Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE : regards croisés

27.06.2023

Gestion d'entreprise

Que révèle l'acronyme MACF ? Quelles sont les entreprises qui y seront soumises ? A partir de quand ? Dans cette chronique, Sophie Dumon Kappe, associé DS Avocats et Anne Sirop-Masselot, directrice des affaires douanières d’Orano, nous expliquent le fonctionnement de ce mécanisme, mis en place par l'Union européenne, et la préparation à opérer par les entreprises assujetties.

Sophie Dumon Kappe et Anne Sirop-Masselot nous expliquent le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) à l'aide d'une fiche pratique présentée sous la forme de questions/réponses.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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En quoi consiste le MACF de l’UE ?

Le MACF est le volet central du « Green Deal » (Fit for 55) de la Commission européenne. Le « Green Deal » vise à diminuer les émissions européennes de CO2 de 55% d’ici 2030 et à atteindre une neutralité carbone en 2050 ; le MACF vise à inciter les pays tiers à décarboner leur industrie.

Les biens importés dont la production affiche un bilan carbone élevé seront soumis à une compensation carbone, lors de leur entrée sur le territoire de l’UE, sauf s’ils ont déjà été soumis à un mécanisme similaire dans leur pays de production. Le MACF va donc s’appliquer à des secteurs très énergivores, qui émettent beaucoup de CO2 tels que : le secteur du fer, de l’acier, du ciment, de l’aluminium, de l’engrais, de l’hydrogène et de l’électricité.

L'application du MACF a pour but d'éviter « les fuites carbone » c’est-à-dire des délocalisations d’entreprises de ces secteurs dans des pays tiers qui auraient une politique climatique moins ambitieuse. L’UE veut lutter contre le « dumping climatique ».

Ce dispositif entrera en vigueur à compter du 1er octobre 2023 pour une phase de test de 3 ans. Cette phase sera purement déclarative, ponctuée par des déclarations trimestrielles des importateurs. Ce n’est qu’en 2026, que la compensation carbone sera appliquée.

Comment ce mécanisme fonctionnera-t-il ? 

La compensation carbone à l’importation sera calquée sur le prix carbone, hebdomadaire, du système européen d’échange des quotas d’émissions carbone (SEQE).

Le MACF est donc conçu pour fonctionner parallèlement au système européen dont la fin des quotas gratuits a également été adoptée afin qu’il y ait une égalité de traitement entre les produits fabriqués dans l’UE et les produits fabriqués dans un pays tiers puis importés dans l’UE.

Les recettes générées par les ventes de certificats carbones, seront affectées à un fond climat dont les dépenses devront avoir une finalité environnementale.

Quel sera le rôle de l’importateur? Comment devra-t-il s’organiser ?

L’importateur européen aura un rôle central. Il devra dans un premier temps être agréé par une autorité compétence en tant que déclarant MACF. La désignation de cette autorité européenne est en cours de discussion. L’importateur devra procéder à l’achat de certificats dont le prix sera indexé sur celui du CO2 au sein du marché européen du carbone (SEQE).

Pour comptabiliser les émissions, les données seront transmises par les exportateurs de pays tiers aux importateurs européens. Dans le cas contraire, les importateurs pourront appliquer les valeurs par défaut aux secteurs concernés.

Enfin, l’importateur devra déposer une déclaration sur le registre central MACF établi par la Commission européenne et ce avant le 31 mai de chaque année pour l’année précédente. C’est bien l’importateur qui aura la responsabilité légale des informations qu’il mentionnera dans la déclaration d’importation.

Et c’est bien l’importateur qui sera l’unique interlocuteur de l’administration douanière en charge du contrôle de ce nouveau dispositif. Ce sera également un vrai défi pour cette administration avec un « verdissement » de son rôle de police des frontières, en coordination avec le nouveau procureur européen.

Comment un groupe importateur, comme Orano, peut-il se préparer à ce nouveau dispositif ?

Pour les groupes industriels, il conviendra de s’organiser et de communiquer entre les différentes directions.

En premier lieu, la direction des achats, afin de connaître les prévisions de sourcing, identifier tous les fournisseurs et recueillir auprès d’eux les informations nécessaires pour vérifier les calculs d’émissions de CO2, qu’il s’agisse des émissions directes et indirectes pour les produits visés à l’annexe I du règlement.

En second lieu, la direction HSE pour ordonnancement des données collectées, effectuer les calculs et imputer les certificats CBAM,
Enfin, la direction des affaires douanières qui a une vision exhaustive des matières importées, avec leur quantité et leur origine exacte. 

Au carrefour de ces trois directions, il faudra construire le rapport et le transmettre à l’autorité compétente désignée par la Commission ainsi que conserver l’ensemble des pièces probantes susceptibles d’être communiquées lors des contrôles diligentés par l’administration des douanes.

Orano a-t-il commencé à engager des discussions avec ses fournisseurs établis dans des pays tiers au sujet des émissions de CO2 de leurs produits ?

Ces discussions sont déjà engagées au regard des rapports bilan-carbone que nous rédigeons dans le cadre de nos obligations RSE. Néanmoins, ces discussions devront devenir systématiques et parfaitement documentées. Le plus difficile à appréhender sera sans doute l’appréciation des émissions indirectes lorsqu’il s’agit des produits visés à l’annexe I, c’est-à-dire dans la plupart des cas.

Ce dispositif augmentera-t-il le risque de délocalisations ? 

L’Union européenne a une politique environnementale ambitieuse pour les entreprises implantées sur son territoire et veut protéger son tissu industriel en évitant des délocalisations d’entreprises vers des pays tiers qui ont une législation environnementale moins exigeante.

Dans le même temps, l’Europe ne veut plus d’importation de biens dont la production accélère le réchauffement climatique... 

Plusieurs fédérations ont attiré l’attention des institutions européennes car les fabricants européens de pièces mécaniques, de compresseurs, de batteries, de robots de cuisine ou de matériaux de construction, verront leurs coûts de production augmenter au sein de l’Union européenne du fait de la réforme du SEQE (suppression des quotas gratuits) et de l’introduction du MACF. En revanche, si ces mêmes produits finis sont fabriqués dans des pays tiers et ensuite importés en Europe, ils ne seront impactés ni par le dispositif MACF (qui ne leur sera pas applicable), ni par le SEQE.

La tentation pourrait être grande pour certains secteurs de délocaliser leur outil de production dans des pays tiers pour éviter une surtaxation des produits visés par ce dispositif.

Qu’envisagent la Commission européenne ou le parlement européen face à cela ?

Les institutions européennes en ont conscience et envisagent d’étendre le dispositif à d’autres produits. Cependant, des problèmes pratiques se posent sur la quantification des émissions de CO2 relative à la fabrication de produits finis dont les composants peuvent être multiples. Le défi est réel pour la crédibilité et la survie de ce mécanisme.

Le risque de perte de compétitivité des entreprises européennes est-il fortement présent ?

C’est un risque dans un contexte de forte inflation. Même si l’objectif vise à pérenniser l’outil industriel en Europe, il ne faudrait pas que cela produise l’effet inverse d’un transfert de certaines industries dans des pays tiers moins exigeants sur le plan environnemental.

      

Sophie DUMON-KAPPE Co-auteur : Anne SIROP-MASSELOT (Directrice des affaires douanières d’Orano)
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