Dans le cadre d’une action en justice qui oppose six associations au groupe Total, la cour d’appel de Versailles va devoir décider si la mise en cause d’une entreprise pour manquement à son devoir de vigilance relève du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce.
C’est la toute première action en justice fondée sur la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre introduite contre une entreprise. En juin 2019, deux associations françaises, Survie et les Amis de la terre, et quatre ougandaises ont mis en demeure le groupe Total de combler les lacunes de son plan de vigilance concernant ses activités en Ouganda, et de mettre en œuvre de façon effective les mesures de prévention des risques sur les droits humains et l’environnement liées à ces mêmes activités.
Sont visés par cette action un projet de forage et d’exploitation en Ouganda, dont une partie dans un parc naturel protégé, et la construction d’un oléoduc traversant l’Ouganda et la Tanzanie. Les six associations dénoncent les déplacements massifs de population liés à ces deux chantiers, leur impact sur les communautés locales privées de leurs terres agricoles avant même d’avoir reçu toute compensation, ainsi que la multiplication des menaces et des intimidations à l’encontre des leadeurs communautaires, des organisations de la société civile et des journalistes mobilisés contre ces projets.
Estimant insuffisante la réponse de la multinationale à cette mise en demeure, les associations ont assigné le groupe pétrolier en référé en octobre 2019 devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Elles demandent au juge de contraindre Total à modifier son plan de vigilance et, en raison de l’urgence de la situation pour les populations concernées, à mettre en œuvre des mesures visant à prévenir tout risque d’atteinte aux droits humains et à l’environnement du fait des activités de sa filiale ougandaise.
En janvier 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent et a renvoyé l’affaire au tribunal de commerce. Il a jugé que les actions visant à contraindre une société à modifier son plan de vigilance relevaient de la compétence des juges consulaires parce que le litige porte sur le fonctionnement interne de l’entreprise
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Les associations ont fait appel de cette décision qui, selon elles, repose sur une interprétation erronée du droit. Elles sont soutenues par deux interventions volontaires déposées par la CFDT et par trois associations de défense des droits humains (ActionAid France, le CCFD-Terre Solidaire et le collectif Éthique sur l’étiquette), qui demandent également à ce que le tribunal judiciaire soit déclaré compétent dans les actions en justice visant des manquements au devoir de vigilance.
Prévue le 24 juin 2020, l’audience en appel a été reportée et s’est tenue le 28 octobre dernier. Outre la question de la compétence, les requérants ont également demandé à la cour de se prononcer sur la mise en œuvre immédiate de mesures visant à prévenir des violations ou des dommages imminents, ainsi que sur la recevabilité des interventions volontaires du syndicat et des associations dans cette affaire.
En ce qui concerne la compétence du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce pour ce type de contentieux, les associations considèrent que l’obligation de vigilance est de nature civile, car susceptible d’engager la responsabilité civile de l’entreprise sur des faits qui ne sont pas internes à l’entreprise. Selon leurs avocats, il n’y a pas de lien direct avec la gestion de l’entreprise puisque ce n’est pas la responsabilité individuelle des dirigeants qui est en cause mais l’impact des activités de l’entreprise sur les droits humains, et le juge naturel des questions liées au respect des droits humains et de l’environnement est le juge du tribunal judiciaire.
De son côté, les avocats de Total font valoir que le devoir de vigilance impose une obligation d’organisation interne de l’entreprise, et que le plan de vigilance est inclus dans le rapport de gestion de l’entreprise élaboré par les membres du directoire, soumis au vote des actionnaires, et déposé au greffe du tribunal de commerce. Selon eux, le plan de vigilance est au cœur de la vie sociale de l’entreprise et constitue donc un enjeu commercial. Et ils soulignent que le législateur n’a pas prévu un renvoi express à la juridiction civile.
En ce qui concerne la demande faite au juge d’imposer au groupe pétrolier des mesures urgentes pour prévenir des violations et des dommages imminents, les associations soulignent l’urgence à prendre des actions concrètes en raison des impacts actuels de ces projets sur les populations et sur l’environnement. Elles estiment ainsi à 100 000 le nombre de personnes déplacées sans avoir été indemnisées et alors qu’elles vivent de leur activité agricole.
Les avocats de Total estiment pour leur part que les motifs d’urgence sont injustifiés dans la mesure où l’action en justice ne concerne pas les impacts des projets mais la qualité de la rédaction du plan de vigilance. Ils rappellent que l’action en référé avait pour objet d’obtenir la modification du plan de vigilance de 2018, lequel a depuis été mis à jour dans le rapport de gestion de 2019.
Enfin, en ce qui concerne la recevabilité des interventions volontaires, les avocats des trois associations font valoir que chacune d’entre elles œuvre pour la défense des droits humains et que la décision du tribunal judiciaire de Nanterre menace leur droit de saisir les tribunaux judiciaires à l’avenir.
Les avocats du groupe pétrolier rappellent quant à eux que, pour que ces interventions soient recevables, il faut qu’elles soutiennent les prétentions originaires des parties. Or, les associations qui ont introduit cette action en justice n’ont pas comme prétention originaire de faire reconnaître la compétence du tribunal judiciaire pour traiter des manquements au devoir de vigilance.
La cour rendra sa décision le 10 décembre prochain, date de la journée internationale des droits de l’Homme…
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