Près d’un an après son entrée en vigueur, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est toujours dans sa phase transitoire. Comment les entreprises ont-elles commencé à mettre en œuvre ce texte ? Quelles difficultés rencontrent-elles ? Que peuvent-elles faire pour y remédier ? Dans cette chronique, Sophie Dumon-Kappe, associée de DS Avocats et Anne Sirop-Masselot, directrice des affaires douanières d’Orano, font le bilan.
Après deux premiers décryptages (Acte 1 et Acte 2) sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, Sophie Dumon-Kappe et Anne Sirop-Masselot reviennent sur la phase transitoire de ce texte et livrent quelques conseils pour s’y conformer à l'aide d'une fiche pratique présentée sous la forme de questions/réponses.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Le mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est entré en vigueur le 1er octobre 2023. Quel premier bilan pouvez-vous tirer de cette première année ?
Sophie Dumon-Kappe et Anne Sirop-Masselot : Il est tout d’abord important de rappeler qu’il s’agit d’une phase d’apprentissage qui se déroule jusqu’au 31 décembre 2025. Cette phase d’apprentissage est ponctuée par des déclarations trimestrielles des émissions réelles, directes ou indirectes de gaz à effet de serre générés par la fabrication de produits importés des secteurs les plus énergivores que sont l’acier, le fer, le ciment, l’aluminium, l’électricité et l’hydrogène.
La prochaine échéance d’importance est celle du 31 octobre 2024 puisque pour cette prochaine déclaration, les entreprises doivent en principe utiliser des valeurs réelles et non plus des valeurs par défaut. Or, les difficultés des entreprises à obtenir ces valeurs réelles de leurs fournisseurs, sont quant à elles, bien réelles. En effet, seulement 50% des entreprises françaises concernées par ce nouveau dispositif européen auraient déclaré. Qui plus est, une écrasante majorité aurait utilisé des valeurs par défaut et non pas des valeurs réelles. Ce constat est variable d’un Etat membre à l’autre. Il semblerait qu’en Allemagne, pourtant fortement importatrice d’acier et d’aluminium compte tenu du poids de l’industrie lourde dans son économie, le pourcentage des déclarations déposées sur le portail européen, soit nettement inférieur. Aussi, forte de ces constats la DGEC, Direction Générale de l’Environnement et du Climat, a publié jeudi 12 septembre, une note d’informations à l’attention des importateurs de produits soumis à ce dispositif, sur l’utilisation des valeurs par défaut, les modalités de contrôle et sanctions applicables.
L’administration consent-elle à la prorogation de l’utilisation de valeurs par défaut ?
Sophie Dumon-Kappe : Pas de manière pérenne bien évidemment sinon le mécanisme à finalité environnementale n’aurait plus d’utilité au regard de l’objectif qui est le sien, à savoir inciter les pays tiers à produire avec une faible intensité carbone. Rappelons qu’à partir de la phase définitive (1er janvier 2026), les importateurs européens devront acheter des certificats MACF sur la base des émissions réelles déclarées pendant cette phase d’apprentissage.
Le recours à des données par défaut ne peut donc s’entendre que si l’importateur ne reçoit aucune information de ses fournisseurs, malgré ses relances. Autrement dit, les importateurs vont devoir justifier de la réalité et de la récurrence de leurs démarches auprès de leurs fournisseurs.
Votre entreprise est-elle également confrontée à des difficultés quant à l’obtention de valeurs réelles ?
Anne Sirop-Masselot : Oui en effet alors que pourtant nous avons sans doute été parmi les premiers à communiquer auprès de nos fournisseurs afin d’obtenir les valeurs réelles directes et indirectes relatives à la fabrication des aciers et aluminium importés. Nous avons fait nos meilleurs efforts pour faire preuve de pédagogie afin d’expliquer la finalité et le fonctionnement de ce nouveau mécanisme européen. Nous avons dû réitérer nos communications auprès de plusieurs interlocuteurs qui n’étaient pas toujours les interlocuteurs habituels. L’effort pédagogique a été notamment de commenter le tableau Excel publié par la Commission européenne le 17 aout 2023 qui a le mérite de proposer une méthodologie mais dont le décryptage est tout de même, complexe et très chronophage. Des sessions de formation ont été organisées pour nos acheteurs sur les données attendues des fournisseurs.
Comment les entreprises peuvent-elles s’organiser pour pallier au manque de coopération de certains fournisseurs ?
