Municipales 2020 : qui sont les DRH des collectivités locales ?

Municipales 2020 : qui sont les DRH des collectivités locales ?

18.02.2020

Gestion du personnel

Alors que les élections municipales se déroulent les 15 et 22 mars, qui sont les DRH des collectivités locales ? Quelles sont leurs priorités, les actions menées à bien et leurs relations avec les directeurs généraux des services voire avec les élus ? Leurs fonctions diffèrent-elles de leurs homologues du privé ? Réponses à travers cinq portraits.

Ils exercent dans l’ombre de l’édile, majoritairement fonctionnaires, rattachés à la direction générale des services. Ils ? Ce sont les DRH des collectivités locales, considérés comme de véritables "couteaux-suisses".

Qu'il s'agisse de l’égalité professionnelle, de la mobilité, de la formation, des évolutions des métiers, du recrutement ou encore de la prévention de l’usure professionnelle - le vieillissement des agents est une évolution marquante "porteuse de risques" - ces "touches-à-tout" opèrent sur tous les fronts. Il s’agit même de l’aveu d’un DRH, "du poste le plus difficile de l’organisation". Selon une enquête de l’association des DRH des grandes collectivités (ADRHGC), de 2016, intitulée "Le DRH du futur", trois missions se détachent néanmoins : la santé et les conditions de travail (les DRH sont confrontés au défi de la prévention des TMS qui connaissent une croissance de 20 % par an) ; l’accompagnement du management et le pilotage de la fonction RH. "L’attention portée à la gestion de la masse salariale mais aussi des thématiques telles que l’absentéisme, la formation ou la mobilité ont incité les DRH à développer leurs compétences sur ce sujet".

Mais comme leurs homologues du privé, ils n’échappent pas à quelques déconvenues : alors qu’ils veulent être des DRH développeurs et non des DRH administratifs, leurs missions se révèlent tout autres au quotidien. En cause : le poids des textes réglementaires dont certains "prêtant à interprétations et par conséquent susceptibles de générer des contentieux" et la rigidité du statut. Empêchant soit de "récompenser le travail" ou, à l’inverse, de "sanctionner l’insuffisance professionnelle".

Parmi les changements les plus difficiles à mettre en œuvre, la maîtrise/réduction des effectifs ; la réorganisation des services, la réduction des lignes hiérarchiques, la valorisation des compétences ainsi que le dialogue social. Ils dénoncent également le manque de soutien des élus voire de la direction générale des services.

Il reste toutefois de nombreux motifs de satisfaction : "poste très transversal", "intellectuellement très intéressant", ou encore "passionnant" et "porteur de valeurs", les DRH apprécient leur job, notamment les relations avec leur équipe - la délégation étant un principe de fonctionnement majeur d’une DRH tant les domaines d’activité sont variés.

Cinq DRH témoignent.

Christine Dubuis, directrice générale adjointe en charge des RH de la ville de Suresnes

Elle est devenue DRH presque "par hasard". Rien, en effet, ne prédestinait cette jeune femme, titulaire d’un DEA de musicologie et intervenante à l’Ecole supérieure de publicité de Paris, à exercer cette fonction. Christine Dubuis s’est d’abord engagée au sein du pôle éducatif et scolaire de la ville de Suresnes avant de rejoindre une association de foyer-logements pour personnes âgées. Elle a ensuite été nommée conseillère en organisation et méthode RH, avant de prendre, en 2015, le poste de directrice générale adjointe, en charge des ressources humaines et du dialogue social. 

Une belle promotion. Cette commune des Hauts-de-Seine (50 000 habitants, 1300 agents), pionnière en matière de dialogue social, est présentée comme le "laboratoire social de la fonction publique". Une trentaine d’accords ont été signés depuis 2008.

Le politique décide, l’administration propose et conseille

Charte de reconnaissance du parcours syndical, chèque syndical en 2017 inspiré de celui d’Axa -  un bon d’une valeur de cinq euros que chaque agent reçoit à son domicile et qu’il peut adresser au syndicat de son choix - politique en faveur de l’égalité professionnelle, accord sur le handicap, la qualité de vie au travail, mutuelle pour tous… La DRH, qui a placé ses pas dans ceux de Béatrice Lavalette, élue en 2008 dans l’équipe du maire UMP Christian Dupuy en charge des RH et du dialogue social, est sur tous les fronts.

