Mise sur le marché de substances : un enregistrement national complémentaire à celui européen est possible !

21.04.2016

Environnement

Sous certaines conditions, le règlement REACH ne s'oppose pas à ce qu'un État membre impose aux entreprises importatrices de produits chimiques d'enregistrer leurs produits chimiques auprès d'une autorité nationale en plus de l'enregistrement auprès de l'Agence européenne des produits chimiques.

Dans un arrêt du 17 mars 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) met en lumière le champ d’application et le degré d’harmonisation européenne de la procédure d’enregistrement des substances mises sur le marché prévue par le règlement n° 1907/2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, dit REACH.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Elle répond sur ce point à deux questions préjudicielles sur l’interprétation de dispositions du règlement REACH et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), posées par la Cour suprême de Suède, chargée de régler un litige entre une société importatrice de produits chimiques et le Royaume de Suède.

 

Dans cette affaire, l’entreprise Canadian Oil avait été sanctionnée pour avoir introduit 320 tonnes de produits chimiques en Suède sans notification de cette introduction à l’Agence des produits chimiques nationale pour inscription sur le registre national des produits comme imposé par la réglementation Suédoise. Selon elle, cette obligation de notification nationale entraverait la libre circulation des substances qui font l’objet du règlement REACH et constituerait une restriction à l’importation, interdite par le TFUE.

 

Pleine harmonisation de REACH ou non

La première question consistait à savoir si le fait qu’une réglementation d’un État membre impose à toute personne introduisant des produits chimiques à titre professionnel sur son territoire, pour lesquels il existe une obligation d’enregistrement au titre de REACH, d’établir également une notification de ces produits au registre national, est contraire au règlement REACH.

 

Pour répondre à cette question, il s’agissait de savoir si les dispositions du règlement REACH relatives à l’obligation d’enregistrer les substances mises sur le marché sont pleinement harmonisées au niveau européen de sorte que cela ferait obstacle à une réglementation nationale imposant également un enregistrement supplémentaire auprès d’une agence nationale.

Remarque :  REACH interdit aux États membres d’entraver l’importation et la mise sur le marché des substances qui entrent dans son champ d’application. Toutefois, ils peuvent fixer des règles nationales dans les domaines ou certaines exigences ne sont pas harmonisées par REACH.

 

Il ressort de cet arrêt que l’harmonisation à laquelle procèdent les dispositions du règlement REACH relatives à l’obligation de notification et d’enregistrement des substances chimiques, dans l’objectif d’établir un système intégré de contrôle de ces substances sur le territoire de l’Union et ainsi d’assurer une gestion sûre de celles-ci, n’est pas de nature à exclure un autre enregistrement complémentaire présentant d’autres caractéristiques contribuant notamment à la mise en œuvre d’un tel système.

 

Il est relevé que l’enregistrement des substances auprès de l’ECHA ne fournit pas une vision d’ensemble de la fabrication et de la mise sur le marché des substances dans chacun des États membres, et notamment sur la localisation des substances sur les territoires nationaux. Des lacunes comblées par l���enregistrement national qui permet aux autorités nationales de disposer d’une base de données nécessaire à la surveillance des produits chimiques sur leur territoire.

 

Ainsi, il n’apparaît pas en l’espèce que l’harmonisation à laquelle procèdent les dispositions du règlement REACH sur l’enregistrement fasse obstacle à une réglementation nationale obligeant un importateur de produits chimiques à enregistrer ces produits auprès de l’autorité nationale compétente, pourvu seulement que les renseignements exigés contribuent principalement à la surveillance de ces substances.

 

En conséquence, selon la Cour, REACH doit être interprété en ce qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale oblige un importateur de produits chimiques à enregistrer ces produits auprès de l’autorité nationale compétente, alors que cet importateur est déjà tenu à une obligation d’enregistrement de ces mêmes produits en application de ce règlement auprès de l’ECHA.

 

Conditions pour imposer un enregistrement national complémentaire

Toutefois, cet enregistrement national doit respecter les trois conditions suivantes :

- il ne doit pas constituer une condition préalable à la mise sur le marché des produits ;

- il doit porter sur des informations différentes de celles exigées par REACH ;

- il doit contribuer à la réalisation des objectifs fixés par REACH (niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, libre circulation des substances dans le marché intérieur, contrôle de la gestion sûre de tels produits…).

 

En l’espèce, ces trois conditions étaient remplies. L’enregistrement national ne constituait pas une condition préalable à l’importation des produits chimiques sur le territoire Suédois, puisque la notification aux autorités nationales pouvait  intervenir après l’importation, au plus tard lors du démarrage des activités pour certains de ces renseignements et, pour les autres, jusqu’au 28 février de l’année civile suivant celle de cette importation.

 

De plus, les informations demandées sont complémentaires à celles exigées par REACH et portent principalement sur les quantités des substances et des préparations (mélanges) présentes sur le territoire de l’État membre concerné, sur leur localisation sur ce territoire, sur leurs domaines spécifiques d’utilisation et sur les acteurs concernés.

 

Enfin, ce registre  contribue à la réalisation des objectifs poursuivis par REACH notamment par la mise en oeuvre d’un système de contrôle de la gestion sûre de tels produits dans l’État membre en facilitant notamment les conditions d’inspection des établissements détenteurs de ces produits, comme prévu par l’article 125 de REACH.

 
Interdiction des restrictions quantitatives à l’importation et libre circulation des substances

La seconde question consistait à savoir si l’obligation d’enregistrement national doit être considérée comme une restriction quantitative à l’importation, et donc interdite par l’article 34 du TFUE, et si cela pouvait entrer dans le champ des dérogations à ce principe posé par l’article 36 du TFUE, justifiées par des raisons de protection de la santé.

Remarque : le caractère contraignant de l’enregistrement national constitue une mesure équivalente à une restriction quantitative au sens du TFUE puisque le fait d’imposer des formalités pour l’importation est susceptible d’entraver le commerce au sein de l’Union et de gêner l’accès au marché considéré des marchandises qui sont légalement fabriquées et commercialisées dans d’autres États membres.

 

En l’espèce, comme l’enregistrement national est complémentaire à celui fixé par REACH, visant à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et ne conditionnant pas la mise sur le marché des produits importés sur le territoire national, la CJUE estime que le TFUE s’interprète comme ne s’opposant pas à l’obligation de notification et d’enregistrement des produits chimiques, telle que prévue par la réglementation nationale.

 

Au regard de cette décision, il ne sera probablement pas fait droit aux demandes de la société importatrice, qui aurait dû notifier ses substances auprès de l’autorité nationale après les avoir enregistrées auprès de l’ECHA.

Anne-Laure Tulpain, Code permanent Environnement et nuisances
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