Obligation de réemploi au retour du congé parental et discrimination indirecte, le mélange des genres

Obligation de réemploi au retour du congé parental et discrimination indirecte, le mélange des genres

04.12.2019

Gestion du personnel

Delphine Tharaud, maître de conférences HDR à l'université de Limoges (OMIJ), analyse la portée d'un arrêt de la Cour de cassation du 14 novembre 2019 qui a retenu la discrimination indirecte à l'égard d'une femme de retour de congé parental qui n'avait pas retrouvé son poste. Une solution qui pourrait aller à l'encontre de la logique d'inclusion de la lutte contre les discriminations.

A l’heure des discussions autour d’un congé paternité allongé ou obligatoire pour les pères, d’un équilibre à trouver entre congés maternité et paternité, la chambre sociale de Cour de cassation vient rappeler et entériner en ce 14 novembre [1] que les choix liés à une dynamique familiale relèvent encore pour l’essentiel d’une problématique féminine.

La salariée au cœur de l’espèce avait été embauchée comme comptable en 1997. Moins d’un an plus tard, elle prenait un congé parental d’éducation d’une durée légèrement inférieure à trois ans. Son retour fut chaotique à un point tel que Mme K. introduisit une action afin de faire reconnaître une situation de harcèlement moral à laquelle s’est adjointe devant la cour d’appel une demande sur le fondement d’une discrimination liée à la grossesse. Les juges du fond refuseront d’accéder à ses demandes, en invoquant, concernant la discrimination, l’absence d’éléments précis et concordants permettant d’établir une différence de traitement.

Outre le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond sur l’existence du harcèlement, l’arrêt de la chambre sociale vient surtout rappeler un point essentiel du régime de la preuve de l’existence d’une discrimination qui répartit la charge sur le salarié et l’employeur : au premier de mettre en avant des éléments permettant d’établir une différence de traitement, au second de se justifier par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination [2].

Précisément, l’arrêt porte sur les points rapportés par la salariée pour établir la différence de traitement. Celle-ci met en avant les mêmes éléments que relativement à sa demande d’indemnisation pour harcèlement moral, à savoir qu’un autre comptable avait été embauché et conservé au poste désiré malgré son retour. Cette mise à l’écart se traduit par une activité de comptable devenue accessoire au regard des multiples tâches d’administration et de secrétariat qui lui sont dorénavant confiées. Pour elle, il s’agit d’une modification du contrat de travail qui exclut la possibilité de considérer qu’elle ait retrouvé son précédent emploi ou un emploi équivalent.

La Cour casse alors partiellement l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il refusait d’analyser les éléments apportés par la salariée comme pouvant apporter la preuve d’une différence de traitement liée à une discrimination indirecte en raison du sexe au regard du contexte dans lequel s’inscrit le congé parental majoritairement pris par les mères.

Plus encore que cet aspect probatoire générique, la question réellement posée était de savoir à quel type de discrimination pouvaient servir ces éléments car c’est bien sur ce point que l’arrêt de la Cour apparaît comme critiquable.

En reconnaissant une discrimination indirecte liée au motif du sexe, elle met avantageusement en lumière la dissymétrie sexuée dans l’équilibre entre les sphères familiale et professionnelle. Cependant, si nous pouvons saluer cet effort, il est malheureusement gâché par des choix techniques qui provoquent des effets contraires à l’idée d’inclusion pourtant portée par les règles de non-discrimination.

Une reconnaissance de la dissymétrie sexuée dans l’équilibre entre les sphères familiale et professionnelle

Soucieux de capturer au plus près les situations de discrimination, législateur et juges ont construit un pan entier du droit avec l’émergence d’une dynamique et d’un vocabulaire propres. Il ne s’agit plus de débusquer une discrimination de manière indistincte, mais une discrimination en particulier qui obéit à des possibilités de justifications spécifiques (en raison de l’âge ou du sexe par exemple), voire des possibilités ou des obligations de lutter contre elles (avec les discriminations positives pour certains critères [3]). Pour connaître l’exact régime de la discrimination il faut tout d’abord établir un motif de discrimination. Ici, la Cour opère un glissement volontaire du motif de la grossesse vers celui du sexe. Ensuite, c’est la forme de la discrimination qui est à déterminer. De ce point de vue, la chambre sociale montre un véritable intérêt pour les difficultés propres aux femmes en identifiant une discrimination indirecte.