Suresnes est également la seule ville en France à avoir mis en place, en 2015, le régime indemnitaire au mérite à la "demande des agents", afin d’avoir une rémunération "plus juste", c’est à dire "calculée en fonction de l’efficience de chacun". Concrètement, les agents peuvent percevoir des bonus ou des malus, reposant sur une grille d’évaluation négociée avec les syndicats, de 40 critères pour les catégories A, et 30 items pour les catégories B et C. Pour la catégorie A, le delta peut s’étirer à plus ou moins 35 % ; pour la catégorie B, à plus ou moins 25 %. Le différentiel est de 20 % pour la catégorie C.

En 2019, 12 à 15 % des agents ont vu leur régime indemnitaire augmenter, 5 % ont vu leur rémunération baisser. 84 % ont perçu la même rémunération et 2 % ont fait un recours.

La ville s’est aussi distinguée l’an passé en proposant des activités sportives inscrites au plan de formation pendant les heures de travail. Marche douce, chant, piscine, cirque, jeux multisports et d’oppositions… La mairie offre la possibilité à ses fonctionnaires de pratiquer une activité sportive ou culturelle, une fois par semaine, pendant deux heures maximum. "Un moyen de lutter contre l’absentéisme et d’augmenter la performance des employés". Les activités ne sont pas choisies par hasard ; la marche douce permettrait "de faciliter la concertation" ; la natation, "de gérer son stress" ou "de travailler sa musculation pour les métiers pénibles", le chant, "de poser sa voix pour animer une réunion".

De même, Suresnes tente de lutter contre l’absentéisme, en imposant une pénalité aux agents trop absents (hors congé maternité, longue maladie…), en l’occurrence au bout du quatrième jour d’absence (baisse du régime indemnitaire de 1/30e par jour d’absence).

Je ne suis pas sous la tutelle des services financiers. Je forme un duo avec l’élue en charge des RH et du dialogue social 

Dernier accord en date : un accord "sur le travail de demain", signé avec l’ensemble des syndicats fin 2019. "Au-delà du télétravail, il aborde les questions de management et des espaces de travail, explique Christine Dubuis qui gère une équipe de 30 personnes au service RH. Nous passons au flex office avec des espaces de travail, de détente… L’accord vise à introduire un management plus collectif, avec moins de strates hiérarchiques et un fonctionnement en mode projet sur les objectifs et résultats afin de favoriser l’autonomie et la responsabilisation. Un agent de catégorie B pourra être chef de projet, d’autres seront contributeurs".

Suresnes pourrait devenir un laboratoire pour beaucoup d’autres villes. En revanche, Christine Dubuis estime que la fonction de DRH est très différente de celle du privé. "Le politique décide, l’administration propose et conseille, assure-t-elle. Mais je ne suis pas sous la tutelle des services financiers. Je forme un duo avec l’élue en charge des RH et du dialogue social. Nous travaillons main dans la main". Un binôme de choc.  

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Découvrir tous les contenus liés
Benoît Zenou, DRH de la ville et de la métropole de Montpellier

Il aurait pu être économiste, consultant et même formateur. Mais Benoît Zenou, titulaire d’un doctorat en économie, a choisi la fonction publique territoriale. Il est directeur du pôle ressources humaines et relations sociales de la ville et de la métropole de Montpellier depuis deux ans. Un choix mûrement réfléchi. "Etre DRH d’une collectivité locale, c’est un engagement, une vocation, presque une philosophie de vie", affirme-t-il. Plus que dans le privé, "il s’agit de répondre à des enjeux qui dépassent la seule finalité financière". Ici, pas de plan de sauvegarde de l’emploi, ni de départ volontaire. "Le maintien dans l’emploi reste l’axe privilégié de notre politique de l’emploi". Et si le dispositif de rupture conventionnelle individuelle a été introduit, en janvier 2020, par la loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique, sa portée pourrait, pour l’heure, être limitée. "Cette procédure entraîne de facto la perte de qualité de fonctionnaire", rappelle le DRH qui a toutefois provisionné un budget dédié de 50 000 à 70 000 euros cette année au titre des indemnités spécifiques.

