Nouvelle définition du licenciement économique : les interrogations des DRH

Nouvelle définition du licenciement économique : les interrogations des DRH

13.04.2016

Gestion du personnel

Plus de sécurité juridique mais aussi beaucoup de rigidités et de complexités : la nouvelle définition du licenciement économique, modifiée en commission des affaires sociales, peine à faire l’unanimité. Certains points clefs font encore débat. Avis d’experts.

La redéfinition du licenciement économique constitue l’un des grands bouleversements contenus dans le projet de loi Travail amendé, jeudi dernier, par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Sans statuer sur le périmètre au sein duquel les difficultés économiques d’une entreprise présente dans plusieurs pays devront être appréciées, la nouvelle mouture, proposée par le rapporteur Christophe Sirugue, introduit un régime spécifique pour les TPE/PME. Une société de moins de 11 salariés pourra justifier le recours à un ou des licenciements économiques si elle subit une baisse de son chiffre d’affaires pendant plus d’un trimestre (comparé à l’année précédente). Pour les entreprises de 11 à 50 salariés, il faudra justifier de deux trimestres consécutifs, et de trois trimestres consécutifs pour celles qui comptent entre 50 et 300 salariés. Au-delà, le nombre de trimestres de baisse du chiffre d’affaires reste à quatre.

Ces critères ne sont pas exhaustifs. L’entreprise est libre d’invoquer d’autres indicateurs (pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation…) prouvant le caractère significatif de ces difficultés économiques. Enfin, l’amendement supprime du projet de loi la possibilité pour les branches d'adapter cette définition par accord.

Voilà pour la nouvelle version du texte. Reste que les experts sont nuancés sur la réécriture de cet article 30.

Un garde-fou pour les salariés

Côté positif, Alexis Ducos, fondateur de Homo Erudis & Homo Responsabilis, cabinet conseil spécialisé dans l’externalisation de la gestion RH, ex DRH de Fiskars, reconnaît que cette définition permet de contrer "l’appréciation arbitraire concernant la notion de sauvegarde de la compétitivité". "Il s’agit d’un garde-fou pour les salariés. Les juges pourront désormais s’appuyer sur des éléments tangibles pour caractériser un licenciement économique". Soit une précision qui permet d’apporter "plus de sécurité juridique à un processus souvent malmené par les juges", ajoute Bernard Derangère, expert-comptable au sein du cabinet I-Dexpert qui accompagne des TPE.

Par ailleurs, Francis Bergeron, DRH du groupe SGS France (2 700 salariés) apprécie le distinguo en fonction de la taille de l’entreprise. "La perte du chiffre d’affaires sur un trimestre n’a pas les mêmes conséquences pour toutes les entreprises. Pour une TPE, elle peut, en effet, conduire au dépôt de bilan".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Les seuils, un écueil

Côté négatif, les  experts pointent, toutefois, un système rigide. "Les marchés des clients sont très mouvants, observe Bernard Derangère. Une période de forte activité peut suivre une période plus calme". "Aussi les dirigeants des TPE regardent-ils à deux fois avant de se lancer dans une procédure de licenciement économique". D’autant que ce type de process "coûte cher et traîne en longueur".  En clair, "d’autres alternatives existent pour gagner en souplesse : rotation de personnel, renouvellement de CDD, voire chômage partiel …" Le PSE ou les licenciements économiques ne constituant que l'ultime solution.

Autre écueil : celui des seuils. "Cette définition n’est pertinente ni juridiquement, ni économiquement, avertit Marc Canaple, responsable du département de droit social de la CCIR Paris Île-de-France et maître de conférence à l'université de Cergy-Pontoise (95). Il est très difficile de caractériser un licenciement économique en fonction de la taille de l'entreprise. La situation d’une entreprise de 10 ou de 11 salariés est-elle vraiment différente ? Et quid d’une entreprise de 52 salariés qui perd du jour au lendemain son client principal ? Pourra-t-elle attendre 3 trimestres sans réserve de trésorerie ?". Une situation d’autant plus difficile à apprécier que la commission "supprime la possibilité de conclure un accord de branche fixant une durée inférieure pour caractériser l’existence de difficultés économiques". La proposition devra également franchir l'obstacle du Conseil constitutionnel. Sur ce sujet, le doute persiste : le plafonnement des indemnités prud'homales dans la loi Macron avait été invalidé parce qu'il varait selon la taille des entreprises. 

Quid de la gestion des effectifs ?

Sans compter que le "diable se cache dans les détails", alerte Francis Bergeron. Le DRH craint, en effet, que le critère du chiffre d’affaires se substitue aux autres indicateurs. "Or, ce serait catastrophique, poursuit l’expert. Un groupe qui a des difficultés ne peut guère attendre 4 trimestres pour avoir le droit de restructurer". Il redoute également que cette disposition "ne permette plus de provisionner des licenciements". De peur de grever le chiffre d’affaires. En somme, la nouvelle définition du licenciement économique "ne permettrait plus d’anticiper la gestion des effectifs". Soit une démarche totalement "contre-productive".

Latitude du juge

Enfin, une inconnue persiste : quelle sera la marge de manœuvre du juge face à un texte aux formulations suffisamment précises pour guider son jugement sans pour autant circonscrire le licenciement à un seul indice ? C’est là toute la question. "Il peut s’exonérer du critère du chiffre d’affaires, en s’appuyant sur d’autres indicateurs ou, à l'inverse, suivre une logique calée sur l’effectif de l'entreprise", prévient Marc Canaple. Reste, dans ce dernier cas, à savoir où placer le curseur. Une infime baisse de commandes l’obligera-t-il à reconnaître le licenciement économique comme étant caractérisé ? Et quel sera le degré significatif de la baisse du chiffre d’affaires ? 1% ? 5% ? 10% ?

La CCIR Paris Ile-de-France propose de faire appel, en cours d’instance, à un expert indépendant mandaté par le juge, expert-comptable, commissaire au compte, expert financier… L’objectif étant d’apporter un éclairage supplémentaire et "objectif" pour étayer les arguments du juge en sus des conclusions du rapport de l’expert mandaté par le comité d’entreprise. L’idée pourrait être reprise, par amendement, lors du débat en séance publique, à partir du 3 mai. Les discussions s'annoncent à nouveau mouvementées. Attention, sujet sensible !

Anne Bariet
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