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La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le choix du motif du sexe

La salariée arguait initialement d’une discrimination liée à la grossesse, fondement qui avait peu de chances de perdurer pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, si le motif est présent dans la longue liste établie par l’article L.1132-1 du code du travail, tel n’était pas le cas dans l’ancien article L.122-45 du code du travail applicable au litige [4]. De plus, si un retour de congé parental bénéficie de règles protectrices similaires à la grossesse avec l’obligation de retrouver le poste occupé ou un poste équivalent [5], il ne peut lui être assimilé. En premier lieu, au contraire du congé maternité, il peut être pris indistinctement par une femme ou un homme pour lequel il est difficile de relier directement la discrimination à la grossesse. En second lieu, si le congé parental est bien rattaché à une grossesse préexistante, la discrimination se déploie au retour du parent, autrement dit plusieurs années après la grossesse. S’il y a bien un lien avec la grossesse, celui-ci est pour le moins distendu.

La Cour de cassation opère alors logiquement une substitution en ciblant le sexe comme motif référent en l’espèce. Ce glissement, qui ne disqualifie pas la demande de la salariée, permet de placer le contentieux sous l’égide de l’égalité entre les sexes et le patronage de la directive 96/34/CE concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’EUNICE, le CEEP et la CES et partant de l’article 16 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs sur l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes auquel le premier texte se réfère. D’un temps de vie restreint correspondant au seul congé parental, la question est largement dépassée par une approche plus globale d’équilibre et de conciliation à trouver entre la vie familiale et la vie professionnelle, laquelle se trouve elle-même englobée dans l’égalité entre les sexes.

Ce choix fait en faveur de l’égalité des chances et de traitement entre les femmes et les hommes permet à la Cour de cassation de s’extraire de l’analyse faite par la cour d’appel qui avait considéré qu’il s’agissait uniquement d’une question relevant de l’obligation de réemploi pesant sur l’employeur au retour du congé parental. Pour les juges du fond, ces éléments ne pouvaient être considérés comme apportant la preuve d’une différence de traitement liée à la grossesse. En optant pour un prisme général de l’égalité entre les sexes, la Cour de cassation place le contentieux dans un contexte plus ouvert que les juges du fond auraient dû prendre en considération. Il y avait lieu d’établir si les modifications des fonctions exercées par la salariée pouvaient être considérées comme apportant la preuve d’une différence de traitement.

L’angle général du motif du sexe choisi par la Cour de cassation lui permet alors de s’appuyer sur la forme indirecte de la discrimination.

Le choix d’une discrimination indirecte

La discrimination prohibée est bien plus complexe que la seule différence de traitement directe faite en raison d’un motif identifié dans la loi. Sous l’impulsion du droit de l’Union européenne, le droit français a admis la discrimination indirecte, celle qui repose sur "une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes" [6]. La Cour de cassation faisant preuve d’une clarté peu rencontrée jusqu’à présent, identifie expressément une discrimination indirecte dans l’arrêt du 14 novembre.

Même si l’âge [7] ou encore la nationalité [8] peuvent faire émerger de type de discrimination, le motif du sexe en reste le pilier. Cette mise en valeur d’un contexte général de déséquilibre entre les sexes ne peut être que saluée et rappelle combien l’intrication des sphères familiales et professionnelles peut mener les femmes à une situation de désavantage global.