 Une fonction intellectuellement très intéressante même s’il s’agit d’un poste stressant et psychologiquement usant

Ce qu’il aime ? "Etre DRH dans une collectivité locale permet d’être dans le moteur de la construction des politiques publiques et de toucher à tous les champs". "Une fonction intellectuellement très intéressante même s’il s’agit d’un poste stressant et psychologiquement usant. Et deux à trois fois moins rémunéré que dans le privé à poste équivalent".

Car selon le trentenaire, le job n’est pas de tout repos. Il s’agit même à ses yeux "du poste le plus difficile de l’organisation". "On est attendu sur des compétences techniques mais aussi sur notre capacité à négocier, à manager et sur notre aptitude psychologique à endurer les mauvaises nouvelles". En effet, c’est vers lui que se tournent les agents en panne de solutions.

 Le profil idéal tient plus du super manager que du super technicien

Mais le poste de DRH est aussi "un tremplin" pour d’autres fonctions managériales. Demain, Benoît Zenou pourrait s’orienter vers un autre métier, voir vers le secteur privé, une opportunité "qu’il n’écarte pas". Même si les passerelles sont rares. A tort selon lui. Car à ce poste, "le profil idéal tient plus du super manager que du super technicien".

Au quotidien, il gère 7 000 agents dont 4 000 pour la ville de Montpellier. Le Pôle RH comprend quatre directions (160 agents) : le pilotage et la modernisation RH ; les parcours professionnels et les compétences ; l’administration des RH (paie, carrière, gestion du temps, contentieux) ainsi que la santé et la prévention des risques professionnels.

Quatre défis attendent particulièrement le DRH. Outre le pilotage et le contrôle de gestion des procédures RH (notamment des procédures de paie et de recrutement), il s’attelle à proposer des parcours professionnels sur l’ensemble d’une carrière. Mais changer de métier - sachant qu’une auxiliaire de puériculture peut être considérée comme senior à 35 ans - ne s’improvise pas, même si la collectivité locale compte quelque 400 métiers différents. L’une des principales difficultés réside dans la mobilité des agents occupant des postes pénibles, exposés à des risques de troubles musculo squelettiques (TMS) ou de tensions nerveuses. De fait, tous ne pourront pas exercer leur métier d’origine jusqu’à la retraite. D’où la nécessité de décloisonner les filières, créer des passerelles et renforcer les programmes de formation.

Des plans seniors ont même été imaginés l’an passé. La collectivité propose ainsi des postes de tuteur ou prévoit des reconversions professionnelles, grâce à la mise en place d’entretiens à mi-carrière. En amont, une attention particulière est portée à la prévention, notamment en termes d’équipements, d’ergonomie et de positions de travail.

500 agents, tous âges confondus, ont ainsi changé de poste l’an dernier à la ville, en rejoignant principalement des postes administratifs.

Reste enfin une dernière préoccupation : le recours facilité aux contrats, instauré par la loi du 6 août 2019, afin de donner de nouvelles marges de manœuvres aux encadrants dans le recrutement. "Un virage pour la fonction publique", observe le DRH. Ainsi, le texte facilite le recours aux contractuels, pour un besoin spécifique ou pour remplacer un titulaire qui valide ses droits à la retraite, par exemple. Il crée également un CDD de "projet", similaire aux contrats de chantier du secteur privé, d’une durée d’un an minimum à six ans maximum. Or, ce type de contrat, qui peut être conclu pour la conduite ou la mise en œuvre de projet, peut poser des difficultés d’application sur le terrain. Notamment en termes de mixité des équipes. "Il faut garder une équité de traitement entre fonctionnaires et contractuels. Or, même si le statut encadre la rémunération des agents titulaires comme des contractuels, ces derniers sont souvent mieux payés dans le privé et viennent avec de fortes prétentions salariales lors du recrutement, qui peuvent conduire à créer d’importantes différences de rémunération à poste équivalent". Un nouveau casse-tête en l’occurrence pour le DRH !

Frédérique Lancestremère, DRH de la ville de Paris

Un cadre de travail exceptionnel en plein cœur de la capitale : c’est là que Frédérique Lancestremère officie depuis 2018 à la tête de la direction des ressources humaines de la ville de Paris qui emploie 53 000 agents, répartis en 20 directions, dont 1 200 à la DRH (dont la médecine du travail).

