Métallurgie : Big Bang en vue pour la grille des classifications

Métallurgie : Big Bang en vue pour la grille des classifications

12.06.2022

Gestion du personnel

Les entreprises ont jusqu’au 1er janvier 2024 pour s’approprier la grille de classifications de la nouvelle convention collective de la métallurgie. Un véritable branle-bas de combat pour les services RH et les organisations syndicales de la branche. Et une révolution qui se répercute sur de nombreux pans de la gestion RH, notamment le temps de travail et l’Index égalité professionnelle.

Le compte à rebours a commencé… Le 1er janvier 2024, les 42 000 entreprises de la métallurgie devront appliquer la nouvelle convention collective de la branche, signée en février dernier. Les mastodontes ont pris les devants. Airbus, Schneider Electric, Framatome, Orano, Safran, Bosch, MDBA, Sagemcom viennent de signer des accords de méthode ou de déploiement pour mettre en musique ces nouvelles règles avec, parmi les plus emblématiques, la refonte de la grille de classifications, inchangée depuis les années 70. Et caler le rétroplanning. Un véritable Big Bang. Et un sujet ultra-sensible. Car c’est de ce nouveau référentiel que découlera l'évaluation des emplois des salariés, la fixation des minimas voire les rémunérations ou le temps de travail.

"La convention actuelle est surannée"

"Sincèrement on s’en serait bien passé, confie Michel Brunet, directeur général des RH Sagemcom (900 salariés dont 820 couverts par l’accord). C’est un travail titanesque mais je considère que la convention collective telle qu’elle existe aujourd’hui est surannée, elle n’est plus adaptée à nos métiers et à notre organisation matricielle. 90 % à 95 % des cadres se retrouve en position 2. Le nouveau référentiel permettra une analyse plus fine des degrés de responsabilités et du poids observé des fonctions".

"C’est un changement de repères radical mais il peut être perturbant, prévient Delphine Landeroin, directrice de projet performance sociale chez LHH. La nouvelle grille positionne chaque salarié sur un niveau d’emploi réel alors que le système précédant était plus axé sur l’individu".

Et pas question de transposer le référentiel actuel. "Ça ne marche pas, il n’y a pas de correspondance entre les deux systèmes", poursuit la consultante.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Rédiger et coter des milliers de fiche emploi

Exit les statuts cadre, ouvrier ou technicien… Basée sur une matrice de six critères (validation des connaissances, contribution, communication, coopération description des tâches et autonomie), la nouvelle grille aboutit à 18 coefficients, cotés de 6 à 60 points, chacun associé à un minimum de branche.

Airbus (50 000 salariés) devrait remettre sa copie, fin août 2022. La grille actuelle, qui compte 500 profils, répartis en 12 familles de métiers, devrait se substituer à 2 000 fiches-emplois. Schneider Electric (14 500 collaborateurs en France) devrait rédiger et coter quelque 1000 emplois-repères, déclinés en 15 familles de fonctions tandis que Sagemcom devrait aboutir à 200 fiches emploi pour 820 salariés. Chez Bosch (1600 salariés), on tournera à 120 ou 150 fiches.

Des méthodes différentes

Mais comment faire une pesée de poste ? Décrire concrètement un métier ? Qu’est-ce qu’une cotation ? Un dessinateur industriel a-t-il le même poste d’un établissement à l’autre ? Les responsables méthode passeront-ils en deçà du statut cadre ?

Chacun y va de sa méthode. Schneider Electric a lancé un groupe technique, composé de deux personnes des "relations sociales" et de quatre autres issues des organisations syndicales, pour s’approprier le contenu de la nouvelle grille de classification. Tous les membres seront formés à la méthode de cotation des emplois au travers "d’ateliers pratiques et d’exercices d’évaluation de quelques emplois-repères initiés par la direction".

Chez Airbus, six réunions ont été nécessaires, en amont de la négociation, avec les partenaires sociaux pour "être sûrs d’avoir la même compréhension de la nouvelle grille", relève Amenanie Renaud-Lebot, directrice des relations sociales. Toutes les fiches emplois sont élaborées par les managers dans des ateliers dédiés. Un plan de communication sera ensuite activé dès janvier 2023 sur l’impact de la nouvelle grille "pour permettre de faire des ajustements tout au long de l’année".

A l’inverse, Sagemcom a mis en place un comité de pilotage, composé de cinq professionnels RH qui se réunissent une demi-journée toutes les deux semaines. Les managers seront associés à ces brainstormings à la rentrée puis ce sera au tour des RH travaillant à l’international de prendre le relais pour tester la cohérence du nouveau référentiel.

Autre tactique : Bosch a fait le choix de la cogestion dans son accord de méthode. "Concrètement, les fiches emplois et les niveaux de rubrique sont rédigés par des managers-experts désignés sur chaque site. Ensuite, les projets de fiche sont vérifiés par deux panels : un panel de managers puis un panel de salariés pour adapter le contenu. Chaque projet de fiche sera ensuite présenté et discuté entre chaque collaborateur et son manager", détaille Stéphane Destugues, secrétaire général de la fédération CFDT métallurgie.

