Aucune rémunération ni indemnisation n'est due à l'agent immobilier par le propriétaire qui renonce à vendre en cas de préemption de la commune, puis se ravise et vend de gré à gré au préempteur après expiration de la clause pénale du mandat de vente, sauf à démontrer une fraude ou un dol.
Un droit à commission perdu en l’absence de préemption effective
Lors de l’exercice du droit de préemption urbain (DPU), la substitution du préempteur à l’acquéreur initial trouvé par une agence immobilière ne porte pas atteinte au droit à commission de celle-ci tel qu’il est conventionnellement prévu, lorsque la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) mentionne le montant des honoraires prévus (Cass. 3e civ., 10 mars 1993, n° 90-19.578, n° 448 P) et qui en a la charge (Cass. 3e civ., 26 sept. 2007, n° 06-17.337, n° 863 P + B). Toutefois, les juges considèrent que l’acquisition ne se situe plus dans le cadre du DPU lorsque le propriétaire a consenti à vendre son bien à l’amiable à la collectivité publique moyennant un prix négocié (Cass. 3e civ., 16 déc. 2009, n° 08-16.506, n° 1505 D). Autrement dit, le droit à commission de l’agent immobilier n’est reconnu que s’il y a eu effectivement préemption.
La présente affaire illustre ce principe. Le propriétaire a confié à un agent immobilier un mandat exclusif de vendre un bien lui appartenant. Il a signé un compromis de vente au profit d’un tiers trouvé par l’agent. Après que celui-ci lui a adressé une DIA, la commune a exercé son droit de préemption à un prix sensiblement inférieur, commission incluse. Comme il en a la faculté en application de l’article R. 213-10 du code de l’urbanisme, le propriétaire a renoncé à la vente en raison du prix offert et, par lettre recommandée avec avis de réception, il a révoqué le mandat. Quelques semaines plus tard, la commune a décidé de procéder à l’acquisition amiable du bien à un prix rehaussé, et la vente de gré à gré est finalement intervenue par acte authentique un peu plus de 3 mois après l’expiration du mandat, sans commission d’agence.
L’intermédiaire a alors assigné les vendeurs et la commune en justice. Les juges lui refusent tout droit à rémunération en précisant que le titulaire du droit de préemption n’est tenu de payer la commission de l’intermédiaire qu’en cas de transfert effectif de la propriété du bien, et qu’en l’espèce, le propriétaire avait renoncé à la vente en toute légalité et en respectant les termes du mandat, de sorte que le droit à commission de l’agent immobilier était éteint au regard de la vente initiale à défaut de substitution à l’acquéreur. Dès lors, la vente de gré à gré, intervenue après la période durant laquelle le propriétaire ne pouvait pas traiter avec la commune, n’ouvrait droit à aucune rémunération pour l’agent.
Une indemnisation dépendante de la rédaction de la clause pénale
Dans son pourvoi en cassation, le mandataire demandait aussi une indemnisation par application de la clause pénale du mandat, selon laquelle « le mandant s’interdit pendant la durée du mandat et pendant une durée de 3 mois suivant son expiration, de traiter directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui ». La Cour de cassation rejette également ce moyen, le propriétaire ayant, aux termes de la clause pénale, recouvré toute liberté de vendre 3 mois après l’expiration du mandat, ce qui lui permettait de conclure la vente 3 semaines plus tard avec la commune, sans être tenu à l’égard de l’agent immobilier.
Remarque : les juges assimilent la commune à "un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui" pour avoir préempté le bien dans le cadre du compromis signé pendant la durée de validité du mandat exclusif.
Cette décision devrait inciter à stipuler une durée de validité des clauses pénales des mandats la moins brève possible tout en restant raisonnable. En effet, c’est la durée d’interdiction de traiter pendant 3 mois après le terme du mandat qui s’est ici avérée trop courte pour l’agent, la clause pénale ayant expiré à peine 3 semaines avant la signature de l’acte authentique de vente entre le propriétaire et la commune. Si cette clause avait été stipulée pour une durée plus longue, tout en restant dans des limites raisonnables, conformément aux recommandations de la Commission des clauses abusives (Recomm. Comm. clauses abusives n° 2002-01, 13 déc. 2001 : BOCCRF n° 3, 26 févr. 2002), le mandataire aurait pu envisager une indemnisation. La Cour de cassation a en effet déjà validé des clauses pénales stipulées pour des durées allant jusqu’à 2 ans, dès lors que leurs termes sont clairs et précis (Cass. 1re civ., 2 oct. 2007, n° 06-14.238, n° 1095 D ; Cass. 1re civ., 6 oct. 2011, n° 10-15.661, n° 921 D ; Cass. 1re civ., 20 oct. 2011, n° 10-25.199, n° 989 D). Et si le vendeur et la commune avaient signé la vente définitive après une telle durée, le mandataire aurait pu démontrer plus facilement que cette longue attente avait eu pour but d’éluder ses honoraires, ce qui ne peut pas ressortir avec une interdiction de contracter de seulement 3 mois après l’expiration du mandat, s’agissant d’un délai tout à fait ordinaire pour conclure une vente. L’agent immobilier qui avait soulevé ce moyen de l’existence de manœuvres dolosives ou d’une collusion frauduleuse est d’ailleurs débouté sur ce point, la seule circonstance de la délibération du conseil municipal autorisant l’acquisition 3 semaines après l’expiration du mandat étant jugée insuffisante à établir la preuve requise d’une fraude du vendeur et de la commune acquéreur.
La gestion immobilière regroupe un ensemble de concepts juridiques et financiers appliqués aux immeubles (au sens juridique du terme). La gestion immobilière se rapproche de la gestion d’entreprise dans la mesure où les investissements réalisés vont générer des revenus, différents lois et règlements issus de domaines variés du droit venant s’appliquer selon les opérations envisagées.
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