Elle a fait ses premières armes à ce poste aux côtés de Michel Yahiel, alors DRH de la ville, devenu depuis directeur des retraites et de la solidarité de la Caisse des Dépôts. Elle était alors directrice adjointe, après avoir occupé le poste de sous-directrice des ressources de la direction famille petite enfance (500 établissements) et travaillé plusieurs années au ministère de l’intérieur, depuis sa sortie de l’ENA en 2006.

En portant des objectifs ambitieux, on renforce les relations des agents avec les administrés. C’est notre plus-value 

Sa mission s’inscrit, selon elle, "dans la nécessité de donner du sens à la politique RH". "Dans une collectivité locale, notre métier n’est pas une priorité. On ne construit pas de route, on n'assure pas la propreté des rues parisiennes. La fonction RH n’est qu’un moyen. Mais en portant des objectifs ambitieux, en adaptant les formations du personnel aux attentes des Parisiens vis-à-vis des services municipaux, on renforce les relations des agents avec les administrés. C’est notre plus-value". Signes de cette volonté : la tenue ce matin-là de janvier d’un atelier consacré à la communication non-violente pour désamorcer d’éventuels conflits avec le public ou encore la déclinaison d’actions ciblées, comme l’accueil des parents homosexuels dans les crèches et les écoles.

Un poste stratégique, en effet. Ses dossiers ? L’égalité professionnelle est hissée aux rangs des priorités. La ville s’est vue décerner, en 2019, le label Afnor de l’égalité professionnelle femmes/hommes. Avec à la clef, la lutte contre les discriminations, le travail sur les stéréotypes ou encore le harcèlement sexiste.

Au quotidien, la jeune femme veille aussi sur l’avancement du plan de prévention de l’inaptitude, lancé en 2017. Doté de 15 millions d’euros sur trois ans, ce programme a pour objectif de réduire de 30 % les nouvelles restrictions médicales liées aux troubles musculo-squelettiques et d’abaisser de 30 % les accidents du travail liés à des postures pénibles ou à des manutentions à l’horizon de 2020. En parallèle, un plan de reconversion pour raisons de santé a été actionné. En 2018, 446 agents ont entamé ce parcours dont 370 déclarés inaptes à l'exercice de leurs fonctions d’origine et 166 personnes bénéficiaires de préconisations de reconversion émises par la médecine du travail.

 Etre DRH c’est aussi accompagner le temps qui passe : adapter les compétences, prévoir l’usure professionnelle, rassurer les agents...

"La majorité des agents sont de catégorie C et effectuent un travail pénible". D’où la nécessité de prévoir des passerelles en cours de carrière pour accompagner les métiers. "Tout le monde a sa place. Car être DRH c’est aussi accompagner le temps qui passe : adapter les compétences, prévoir l’usure professionnelle, rassurer les agents, envisager les secondes, voire les troisièmes parties de carrière, c’est-à-dire savoir proposer des postes différents".

Frédérique Lancestremère aime les défis et a des ressources. Depuis plusieurs années, nombre d’événements ont d'ailleurs bousculé le quotidien de la DRH, des attentats aux manifestions des "gilets jaunes", en passant par la canicule, l’incendie de Notre-Dame et la grève des transports qui a figé la capitale. Les implications pour ses services sont multiples, de la collecte des ordures ménagères à l’ouverture des crèches et des écoles. Elle se réjouit de "l’implication des agents et de leur attachement à la ville". Car pendant les grèves, "la continuité des services municipaux a globalement été assurée bien que deux tiers des agents n’habitent pas Paris". La ville a, d’ailleurs, facilité le télétravail : 6 500 agents parmi les 53 000 employés par la ville ont travaillé de chez eux.

Autres priorités ? Outre le recrutement - 2000 agents sont accueillis chaque année - la DRH a également investi à son arrivée le champ du management, en misant sur le co-développement pour faire évoluer ses pratiques. Concrètement, le programme se décline à travers des échanges de pratiques, des ateliers, des échanges entre managers, mais aussi des rendez-vous thématiques qui prennent la forme de petits-déjeuners. 6 000 agents exercent des responsabilités de management.

Surtout, un autre dossier clef attend la DRH : la fusion des quatre premiers arrondissements de la ville. Celle-ci, prévue au lendemain des résultats des prochaines élections municipales, va impacter 130 agents. Et le temps presse : si la majorité d’entre eux ont d’ores et déjà trouvé un autre poste, via des changements de directions, de mairie, ou des repositionnements professionnels, une petite dizaine d’agents est encore en attente de solutions.

