Procédure simplifiée et droit de la concurrence enfin adapté aux enjeux du digital : voilà les deux atouts majeurs des nouvelles lignes directrices relatives au contrôle des concentrations. Après un feu vert quasi illimité accordé au numérique pendant deux décennies, l'Autorité a fini par intégrer les données dans l'analyse des opérations de concentration. Le signe d'une réelle volonté, à plus large échelle, de se saisir des pratiques des GAFA.
Les nouvelles lignes directrices relatives au contrôle des concentrations, publiées en juillet dernier par l'Autorité de la concurrence, ont un premier mérite : celui d'alléger significativement la procédure, et d'offrir aux entreprises un traitement plus rapide de leurs opérations. Simplifier, donc, mais pas que. La deuxième innovation identifiée par Fayrouze Masmi-Dazi, avocate associée chez Frieh Associés et Gaël Hichri, avocat associé chez Magenta, est tout aussi importante - bien que plus discrète - et pourrait avoir un impact significatif pour les prochaines opérations de grande ampleur.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Et pour cause : les nouvelles lignes directrices intègrent désormais la notion de donnée et son importance dans l’analyse au fond d’une opération de concentration (§ 603, 628, 633, 713). L'Autorité considère ainsi que l'accès à certaines données peut rendre l'entrée des concurrents sur le marché plus difficile - au même titre que des barrières liées à la réglementation ou à la protection de la propriété intellectuelle -, ou qu'une opération peut produire des effets horizontaux, même en deça des seuils requis, si une ou plusieurs parties sont des entreprises innovantes importantes ou détiennent des données particulièrement valorisées sur certains marchés.
La question cruciale de ces dernières années est donc évidente : comment adapter le droit de la concurrence au monde digital et aux plateformes numériques ? L’Autorité de la concurrence semble avoir trouvé une solution, avec de nouveaux outils de contrôle qui ne se focalisent pas uniquement sur des problématiques de seuils et de chiffre d’affaires. Pour Gaël Hichri, c’est le signe que l’Autorité essaie de réfléchir plus globalement : existe-t-il des opérations du secteur digital qui ont vocation à être stratégiques, avec des problèmes de concurrence substantiels, et qui mériteraient d’être analysées à la lumière du droit des concentrations ?
Plus largement, ce mouvement de prise de conscience s’observe un peu partout en Europe, que ce soit du côté de la Commission européenne, de l’Autorité de la concurrence britannique ou en France. Une prise de conscience donc, mais pourquoi ? A l’époque où Facebook a acheté Whatsapp, « c’est passé comme une lettre à la poste à la Commission européenne », raconte Fayrouze Masmi-Dazi : comme les marchés étaient distincts, personne n’y a vu de complications. Seulement dans le fond, les enjeux étaient colossaux. « On s’est aperçu qu’en réalité, la stratégie de ces big tech était de se développer dans plusieurs marchés différents, et de se nourrir de toutes les données obtenues dans tous ces marchés différents pour financer, notamment via les revenus publicitaires, leurs modèles de fonctionnement plus général ».
En d'autres termes, la donnée a une valeur, et peut être utilisée d’un point de vue concurrentiel. Aujourd'hui, l’Autorité a décidé d’en tenir compte dans ses nouvelles lignes directrices, et c'est une avancée. Elle pouvait déjà le faire avant d'actualiser le document, mais ce n'était pas formalisé : le mentionner maintenant explicitement lui permettra d’affirmer sa position et de se défendre, par exemple devant le Conseil d’Etat, en faisant valoir que les parties sont désormais informées de la prise en compte de ces critères. En bref, cette innovation est une initiative de plus des Etats membres de l'UE pour essayer d’adapter le droit de la concurrence aux enjeux numériques - à l’instar du digital service act package par exemple -.
Pour Gaël Hichri, l’une des grosses difficultés du droit de la concurrence de ces dernières décennies est bien d’appréhender le digital : « nous avons un droit de la concurrence qui vient directement de l’économie du 20ème siècle ». Et qui dit économie du siècle passé dit autres problématiques, liées au monde physique. Or, aujourd’hui, il faut s’adapter, en très peu de temps, à un monde numérisé, plus abstrait.
Un défi pour le droit de la concurrence, qui, initialement, a voulu lui dérouler le tapis rouge pour soutenir son développement. C’est encore l’exemple des entreprises du luxe ou de la cosmétique qui illustre le mieux cette volonté : avec l’arrivée d’internet, les entreprises de ces secteurs ont fait valoir que leurs produits avaient une image de marque et qu’internet - on se souvient que les sites de l’époque n’étaient pas aussi esthétiques qu’aujourd’hui - ne correspondait pas à leur image. Et avaient donc interdit aux distributeurs de vendre en ligne, dans les affaires Pierre Fabre et René Coty.
C’est simple : pendant longtemps, pour les autorités de la concurrence, il était interdit d’interdire internet. La suite d’une telle politique en faveur du numérique est logique : tous les opérateurs du numérique se sont engouffrés dans la brèche pour se développer… Et ainsi sont nés les GAFA. GAFA qui, désormais, lorsqu’ils rachètent des petites entreprises, profitent du fait que ces opérations n’atteignent pas les seuils et que les marchés soient distincts pour s’étendre. Une « catastrophe sur le plan économique », selon Gaël Hichri ; « il faut faire attention à ces nombreuses opérations qui ne répondent pas aux seuils classiques mais qui, en réalité, sont d’importance stratégique pour l’économie ».
Finalement, ces innovations témoignent d’une réelle volonté des autorités de la concurrence, et particulièrement en France, de se saisir des pratiques des GAFA. Pour être, enfin, en phase avec les enjeux économiques actuels.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.