C’est aussi l’occasion d’établir que, directe ou indirecte, la discrimination obéit au même mécanisme probatoire qui doit conduire le salarié à prouver une différence de traitement et à l’employeur de se justifier de manière objective. Cependant, la preuve se trouve nettement facilitée du côté du salarié lorsque le contexte de désavantage pour un sexe est considéré de manière générale, comme c’est le cas en l’espèce. En effet, les juges du fond auraient dû prêter attention "au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes qui choisissent de bénéficier d’un congé parental". De fait, les chiffres montrent que seulement 4 % des congés parentaux sont utilisés par les pères [9] et que les effets néfastes sur la carrière des mères ne sont pas à minorer [10]. Sans mention d’un cadre spécifique, la Cour de cassation relie donc la situation individuelle de la salariée à un contexte global en défaveur des femmes. Ainsi, les salariées bénéficient d’une attention particulière bienvenue dans une logique de priorité donnée à une égalité entre les sexes pleine et entière. La preuve de la discrimination s’en trouve d’autant simplifiée, l’aspect indirect pouvant venir au secours de n’importe quelle mère revenant d’un congé parental. La leçon de l’arrêt est donc générale et comporte une conséquence financière importante à méditer pour l’employeur : le fondement de la discrimination permet d’obtenir, si le litige comporte cet aspect, la nullité du licenciement et ainsi d’éviter l’application du barème d’indemnisation.

Cependant, la logique de la chambre sociale implique un effet pervers qui est de mettre de côté la logique d’inclusion de la lutte contre les discriminations.

Une dévalorisation de la logique d’inclusion de la lutte contre les discriminations

Si la mise en avant des difficultés propres aux femmes ne peut être qu’appréciée, la technique employée pour y parvenir peut, en revanche, soulever des critiques par l’abandon induit de certains intérêts ou présupposés. En premier lieu, elle exclut les hommes de la protection contre la discrimination au retour du congé parental. En second lieu, elle écarte la possibilité de déconstruire les discriminations.

L’exclusion des hommes de la protection offerte

Le choix du motif du sexe assorti de la forme indirecte de la discrimination exclut de facto les pères de la protection contre la discrimination. En effet, celle-ci peut être établie en raison du manquement constaté dans l’obligation d’offrir un poste identique ou équivalent à celui laissé par la salariée et parce le congé s’inscrit dans une dynamique spécifique pour les femmes. Ce deuxième point ne concernant pas par définition les hommes, ils ne peuvent bénéficier de l’aspect indirect de la discrimination. Cela alors même que l’obligation de réemploi les concerne également.

La Cour de cassation disposait pourtant d’une autre option plus inclusive. Si la grossesse invoquée par la salariée ne pouvait en toute logique être pertinente, celui de la situation de famille pouvait parfaitement convenir. Outre l’intimité aujourd’hui entretenue entre les deux motifs qui se suivent et se rattachent par la conjonction "ou" dans la liste de l’article L.1132-1 du code du travail, la situation de famille a l’avantage d’avoir déjà été introduite dans l’ancien article L.122-45 au moment de la naissance du contentieux nous intéressant [11]. Sur le fond, le congé parental se justifiant par l’arrivée d’un ou de plusieurs enfants il est indéniablement relié à la situation de famille dont la Cour de cassation a déjà élaboré des contours assez larges allant des liens matrimoniaux [12] à la question de la filiation [13], en passant par la proximité d’une grossesse [14].

La situation de famille, même initialement pensée en faveur des femmes, parvient à circonscrire la problématique des congés de type familiaux en se présentant de manière neutre selon le sexe. Elle a ainsi l’avantage de permettre à l’ensemble des parents, quel que soit leur sexe, de pouvoir prétendre à une protection au titre de la non-discrimination. Il n’est dès lors plus nécessaire de passer par une discrimination indirecte puisque la différence de traitement est directement reliée à cette situation familiale. Hommes et femmes ayant pris un congé parental peuvent voir une discrimination directe reconnue à leur égard lorsque les conditions du retour à leur emploi ne sont pas satisfaisantes. Seule la référence au droit de l’Union, qui ne reconnaît pas en tant que tel le motif de la situation familiale et qui traite du congé parental dans le cadre du sexe, peut expliquer le choix de la Cour de cassation. Cependant, l’admission de la discrimination indirecte n’a pas nécessairement pour conséquence la comparaison de la situation entre les deux sexes avec l’exclusion des hommes. Les arrêts Meers [15] ou Praxair [16], référencés dans la décision française, nous apprennent ainsi que, même placée sous l’égide de l’égalité entre les sexes, la problématique se situe surtout dans la confrontation entre les salariés qui prennent un congé parental à temps partiel et ceux qui choisissent un temps plein, ou entre ceux qui optent pour le congé et ceux qui ne le font pas [17]. Cependant, la juridiction française doit ici faire face à la question de l’obligation de réemploi qui n’existe que pour les travailleurs ayant pris le congé. Elle n’a alors d’autre choix que d’inclure celle-ci dans l’équation, ce qui éloigne la solution de la dynamique subjective des discriminations.