Johan Theuret, directeur général adjoint chargé des ressources humaines de la ville de Rennes

Président de l’Association des DRH des grandes collectivités territoriales (ADRHGCT) et directeur général adjoint chargé du pôle ressources humaines de la ville et métropole de Rennes, Johan Theuret, 41 ans, connaît toutes les arcanes de la fonction publique territoriale. Il a été DRH de la ville de Laval et directeur général adjoint des ressources humaines et du dialogue social de Clermont-Ferrand avant de rejoindre la Bretagne. Il a ajouté deux autres cordes à son arc en devenant rapporteur extérieur de la Cour des comptes et enseignant à l’IEP de Rennes pour des cours de RH et de préparation aux concours administratifs.

Privé, public, les deux mondes s'ignorent le plus souvent

Une connaissance des collectivités locales mise à profit comme président de l’association depuis 2015. Comptant 200 adhérents de grandes collectivités (d’au moins 40 000 habitants), ce diplômé de Science po et de l’Institut national des études territoriales exerce actuellement son deuxième mandat. L’association se veut un réseau de praticiens et conduit, via des études et des enquêtes annuelles, des réflexions sur les politiques RH. Mais elle est également un interlocuteur privilégié de pouvoirs publics, lors de la présentation des projets de loi, des travaux auprès des parlementaires mais aussi au moment de la rédaction des décrets d’application. Autant dire que l’association a été un des rouages importants de l’élaboration de la loi de la transformation de la fonction publique du 6 août 2019, qui compte un volet RH important.

Si aucune passerelle n’existe entre le privé et le public, "les deux mondes s’ignorent le plus souvent", Johan Theuret estime que l’exercice de la fonction RH des deux secteurs n’est pas très différent, en dépit des statuts.

 Le métier est complexe en raison de la multiplicité des métiers et de l’éclatement des lieux de travail

Parmi ses dossiers phares figurent la maîtrise des coûts, les conditions de travail, la lutte contre les RPS, les troubles musculo-squelettiques (TMS), le dialogue social et la transformation des métiers sous l’impact du virage digital. Sans oublier la marque employeur afin d’attirer des candidats, en raison notamment d’une pyramide vieillissante. Même si dans ce domaine, les marges de manœuvre sont contraintes. "Il s’agit ici d’axer notre communication sur les attentes des usagers et de l’intérêt général". Des arguments qui peuvent, en effet, faire mouche auprès des millenials en quête de sens de travail.

"C’est un poste très transversal qui permet d’avoir une vision globale", relève Johan Theuret. Au quotidien, toutefois, "le métier est complexe, en raison de la multiplicité des métiers (240 à Rennes) et de l’éclatement des lieux de travail".   

A Rennes, ce DRH dirige une équipe de 5 500 agents dont 70 % en catégorie C. Outre le management et le pilotage des directions des ressources humaines, il est également en charge des finances et de la commande publique, des systèmes d’information, des affaires juridiques, du contrôle de gestion et des moyens généraux.

Et côté RH, l’ambition est élevée. Rennes fait partie des villes pionnières à s’être engagée en faveur de l’égalité femmes-hommes. C’est dès 2018 qu’elle a obtenu le label égalité de l’Afnor, renouvelé deux fois depuis. Pour amorcer la résorption des écarts salariaux, une enveloppe d’environ 35 000 euros par an est consacrée au rééquilibrage progressif, notamment en faveur des filières féminines (assistantes maternelles, puéricultrices, agents spécialisés des écoles maternelles…). L’objectif étant de réduire de 10 % les écarts salariaux en quatre ans, de 2018 à 2022. De nombreuses autres mesures ont été prises : sensibilisation des agents aux inégalités et aux stéréotypes, renforcement de la mixité des métiers par la mobilité interne grâce au décloisonnement et à des passerelles entre métiers et filières, amélioration de l’équilibre femmes-hommes au niveau des postes d’encadrement et de direction (avec un quota de 40 %). Sous peine de pénalités financières. Preuve que les lignes bougent : les responsabilités de la direction générale des services de la ville sont désormais dévolues à une femme.