Des moyens dédiés

Les entreprises ne lésinent pas non plus sur les moyens.

Chez Schneider, une équipe de 10 personnes, réunissant, un chef de projet affecté à temps plein sur le chantier, des juristes en droit social et des professionnels RH, seront à la manœuvre. Ils seront ensuite secondés par les HR business partners et les responsables métiers.

Côté IRP, l’entreprise a octroyé deux jours de formation supplémentaire aux organisations syndicales et prend en charge les frais de transport, d’hébergement et de restauration relatifs à ces réunions ainsi que les frais pédagogiques (à hauteur de 400 euros TTC).

Les syndicats ne sont pas en reste. La CFDT a formé un millier de militants, en s’appuyant sur un réseau d’une soixantaine de formateurs. La CFE-CGC métallurgie a proposé à 330 délégués syndicaux centraux et 2 500 délégués syndicaux un Mooc, orchestré par l'agence A Savoir Egal qui a reçu le coup de cœur du jury aux Trophées du Digital Learning. Ce dispositif digital est complété par une formation de deux jours en présentiel.

Faute de ne pas avoir trouvé un organisme habilité par les employeurs et les organisations syndicales, Sagemcom va, de son côté, construire sa propre formation, à partir des outils paritaires mis à disposition des entreprises de la branche, référentiels, grille de classification et glossaire. "L’objectif est d’avoir un point de départ commun pour avoir la même compréhension du sujet", résume Fanny Gaignon, responsable du développement RH groupe.

Des rôles à géométrie variable pour les partenaires sociaux

Reste ensuite la question clef : quel rôle accordé aux partenaires sociaux dans l’élaboration de ces fiches-emplois ? Si la plupart sont consultés via les commissions de suivi paritaire ou les CSE, à "chaque étape importante du projet", peu seront les auteurs des fiches-emplois.

Pour Christian Lambert, directeur des affaires sociales de Schneider Electric France, "la classification des emplois relève du pouvoir de direction de l’entreprise". "Les partenaires sociaux seront consultés, en juin, via le CSE de chaque société (28 au total). L’occasion de détailler la méthode de cotation utilisée à travers une dizaine d’emplois types".

Une exception toutefois : "Chez Bosch, les organisations syndicales sont associées à la cotation des emplois, même si, en cas de divergence, l’avis de la direction l’emportera sur la décision commune", assure Stéphane Destugues, secrétaire général de la fédération CFDT métallurgie.

Une position revendiquée par Dominique Olivier, DRH de Bosch lors d’un colloque organisé par Miroir social, le 8 avril. "Je préfère que l’on travaille en amont que d’avoir des conflits en aval. Si une différence d’appréciation persiste avec les organisations syndicales, c’est moi qui tiens le crayon au final".

Les syndicats plébiscitent le participatif

Les syndicats plébiscitent ce travail commun. "Il ne faut pas mettre de limite au participatif", insiste Stéphane Destugues. "Si la cotation de l’emploi est mal appréhendée, nous n’aurons aucun état d’âme à faire remonter ces questions individuelles devant le CSE, avertit Gabriel Artero, président de la fédération de la métallurgie de la CFE-CGC. Au risque d’engorger les comités dans une période où il y a d’autres sujets à traiter. Car qui peut mieux que le salarié parler de son emploi réel ? Il nous semble difficile d’imaginer que l’on présente la fiche d’emploi au salarié sans l’avoir associé en amont".

Le CSE peut, d’ailleurs, se faire accompagner sur ces enjeux, soit lors de la consultation sur la politique sociale, soit lors de la consultation sur la mise en œuvre de la nouvelle classification prévue dans la CCN.

Même si de l’avis de Bernard Morin, déléguée CFE-CGC de la Sagemcom, qui intervenait au colloque de Miroir social, il existe une limite à la coresponsabilité. "C’est bien aux managers et au DRH de définir les emplois de chacun car nous pourrions nous retrouver en porte à faux avec le salarié qui viendra nous demander des explications". Or, avec le renouvellement des CSE, ces divergences pourraient entacher le climat électoral.

Des risques de contentieux ?

Malgré ce travail titanesque et les précautions d’usage, les entreprises sont-elles à l’abri d’un contentieux ? "Les niveaux de classification vont être assis sur la valeur des emplois occupés. Des problèmes pourraient donc se poser pour des salariés qui ont eu des évolutions liées à l’ancienneté mais dont les responsabilités ne correspondent pas à l’emploi occupé ou pour des salariés qui ont des postes d’entrée de cadres qui sont en réalité des postes d’agents de maîtrise, relève Isabelle Nicolas, Directrice RH-SSCT chez Sextant Expertise. La consultation du CSE sera l’occasion pour les élus de prévenir ce type de risque".

Dans ce contexte, certains salariés pourraient-ils être rétrogradés, leur emploi étant positionné à un degré inférieur ? Un poste peut-il se retrouver sous-coté ?