L’exclusion de la logique de déconstruction des discriminations

L’élément perturbateur essentiel de la décision provient de la combinaison effectuée entre les obligations à remplir par l’employeur face au retour de congé et la répression des discriminations. En effet, la discrimination trouve son origine dans le manquement de l’employeur à l’obligation qui lui est faite d’offrir au retour de la salariée son poste ou un poste équivalent. D’une part, il s’agit bien là d’un élément individualisable et direct inconciliable avec la discrimination indirecte. D’autre part, si l’utilisation d’un critère en apparence neutre qui a des répercussions défavorables sur une catégorie de personnes est l’élément caractéristique d’une discrimination indirecte, elle provient de l’auteur de la discrimination (ici l’employeur). Or, la solution retenue par la Cour suppose une analyse fondée sur l’obligation de réemploi de l’employeur imposée par le législateur. L’action du premier n’a pas été élaborée de manière distincte selon le sexe par le second, pourtant la lecture du juge dans le manquement éventuel doit prendre en compte cet élément. Peut-on alors considérer que c’est le législateur, par cette obligation neutre, qui est l’auteur d’une discrimination indirecte ? Ou alors que, malgré l’obligation universelle qui lui est imposée, l’employeur doit prendre l’initiative de la remplir en considération de la situation générale d’inégalité entre les sexes ?

Dans les deux cas, la solution incite à la différenciation, que ce soit par le législateur ou par l’employeur. C’est une solution malvenue qui ne reflète en rien une discrimination positive. En effet, l’équilibre recherché entre les sexes passe par une implication plus forte des hommes dans la sphère familiale mais ceux qui le font bénéficient d’une protection moindre par rapport à une femme. Les choix techniques faits par la Cour de cassation produisent donc l’effet inverse de celui escompté, laissant chaque sexe dans la sphère professionnelle ou personnelle habituellement occupée.

L’arrêt pose finalement la question de la répression de la discrimination lorsque la preuve de celle-ci trouve son socle dans une obligation de l’employeur. Tandis que l’obligation neutre invite au traitement objectif et universel, la preuve d’une discrimination nécessite la subjectivité du comportement de l’auteur. Se servir de l’obligation pour découvrir la discrimination relève d’une confrontation de logiques qui peut desservir la cohérence de la lutte contre les discriminations.

 

[1] Arrêt du 14 novembre 2019

[2] Article L.1134-1 du code du travail ; 

[3] Obligation de discrimination positive liée au motif du handicap, possibilité pour les motifs de la vulnérabilité économique, du lieu de résidence ou encore du sexe ; 

[4] Le motif de la grossesse a été introduit dans le code du travail et le code pénal par la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ;

[5] Article L.1225-55 du code du travail ; 

[6] Loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire en matière de lutte contre les discriminations ; 

[7] Arrêt du 9 octobre 2019 ;

[8] Arrêt du 20 janvier 2009 ;

[9] https://www.franceinter.fr/societe/conge-parental-ca-coince-pour-les-peres-francais

[10] Christophe Radé, "Congé parental d’éducation et discrimination indirecte : quand rôde le spectre de la nullité…", Lexbase Hebdo, Ed. Soc, 28 nov.2019, n°804 :

[11] Ce motif a été introduit par la loi n°75-625 du 11 février 1975 modifiant et complétant le code du travail en ce qui concerne les règles particulières au travail des femmes ;

[12] Arrêt du 10 février 1999 ;

[13] Arrêt du 1er juin 1999 ;

[14] Arrêt du 6 janvier 2010 ;

[15] CJUE, 20 oct. 2009, Meerts, C-116/08 ;

[16] CJUE, 8 mai 2018, Praxair, C-486/18 ;

[17] CJUE, 20 juin 2013, Riezniece, C-7/12.

Delphine Tharaud
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