Modulation de la prime de partage de la valeur : le Boss entend-il "sanctionner" les utilisations abusives ?

Modulation de la prime de partage de la valeur : le Boss entend-il "sanctionner" les utilisations abusives ?

28.12.2022

Gestion du personnel

Un certain nombre de questions pratiques relatives à la PPV, laissées en suspens à la mise en ligne des précisions administratives dans le Boss le 10 octobre dernier, viennent d'être partiellement levées dans une mise à jour du 21 décembre. Le Boss semble également durcir les règles de modulation de la prime reposant sur l'ancienneté, en invalidant des modulations conduisant à des écarts de montant disproportionnés.

Dispositif facultatif, le prime de partage de la valeur (PPV) a été créée par la loi "Pouvoir d'achat" n° 2022-1158 du 16 août 2022 et peut être versée depuis le 1er juillet 2022 aux salariés qui y ouvrent droit. Son versement dépend d'une décision unilatérale de l'employeur ou d'un accord d'entreprise. Elle est exonérée de cotisations sociales mais les conditions de son exonération fiscale varient selon la date de son versement.

Son montant peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction des cinq critères légaux suivants :

  • la rémunération ;
  • la durée de présence effective pendant l'année écoulée ;
  • la durée de travail prévue au contrat de travail ;
  • le niveau de classification ;
  • l'ancienneté dans l'entreprise.

Cette possibilité de moduler la prime, très peu explicitée par la loi et l'administration, n'a pas manqué de susciter des interrogations à la mise en ligne des commentaires du Bulletin officiel de la sécurité sociale (Boss) le 10 octobre dernier. D'autres questions se sont également posées, à commencer par l'éligibilité des salariés de groupements d'employeurs.

Elles ont été partiellement levées par le Boss dans une mise à jour datée du 21 décembre, particulièrement celles relatives à la modulation de la prime. Mais les enrichissement qui y ont été apportés ne répondent pas à toutes les questions soulevées par les praticiens ; certains en créent même de nouvelles.

Rappel : les critères de modulation ne doivent pas servir à exclure des salariés

L'employeur peut verser la prime à une partie de son personnel seulement, par exclusion d'une partie des salariés dont la rémunération est supérieure à un plafond déterminé par l'accord ou la décision unilatérale de l'employeur (DUE) instituant la prime. Autrement dit, l'employeur peut choisir de ne verser la prime qu'aux salariés dont la rémunération est inférieure à un certain niveau. En revanche, il ne peut pas réserver la prime aux salariés dont la rémunération est supérieure à un certain niveau.

En dehors de ce cas de figure, aucune exclusion n'est autorisée. Mais l'employeur peut moduler le montant de la prime en fonction d'un des cinq critères susvisés, ces critères pouvant être combinés ou non.

Certains critères de modulation sont appréciés sur les 12 mois glissants précédant le versement de la prime, d'autres le sont à la date de son versement

Initialement, le Boss précisait que les critères de modulation s'appréciaient sur les 12 mois précédant le versement de la prime. Une précision administrative figurant dans la loi uniquement pour le critère de durée de présence effective.

Si l'appréciation sur les 12 mois précédant le versement de la prime ne posait pas de difficulté majeure pour les trois premiers critères de modulation susvisés, il en allait différemment des critères relatifs à la classification et à l'ancienneté. Il eut été plus logique d'apprécier ces deux critères à la date de versement de la prime.

La Direction de la sécurité sociale s'est finalement rangée à cette logique : si les trois premiers critères (rémunération, durée de présence et durée de travail prévue au contrat) sont appréciés sur les 12 mois glissants précédant le versement de la prime, les deux derniers critères le sont au moment de son versement.

Deux autres difficultés n'ont pas été réglées par l'administration. La première est générée par l'utilisation du critère d'ancienneté : comment comptabiliser l'ancienneté lorsqu'un accord de groupe institue la prime et qu'un salarié est transféré d'une entreprise à l'autre sans reprise de son ancienneté ? L'autre question est générée par l'utilisation du critère de la rémunération : quels éléments de rémunération doit-on retenir ? Dans le silence des textes, il semble bien que ce soit à l'accord ou à la DUE instituant le dispositif de régler ces difficultés.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Précisions sur l'appréciation du critère de modulation relatif à la durée de présence

Jusqu'à présent, le critère relatif à la durée de présence effective pendant l'année écoulée s'appréciait dans les mêmes conditions que celles prévues pour le calcul de la valeur du Smic prise en compte pour le calcul de la réduction Fillon, soit en proportion de la durée de travail et en retenant les mêmes règles pour la prise en compte des absences (exception faite des congés parentaux listés dans la remarque suivante).

Les absences pour congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'adoption, les absences pour congé parental d'éducation, pour enfant malade et pour congé de présence parentale ainsi que les absences de salariés bénéficiant de dons de jours de repos au titre d'un enfant décédé ou gravement malade doivent être assimilées à des périodes de présence effective. La prime des salariés absents du fait de ces congés ne peut être réduite à raison de cette absence. Cette liste est fixée par la loi n° 2022-1158 ; le Boss ne reprend pas l'intégralité de cette liste. Il s'agit vraisemblablement d'un oubli.