"L’article 69 de la convention collective prévoit une garantie en matière de salaire, insiste Stéphane Destugues, de la CFDT. Les nouveaux niveaux de classification ne peuvent pas avoir d’effet sur la rémunération. De plus, un salarié qui occupe un emploi aujourd’hui classé cadre conservera son statut et sa rémunération tout le temps qu’il continue à occuper le même emploi. Mais à son départ, le poste s’intégrera dans la nouvelle grille et le nouveau coefficient. Avec à la clef, une baisse potentielle de rémunération pour le nouvel embauché". Des métiers liés aux méthodes ou encore à la maintenance pourraient être concernés.

Stéphane Destugues minimise toutefois ce type d’impact."Je n’ai rencontré qu’une seule fois ce problème, le poste d’un cadre a été reclassé en poste de non-cadre".

Même écho du côté de Sagemcom qui ne recense aucun cas de figure de ce genre parmi les 40 % de cotations effectuées. "En aucun cas, il y a une correspondance entre l’ancienne convention et la nouvelle. On ne cote pas la personne mais la fonction. Aujourd’hui, on part d’une page blanche, on ne présage pas du résultat".

Des cas de recours en cas de litige

Tous les accords prévoient toutefois des recours en cas de litige. Chez Boch, Airbus, Sagemcom, le salarié aura un mois pour demander des explications à son manager qui aura à son tour un mois pour lui répondre. Même si selon Michel Brunet, le DRH de Sagemcom, l’entreprise n’a pas pour autant l’obligation de revoir son positionnement".

Le géant du nucléaire Orano (ex-Areva) prévoit, par exemple, des entretiens de recours entre le manager et le salarié. Lequel peut se faire accompagner d’un représentant du personnel. A l’issue de ces échanges, "la fiche descriptive d’emploi et sa cotation peuvent être révisées en cas d’écart". Idem chez MDBA, le fabricant de missiles européen. En cas de désaccord, un entretien sera organisé avec le responsable métier/fonction concerné et le DRH de l’entité afin d’examiner la situation individuelle et envisager, "si justifié" la modification du rattachement à son emploi dans le "respect de la cohérence interne". Le groupe projet dédié à la classification sera d’ailleurs maintenu jusqu’au 31 mars 2024 pour contrer les éventuels désaccords.

Des effets induits sur le temps de travail…

Enfin, les entreprises ne sont pas à l’abri des effets induits. Car cette nouvelle grille aura des effets inattendus sur d’autres pans RH. Dans la foulée de cet accord de déploiement, Schneider Electric ouvrira des négociations sur le temps de travail des cadres, les conventions de forfaits actuels étant liées aux niveaux de classification.

De même, les durées de préavis ou période d’essai pourraient ne plus être adaptées. "Si la convention est inférieure à notre statut social, nous reverrons certains points, explique Christian Lambert, directeur des affaires sociales. Le coeur de la méthode c’est de mettre le doigt sur les différences de traitement entre la convention et le contrat social de Schneider Electric. Si nous constatons une inadéquation, nous rechercherons via la négociation collective ou une décision unilatérale le mieux-disant social...".

De son côté, Airbus s’est saisi de cette occasion pour "revoir l’ensemble des règles de vie de l’entreprise pour les 20 prochaines années", précise Mikael Butterbach, DRH Airbus en France. "Nous rouvrons l’ensemble des sujets en cohérence. Nous avons utilisé ce changement externe comme un levier interne pour harmoniser, simplifier et moderniser nos accords d’entreprise", abonde Amenanie Renaud-Lebot, directrice des relations sociales. Outre l’accord sur la prévoyance qui prévoit une augmentation de 20 % des frais de remboursement, le groupe ambitionne ainsi de s’atteler notamment au travail hybride, aux congés et au temps de travail. D’une part, en adoptant le nouveau décompte des forfaits-jours en demi-journée. D’autre part, en étendant le forfait -jours à un nombre plus élevé de salariés ; "la nouvelle convention collective faisant sauter la barrière cadres/ non cadres", selon le DRH.

… Mais aussi sur l’Index égalité professionnelle

D’autres effets induits existent, notamment concernant l’Index égalité professionnelle, calculé en fonction de la répartition des catégories socio-professionnelles. Or, cette répartition n’aura plus cours avec la nouvelle grille. D’où la nécessité "d’effectuer quelques adaptations, prédit Michel Brunet de Sagecom. Il y a des repères qui vont disparaître dans notre manière de calculer les sous-indicateurs". Même si, in fine, la note finale devrait être modifiée qu’à la marge.

Mais les précurseurs sont formels : "c’est une vraie opportunité de redonner du sens au dialogue social", indique Mikael Butterbach, d’Airbus. "Faisons d’une contrainte une opportunité, ajoute Michel Brunet, de Sagemcom. Si à l’usage cette nouvelle grille s’avère pertinente, nous envisageons de l’étendre à l’ensemble de nos filiales étrangères dans l’optique notamment de favoriser les mobilités".

Viendra ensuite le tour des petites et moyennes entreprises. Elles devraient s’appuyer sur les commissions territoriales de l’UIMM. Un chantier ultra-simpliste aux yeux des mastodontes de l’industrie qui cotent des milliers de fiches emploi.

Anne Bariet
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