Dans son livre "Un cadre en révolte", Marc Verret, manager audit et porte-parole de l'intersyndicale d'EY & associés, témoigne de la pression à la rentabilité et des journées à rallonge et retrace son combat syndical au sein du Big four. Interview.
Il existe assez peu de livres sur le monde des Big four et sur la vie en cabinet. La première partie du livre illustre la vie quotidienne d'un salarié et a vocation à être un témoignage sur la réalité de ce que l’on vit.
Pour la deuxième partie sur l'engagement syndical, je pense qu'il était nécessaire de montrer la force et la puissance de l'engouement qui s'est créé autour de nous et de montrer qu'une transformation radicale des cabinets s'est amorcée.
Un certain nombre de salariés refusent aujourd'hui le fonctionnement des cabinets tel qu'il existe. Ce livre est centré sur mon engagement à moi, mais je décris le fait que mon engagement est porté par une masse. Et d'ailleurs, la meilleure preuve, c'est le taux de participation aux dernières élections professionnelles qui se sont tenues du 4 au 7 décembre 2023. Nous avons dépassé 60 % au premier tour, ce qui est inédit dans l'histoire des cabinets dépassant 1000 salariés [NDLR : les évènements relatés dans le livre s’arrêtent fin 2021].
Les auditeurs doivent remplir des déclarations des temps toutes les semaines, alors que la loi ne le demande que tous les mois. Et il y a effectivement cette pression à la rentabilité. La première année, la pression est sous-jacente puisqu'en fait, on ne va jamais nous taper dessus pour la rentabilité. Mais à partir de la deuxième, troisième année, c'est assez clair parce que nous coûtons "plus chers".

Chaque mission d'audit est vendue au forfait, avec un montant annuel d'honoraires fixé avec le client. Sur ce montant annuel sont défalqués les coûts horaires du travail des auditeurs [c'est-à-dire le nombre d'heures de travail passées sur chaque mission, multiplié par un taux horaire]. Et le manager suit cette marge du "job" de manière régulière. Ce système nous paraît particulièrement bizarre parce que la rentabilité est suivie par heure alors que nous ne sommes pas payés à l'heure de travail (nous sommes au forfait-jours) et nos heures supplémentaires ne sont pas non plus rémunérées. Donc nous sentons une décorrélation, c'est-à-dire que la rentabilité est suivie plus finement que notre salaire.
La pression à la rentabilité, c'est donc travailler le plus efficacement possible en chargeant le moins d'heures possible pour avoir une marge de la mission la plus élevée possible.
On réussit à tenir, d'une part, parce qu’on est jeunes et qu’on a un organisme, en général, relativement résistant. Et d'autre part, il y a la solidarité d'équipe.
Dans notre secteur, nous avons des horaires très importants, avec un salaire relativement faible. Donc, psychologiquement, nous avons parfois une perte de repère et de sens. Notre travail n'est pas rémunéré à sa juste valeur. En tout cas, c'est un gros ressenti des salariés.
De plus, il existe une conscience professionnelle très forte dans nos métiers. Et l'entreprise l’utilise en déchargeant son obligation de production sur les salariés. L'obligation ne va plus de l'entreprise vers le client, mais du salarié vers le client. Par exemple, beaucoup de mes managers m'ont répliqué : "nous sommes en retard, le client s'est plaint, trouves-tu cela normal ?".
Je pense que c'est la conscience de chacun de pouvoir hiérarchiser un certain nombre d'éléments en considérant que la rentabilité d'une mission, c'est important, mais ce n'est pas l'élément primordial. Quand on a du mal à hiérarchiser, on devient un peu schizophrène.
C’est en fait plusieurs éléments. Je vois mes collègues épuisés et avoir un certain nombre de pathologies, et ça me révolte. On ne peut pas accepter qu'à 25 ans, on soit extrêmement fatigué par le travail. Par ailleurs, j’ai une culture d'engagement, une culture politique à l'époque, et je me dis que, si moi, je ne peux pas changer les choses, personne ne le fera. Et c'était parti.
Je pense que le plus dur, c'est d'être face à un mur de la direction qui refuse notre demande et notre envie de dialogue. C'est très compliqué d'établir un dialogue social quand l'autre partie a du mal à entrer dans une logique de dialogue.
Dans ce genre de cabinet, comme il n'y a pas réellement d'autres coûts que le coût humain, celui-ci se partage entre les associés et les salariés. Donc, si nous voulons augmenter nos salaires, nous n'avons quasiment pas d'autre choix que de demander une modification du partage de la valeur ajoutée.

Au début de la décennie 2010, le partage de la valeur s'est érodé en faveur des associés. Entre 2011 et 2021, il a baissé de l'ordre de 3% parce qu'on a reconstitué une valeur ajoutée en intégrant les sociétés facturantes.
Nous allons rentrer dans une phase de renégociation de l'accord aux mois de mai-juin, car à la suite des dernières élections professionnelles, l'ensemble des syndicats représentatifs a souhaité une révision du texte. La revendication de l’intersyndicale est de revenir sur les 48 heures hebdomadaires. C'est notre ligne rouge. On verra ce qu'il en sera. En tout cas, l'accord va être modifié et, très probablement, substantiellement.
Je n'ai pas été menacé individuellement parce que je pense que je suis trop protégé, d'une part par le droit, et d'autre part par la médiatisation. Ils ont essayé d'attaquer l'associée qui fait partie de notre trio [de l’intersyndicale] mais nous avons réagi très fortement. La direction a compris que l'unité de notre intersyndicale faisait qu'on était prêt à tout pour pouvoir rester en vie dans l'entreprise.
C’est le taux de participation aux dernières élections professionnelles (60 %), parce que nous avons réussi à réveiller des consciences. Le quorum a été atteint au premier tour des élections professionnelles. Et nous sommes devenus majoritaires : l’intersyndicale a obtenu 28 % des voix, la CFDT 38 % et la CFE 34 % (qui était auparavant à 66 %). La CFDT, la CGT et l'intersyndicale sont relativement alignées donc ça signifie que des progrès sont possibles.
Je n'ai jamais eu de volonté concrète de démissionner. Je pense rester au moins cette mandature pour finir les combats qui ont été initiés. La transformation des cabinets ne peut pas se faire en un an ou deux. Ça a besoin de s'installer dans la durée.
Il n'y a pas eu de répercussions spécifiques. Je pense que ce livre a vocation à être un livre de témoignages et raconte de manière plus ample ce que j'ai déjà fait depuis quatre ans. Il n'a pas vocation à déclencher des réactions spécifiques parce qu'il n'y a pas de scoop.
Je ne vois pas pourquoi ça irriterait plus que l'action que nous menons depuis quatre ans.
► Lire également nos articles : "Les nouvelles générations qui arrivent au cabinet ne sont pas prêtes à faire des sacrifices" Pour certains collaborateurs juniors d'EY, c'est la surchauffe |
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(*) Un cadre en révolte. Pour un combat syndical dans les multinationales (Editions Dunod, sortie le 6 mars 2024). Nous avons contacté EY qui répond sur différents points dans notre article publié dans cette même édition.
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