Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE : regards croisés (Acte 2)

Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE : regards croisés (Acte 2)

10.01.2024

Gestion d'entreprise

Le 1ᵉʳ octobre 2023, le mécanisme européen d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est entré en vigueur. Dans cette chronique, Sophie Dumon-Kappe, associé DS Avocats et Anne Sirop-Masselot, directrice des affaires douanières d’Orano, nous expliquent les enjeux de la phase transitoire et l'impact du MACF pour les entreprises.

Après un premier décryptage du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, Sophie Dumon-Kappe et Anne Sirop-Masselot reviennent sur ce qu'il faut retenir de son entrée en vigueur à l'aide d'une fiche pratique présentée sous la forme de questions/réponses.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Le mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est entré en vigueur le 1er octobre 2023. Quelles sont les obligations des entreprises ?

Sophie Dumon-Kappe et Anne Sirop-Masselot : Pour rappel, le MACF vise des secteurs très énergivores, qui émettent beaucoup de CO2 tels que : le secteur du fer, de l’acier, du ciment, de l’aluminium, de l’engrais, de l’hydrogène et de l’électricité.

L'application du MACF a pour but d'éviter « les fuites carbone » c’est-à-dire des délocalisations d’entreprises de ces secteurs dans des pays tiers qui auraient une politique climatique moins ambitieuse. L’UE veut lutter contre le « dumping climatique ».

Ce nouveau dispositif européen est en effet entré en vigueur le 1er octobre 2023 pour une durée de test dite « phase transitoire » jusqu’au 31 décembre 2025. Il s’agit d’une phase purement déclarative qui ne donnera pas lieu à paiement de la « compensation carbone » pour les biens importés dont la production dans les pays tiers affiche un bilan carbone élevé. Pour autant, cette phase sera déclarative, est ponctuée par des déclarations trimestrielles des émissions réelles des produits importés. Pour les entreprises, l’obtention des émissions réelles est tout l’enjeu de cette première phase.

Concrètement comment les entreprises doivent-elles procéder ? 

Sophie Dumon-Kappe : Les entreprises qui ont importé des produits visés par ce mécanisme depuis le 1er octobre, devront en principe déposer au plus tard le 31 janvier 2024, une déclaration précisant pour chacun des produits concernés repris sous son code douanier (NC), les émissions réelles de gaz à effet de serre générées par leur fabrication dans les pays tiers à l’UE.

Cependant, l’obtention de ces émissions réelles n’est pas sans poser de réelles difficultés aux entreprises concernées en raison du degré de précisions demandé par la Commission européenne.

En effet, le 17 août 2023 la Commission a publié des dispositions d’application et notamment un tableau Excel devant permettre de guider les entreprises sur les données attendues. Il faut par exemple pour chaque produit concerné, préciser le code international de l’unité de production, le procédé utilisé.

Autrement dit, les entreprises européennes doivent impérativement anticiper l’obtention de ces données réelles auprès de leurs fournisseurs. Cela suppose une véritable réorganisation des entreprises autour de ce sujet qui implique notamment les directions douanières, achats, RSE, juridiques.

Pourquoi un tel degré de précisions ?

Sophie Dumon-Kappe : L’enjeu de cette phase transitoire pour la Commission européenne est d’obtenir les données réelles afin de constituer une base de données et permettre ensuite, aux tiers vérificateurs, lors de la phase définitive de procéder aux contrôlée de ces données.

L’importateur européen a bel et bien un rôle central, entre les fournisseurs établis en pays tiers et les autorités européennes.

Comment votre groupe s’est-il organisé pour faire face à ce défi ?

Anne Sirop-Masselot : En amont la Direction des affaires douanières a établi un mapping des importations afin d’identifier les produits soumis au MACF à travers leurs nomenclatures douanières (code européen à 8 chiffres). La Direction des achats a ensuite pris le relais afin d’identifier le ou les fournisseurs concernés. Il a ensuite fallu expliquer au plus grand nombre comment fonctionne ce nouveau dispositif et quelles sont les données requises pour l’importation de leurs produits.

En revanche, il est évident que les importateurs européens sont dans l’impossibilité de vérifier les émissions directes et indirectes reçues de leurs fournisseurs d’autant que ces données sont demandées par ligne de production.

Enfin, la Direction des Affaires douanières va devoir pour chaque importation, collecter les documents qui seront exigés lors des contrôles qui seront diligentés par l’administration des douanes.

Nous sommes début janvier, vos fournisseurs vous ont-ils tous répondu ? Ont-ils émis des objections ?

