdits contrats d’assurance ?
C’est en tout cas ce que suggère l’administration (en l’occurrence, le ministère de la fonction publique au sujet d’une disposition identique concernant les agents publics suspendus) dans un document certes sans aucune valeur contraignante, selon lequel l’intéressé doit continuer à bénéficier du régime "même si le règlement de mutuelle ou le contrat d’assurance prévoit que ses garanties cessent lorsqu’il est suspendu".
En ce sens, il est vrai que la rédaction de ce texte ne fait aucune distinction, dans son effet, selon les actes nécessaires à la mise en œuvre des régimes de PSC à maintenir (acte de droit du travail et contrat d’assurance). Mais à l’inverse, il s’agit manifestement d’un texte ayant vocation, dans son ensemble, à régir exclusivement des rapports entre employeur et salarié. Davantage de clarté aurait été bienvenue.
Quoi qu’il en soit, nous l’avons vu, les contrats d’assurance devront bien être modifiés pour permettre à l’employeur de respecter son obligation de droit du travail. À défaut de couverture lors d’un sinistre intervenu pendant la période de suspension, l’employeur s’exposerait à une action du salarié ou de ses ayants droit en réparation du préjudice subi pour défaut d’indemnisation.
Ce serait là le principal risque pesant sur lui en cas d’inobservation de cette obligation, puisqu’on peut sans aucun doute exclure toute incidence sur le traitement social de faveur du financement patronal (5). En effet, les textes d’exonération sont d’interprétation stricte et rien ne permet de raccrocher ce texte et cette obligation de maintien aux conditions d’exonération, qui constituent un corps de règles autonomes du droit du travail et du droit des assurances.
À ce jour, bien que de toute façon dépourvues de toute valeur contraignante et ne liant donc pas les juges, toutes les publications administratives (à savoir, plusieurs "questions / réponses" mis en ligne par les ministères depuis le 9 août) ont soigneusement évité la question.
On sait que les administrations centrales ne voient pas d’un bon œil ce type d’ajouts de dernières minutes qui n’ont pas pu recevoir la validation de leurs services lors de l’examen des textes, et on les devine donc assez embarrassées par cette disposition "surprise"… Pour autant, la Direction de la sécurité sociale envisage de commenter prochainement cette disposition.
(1) Cette chronique n’aborde pas la situation des agents publics.
(2) La lecture des travaux parlementaires prête toutefois à confusion puisque l’objet de l’amendement n° COM-216 indique qu’"il s’agit des garanties complémentaires en matière de maternité, de maladie ou d’accident, mais aussi en matière de prévoyance", intention confirmée par l’avis de la commission des affaires sociales du Sénat : "notamment les garanties minimales prévues à l’article L.911-7 du code de la sécurité sociale destinées à couvrir les frais occasionnés par une maternité, une maladie ou un accident, ainsi que, le cas échéant, les garanties destinées à couvrir les risques d’incapacité de travail, d’invalidité, d’inaptitude ou de décès". Il est curieux que les parlementaires n’aient, à cette occasion, pas évoqué la retraite supplémentaire par exemple, alors qu’elle est sans aucun doute visée par la rédaction retenue.
(3) Voir par exemple au sein des régimes de "frais de santé" (article 1.1.3 de l’accord du 7 octobre 2015) et de prévoyance (article 2 bis de l’accord du 27 mars 1997) de la CCN "Syntec".
(4) Avis de la commission des affaires sociales du Sénat précité.
(5) La seule incidence en la matière concernera, à la marge, les calculs de limite d’exonération de la participation patronale. On peut assurément appliquer l’instruction du 17 juin 2021 précitée, selon laquelle "par mesure de simplification, il est admis que la rémunération mensuelle à prendre en compte dans le calcul de la limite d’exonération est égale au montant moyen des rémunérations perçues au cours des douze mois précédant".
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