Sophie Dumon-Kappe : Beaucoup d’entreprises ont compris que désormais sur tous ces nouveaux sujets à finalité environnementale et éthique (également lutte contre la déforestation, contre le travail forcé .. .) qui impactent leurs supply chains, elles devaient structurer leur approche en impliquant différents services : cela peut sembler simple mais pour certaines c’est presque une révolution culturelle dans leur façon de travailler. Outre la direction des affaires douanières, les départements achats et RSE /environnement doivent être parties prenantes et se coordonner.
La direction juridique doit l’être également car il faut faire de l’obtention de ces valeurs réelles, un enjeu contractuel afin de responsabiliser l’ensemble des acteurs de la supply chain car les intermédiaires sont parfois nombreux ce qui accentue la difficulté à obtenir l’information. Qui plus est, même si cela peut sembler évident, il faut que cette transmission de données soit étayée selon la méthodologie proposée par le tableau Excel du 17 aout 2023 que d’ailleurs la Commission européenne a remis à jour le 13 juin 2024 en le complétant d’exemples par famille de produits.
Avez-vous reçu des valeurs réelles de la part de certains fournisseurs ?
Anne Sirop-Masselot : Oui quelques rares fournisseurs ont commencé à nous transmettre des valeurs car ils ont compris qu’ils pourraient ainsi retirer un avantage concurrentiel. Cependant, la plupart étaient incomplètes : par exemple nous avions des valeurs globales pour plusieurs codes douaniers (NC). Un fournisseur avait transmis des valeurs agrégées pour plusieurs nomenclatures. Un autre fournisseur n’avait pas précisé le procédé de fabrication. Un autre fournisseur avait communiqué des valeurs « réelles » très en-deçà des valeurs par défaut, sans aucune justification.
Le tableau est très complexe pour eux et nécessite moult échanges avec nos acheteurs pour expliquer les données à renseigner afin d’obtenir in fine les valeurs réelles. L’exercice est délicat car pour nos fournisseurs il faut compléter le template avec des données stratégiques. ils s’interrogent du reste sur la confidentialité de ces données et c’est légitime.
Les importateurs européens doivent -ils vérifier les données réelles reçues ?
Sophie Dumon-Kappe : Les importateurs européens doivent inévitablement contrôler les données reçues au regard des informations nécessaires pour compléter leurs déclarations trimestrielles. Ainsi, l’importateur ne peut déclarer si par exemple le fournisseur ne lui communique pas les éléments sur le procédé de fabrication ou les produits énergétiques ayant concouru à la fabrication des produits importés (i.e. gaz naturel, fuel lourd …).
De nombreux fournisseurs sont en effet réticents à communiquer ces données pour des raisons de confidentialité, parce qu’ils ne veulent pas que leurs clients importateurs procèdent à des comparaisons entre leurs différents fournisseurs. La Commission européenne qui est consciente de ce problème, étudie la faisabilité de téléchargement de données confidentielles sur le portail européen par des sociétés non établies dans l’UE, à l’instar de ce qui se fait par exemple via le portail TRON lors des enquêtes antidumping.
L’importateur peut essayer de faire un contrôle de cohérence en vérifiant si les valeurs réelles reçues sont beaucoup plus faibles que les valeurs par défaut. Le cas échéant, il devrait demander à son fournisseur de vérifier lesdites valeurs. Cependant, l’importateur n’a pas à se substituer au futur tiers vérificateur qui n’interviendra que lors de la phase définitive, près le 1er janvier 2026. Il s’agira d’un tiers indépendant, habilité par les autorités compétentes qui sera en mesure d’aller vérifier sur place dans l’usine concernée, la réalité des données transmises par le fournisseur.
Quelles sanctions seront appliquées pendant cette phase d’apprentissage si les entreprises n’ont pas reçu de données réelles ?
Sophie Dumon-Kappe : Pendant cette phase d’apprentissage, et c’est le sens de la circulaire publiée le 12 septembre par la DGEC, celle-ci contrôlera d’abord les entreprises qui n’ont émis aucune déclaration trimestrielle au 31 juillet 2024. Il leur sera demandé de déclarer immédiatement. Ce n’est qu’après cette demande de mise en conformité, que des sanctions seront appliquées.
S’agissant des entreprises qui ont déclaré chaque trimestre, la DGEC indique dans sa note qu’elle procédera à une vérification de cohérence des valeurs et demandera à la société de procéder aux corrections de données erronées. Ce n’est que si la société ne le fait pas, que des sanctions seront appliquées. Il y aura donc une approche graduelle et proportionnée dans les contrôles et les sanctions. Cependant, il est précisé qu’une attention particulière sera portée sur les importateurs les plus importants. Cette position n’a rien de surprenant mais souhaitons que tous les Etats membres aient la même position à l’égard d’un texte européen qui doit être appliqué uniformément.
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