Anne Sirop-Masselot : Peu nous ont à ce jour transmis l’exhaustivité des données demandées. Beaucoup nous posent des questions notamment au sujet des émissions indirectes lorsqu’il s’agit des produits visés à l’annexe I, c’est-à-dire dans la plupart des cas. Cela induit des échanges chronophages qui viennent s’ajouter à une charge de travail déjà lourde.

Autre risque identifié, la renégociation des contrats de la part de nos fournisseurs en arguant du surplus de travail que représentent ces nouvelles demandes. En outre, certains fournisseurs ne comprennent pas les données attendues, le modèle communiqué le 17 août 2023 par la Commission européenne est d’une telle complexité, couvrant tout le cycle énergétique de production de la matière, qu’il est difficile d’avoir des données.

Enfin, la mise à disposition de la plateforme déclarative a tardé à être opérationnelle. Initialement prévue en octobre, elle n’a été accessible que mi-décembre sans l’être complètement. A la date du 8 janvier, nous avons enfin eu accès à l’exhaustivité des articles de la plateforme : le délai est court pour les entreprises qui n’ont pu se familiariser à son fonctionnement et n’ont donc pu former en interne les personnes qui doivent compléter le rapport à déposer le 31 janvier.

Qu’adviendra-t-il si une entreprise ne reçoit pas les émissions réelles ? 

Sophie Dumon-Kappe : L’importateur va devoir documenter qu’il a été diligent pour obtenir les informations requises pendant cette phase déclarative : c’est un important travail de « compliance ».

Les autorités compétentes ont conscience de la difficulté de l’exercice. Aussi, jusqu’en juillet 2024, il sera possible de fournir des valeurs par défaut. Cela permettra aux entreprises de se « familiariser » avec ce type de données qui seront issues au système européen SEQE, lequel s’applique de manière identique aux entreprises européennes fabriquant ces produits.

Les importateurs auront ainsi une sorte de référentiel « théorique ».

La vérification des données réelles sera faite à partir de la phase définitive en janvier 2026 par les tiers vérificateurs, qui auront été agréés par les autorités compétentes (DGEC pour la France).

Qu’envisagent les entreprises en cas de non-réception des données demandées à leur fournisseur ?

Sophie Dumon-Kappe  et Anne Sirop-Masselot : Il est certain que si un fournisseur, malgré des explications et demandes réitérés ne répond pas, la question se posera de savoir s’il est possible d’en changer.

Cependant, pour des raisons techniques, de sécurité il est parfois très difficile de changer de fournisseur. Quoiqu’il en soit, pour éviter tout arrêt de production qui serait très pénalisant pour la société, un tel changement doit être anticipé très en amont.

En effet, outre l’aspect économique, il faut s’assurer de la capacité de production d’un éventuel nouveau fournisseur et du respect du cahier des charges technique.

Concrètement, cela suppose de négocier un protocole de tests, d’analyser des prototypes ce qui peut prendre plusieurs mois.

Comment l’administration des douanes va-t-elle pouvoir contrôler les déclarations trimestrielles d’émissions de gaz à effet de serre ?

Anne Sirop-Masselot : L’administration des douanes sera le premier interlocuteur des importateurs. Sur la base des importations enregistrées dans les déclarations en douane du trimestre écoulé, cette administration pourra dans un premier temps, « rappeler » aux entreprises concernées qu’elles doivent établir une déclaration. Dans un second temps, des pénalités seront appliquées en cas de manquements déclaratifs réitérés.

Les systèmes de dédouanement européens ont été paramétrés de sorte à identifier les importations des produits soumis au MACF, à travers le code douanier européen à 8 chiffres des marchandises et le code d’identification européen (EORI) de chaque importateur.

L’administration pourra ainsi procéder à un premier niveau de contrôle pour s’assurer que les déclarations trimestrielles ont été transmises et le cas échéant qu’elles sont complètes.

Un second niveau de vérification pourra se faire lors de l’importation sur des marchandises sur les codes douaniers attribués : c’est ce que l’on appelle un contrôle du classement tarifaire. Il est en effet possible que certains importateurs soient tentés d’utiliser un code douanier non soumis au MACF.

Il est important de préciser que les administrations contrôlent sur la base d’analyse de risques : ce principe est consacré par le code des douanes de l’Union.

Pour ce faire, les administrations utilisent également dans une certaine mesure, des outils d’intelligence artificielle afin de procéder à des contrôles plus ciblés, plus efficients.

Les émissions de CO2 quant à elles seront contrôlées par la DGEC. Ce sont donc deux administrations avec deux procédures différentes seront amenées à contrôler le dispositif. 

Sophie DUMON-KAPPE Co-auteur : Anne Sirop-Masselot
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