Désormais, le Boss offre un choix. Ce critère s'apprécie :

  • soit dans les mêmes conditions que celle prévues dans le cadre de la réduction Fillon ;
  • soit en fonction de la présence effective du salarié dans l'entreprise.

Le Boss ne précise pas si l'accord ou la DUE instituant la prime doit indiquer expressément la modalité d'appréciation choisie. Dans le silence des textes, mieux vaut l'indiquer.

En outre, il ne règle pas clairement la délicate situation d'un salarié absent sur les 12 mois précédant le versement de la prime. La prime de partage de la valeur due à ce salarié peut-elle aboutir à une prime égale à zéro (comme cela était autorisé pour la prime Macron millésime 2019) ? L'employeur doit-il fixer un plancher minimal de versement, pour éviter une exclusion de facto ? Une position claire de l'administration sur ce point serait bienvenue.

La modulation fondée sur l'ancienneté conduisant à des écarts disproportionnés n'est pas valable

En l'absence de tout fondement juridique, le Boss, par le biais de deux exemples, limite les possibilités de modulation, notamment en raison de l'ancienneté. Se référant à "l'intention du législateur" sans définir cette notion, le Boss considère que l'utilisation du critère de modulation relatif à l'ancienneté, avant combinaison avec d'autres critères de modulation comme, par exemple, la présence, ne doit pas aboutir à des écarts de montant de prime disproportionnés.

Ainsi, selon le Boss, est conforme une PPV d'un montant maximal de 1 500 euros, modulé uniquement sur la durée de présence effective appréciée à la date de versement de la prime de la façon suivante :

  • depuis au moins 12 mois : 100 % de la prime ;
  • depuis au moins 6 mois : 50 % de la prime ;
  • depuis moins de 6 mois : 25 % de la prime.

En revanche, ne bénéficie pas de l'exonération une PPV d'un montant maximal de 2 500 euros, modulé notamment en fonction de l'ancienneté de la façon suivante :

  • au moins 10 ans : 2 500 euros ;
  • moins de 10 ans : 50 euros.

Le second exemple, très caricatural, laisse tout de même perplexe. Quel écart peut être considéré comme étant valable et quel écart ne l'est plus ? Est-il laissé à l'appréciation souveraine des agents de contrôle de l'Urssaf ? La "sanction" d'un écart disproportionné est-elle réservée au seul critère de l'ancienneté ou peut-elle s'appliquer à d'autres critères utilisés de manière abusive comme, par exemple, la rémunération ? 

Jusqu'à présent, l'administration n'obligeait pas à utiliser les critères de modulation pour réaliser l'objectif légal de protection du pouvoir d'achat, quand bien même le Conseil d'Etat avait alerté dans son avis sur le risque de fixation des critères de modulation sans encadrement. Ainsi, il est théoriquement possible d'utiliser le critère de la rémunération pour favoriser les plus gros salaires. Compte tenu des limitations posées par le Boss pour l'utilisation de l'ancienneté, une modulation favorisant les gros salaires, contraire elle aussi à l'esprit de la loi, ne serait-elle pas sanctionnable ?

Ces précisions et limitations interviennent tardivement, un grand nombre de primes ayant déjà été instaurées pour figurer sur la paie du mois de décembre 2022.

Du reste, si la volonté administrative de juguler les utilisations abusives des critères de modulation conduisant de facto à l'exclusion d'un certain nombre de salariés (ce qui, rappelons-le, est interdit) est louable, n'aurait-il pas été préférable de l'affirmer plus expressément, dans un souci pédagogique ? 

Gageons que de nouvelles précisions seront apportées sur ce point dans de prochaines mises à jour du Boss.

Les salariés des groupements d'employeurs ont droit à la PPV

Les salariés mis à disposition par un groupement d'employeurs ont-ils droit à la prime de partage de la valeur dans les mêmes conditions que les salariés intérimaires ? Cette catégorie de salariés n'est pas visée par la loi n° 2022-1158 ; l'on pouvait donc supposer qu'ils ne sont pas éligibles au dispositif.

Cela étant, la rémunération perçue par un salarié d'un groupement d'employeurs ne peut pas être inférieure à celle que perçoit dans l'entreprise utilisatrice un salarié de qualification équivalente, occupant le même poste. Ce principe d'égalité de traitement couvre-t-il la prime de partage de la valeur ? Une question laissée en suspens. Jusqu'à ce jour.

Le Boss vient, en effet, de préciser que, pour les salariés des groupements d'employeurs mis à disposition d'entreprises utilisatrices, la PPV est versée selon les mêmes modalités spécifiques que pour les salariés intérimaires : l'entreprise utilisatrice doit donc informer immédiatement le groupement d'employeurs de l'existence de la prime, de son montant et de sa date de versement aux salariés permanents et communiquer l'accord ou la DUE au groupement, à charge pour ce dernier de la verser aux salariés mis à disposition dans les conditions et selon les modalités fixées par l'accord d'entreprise ou la DUE.

Le Boss n'a pas réglé le sort des salariés placés par une association intermédiaire. Ces salariés ont-ils droit à la prime de partage de la valeur dans les mêmes conditions que les salariés intérimaires ? N'étant pas visés par la loi n° 2022-1158, ils ne semblent pas éligibles au dispositif. Pourtant, ils sont couverts par le même principe d'égalité de traitement que celui applicable aux salariés des groupements d'employeurs.

Géraldine Anstett
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