A son actif figure également la mise en place d’un programme de formation pour les managers afin de "garantir la cohésion d’un collectif de travail", notamment depuis la mise en place du télétravail, en 1996. 190 agents travaillent désormais à distance, un jour par semaine majoritairement.   

Pascale Fréry, DGA RH numérique de la ville de Grenoble

C’est dès le lendemain des élections municipales de 2014 que Pascale Fréry, DGA RH numérique de la ville de Grenoble (159 000 habitants), a décidé d’octroyer une aide de 100 euros par semestre (200 euros par an) aux agents qui se rendent au travail en utilisant un deux-roues. La DRH adapte ainsi sa politique au projet du maire écologiste, en l’occurrence Eric Piolle, un des seuls édiles verts d’une ville de plus de 100 000 habitants. C’est ainsi que Pascale Fréry, arrivée à Grenoble, au lendemain des élections municipales de 2014, conçoit son métier.

Le projet porté par l’élu est très important. C’est ce qui fait que vous avez envie de vous engager ou non

"Le projet porté par l’élu est très important, indique la jeune femme qui a également contribué à supprimer les voitures de fonction et opté pour une flotte de 600 vélos. C’est ce qui fait que vous avez envie de vous engager ou non". Diplômée de Sciences Po et de l’Institut des études territoriales, Pascale Fréry, 39 ans, n’a pourtant pas fait toute sa carrière dans une mairie verte. Elle a débuté à la région Ile-de-France avant de prendre un poste de directrice générale adjointe à Suresnes (92).

Sans surprise, la qualité de vie au travail est également une mission érigée au rang de priorité. Cette thématique, qui s’est traduite par un plan triennal en début de mandat, englobe à la fois le télétravail qui concerne aujourd’hui une centaine d’agents, les formations au management ainsi que les efforts en faveur l’égalité femmes-hommes. De même, la lutte contre les troubles musculo-squelettiques retient toutes les attentions. Un fléau qui touche de nombreux agents. D’où la nécessité d’activer des politiques pour préparer les reconversions, via des stages portant sur les outils numériques. Le budget dédié à la formation représente 1 % de la masse salariale, soit 1,3 million d’euros. Chaque année, 150 agents changent de poste.

A son actif également, le protocole d’accord signé entre la mairie et l’ensemble des syndicats pour réduire la précarisation des vacataires de la direction éducation jeunesse. Parmi les mesures figurent, par exemple, l’engagement de ne plus proposer des contrats à temps non complets inférieurs à 50 %, de mensualiser une partie des animateurs qui œuvrent dans le cadre du périscolaire afin de lisser leur salaire sur toute l’année, et de proposer la création d’emplois dans le cadre d’un pool de remplaçants.

On se bat pour les gens, on trouve des solutions pour favoriser le vivre ensemble 

"On se bat pour les gens, on trouve des solutions pour favoriser le vivre ensemble, indique-t-elle. On a un rôle social, humaniste. Je ne suis pas sûre de retrouver tout cela partout". Le poste de DGA RH est toutefois un poste fonctionnel, Pascale Fréry n’a donc pas vocation à devenir une politique. Mais ce qu’elle aime, "c’est porter un projet, être en cohérence avec l’élu". 

L’arrivée, le 1er janvier 2020, de la rupture conventionnelle individuelle dans la fonction publique ne devrait pas changer la donne dans la gestion des effectifs. D’autant que ce dispositif est potentiellement très lourd, avec le versement d’indemnités qui peuvent avoisiner jusqu’à deux ans de rémunération. A la place, Pascale Fréry préfère miser sur le collectif, avec la mise en place d’un "bouclier social" : aide à la mutuelle et prévoyance pour tous.

La DRH travaille toutefois sur les dossiers sensibles qui sont loin de faire l’unanimité. C’est par exemple le cas de la maîtrise de la masse salariale. A ce titre, elle a négocié un accord en 2017 avec la CFDT pour accompagner un plan d’économies de six millions d’euros de masse salariale, par le biais de non remplacement des personnes partant à la retraite.

Le prochain défi qu’elle souhaite relever concerne le déménagement de la mairie, fin 2020. Les 300 agents quitteront des locaux disséminés dans toute la ville pour se regrouper face à la maison de la culture. Et déjà les projets fourmillent : installation d’une salle de sport, cantine bio et même ferme urbaine pour alimenter le nouveau self.

Anne Bariet
Vous aimerez aussi