"On n'a pas de politique arrêtée sur les prix, ça dépendra beaucoup de l'innovation"

"On n'a pas de politique arrêtée sur les prix, ça dépendra beaucoup de l'innovation"

26.02.2024

Gestion d'entreprise

Vision du marché du logiciel de paie, relations avec les experts-comptables, politique tarifaire, cybersécurité... Thomas Bourgeois, directeur général de Silae, répond à nos questions.

Quelle est la vision de Silae sur le marché du logiciel de paye et sur celui des systèmes d'information des ressources humaines ?

Notre vision, c'est que la paie continue [à évoluer] sur plusieurs axes. D'une part, dans la complexité légale, conventionnelle puisqu'il y a encore des sujets qui sont importants dans ce domaine-là. Pour vous citer quelques éléments d'évolution, il y a la fusion des conventions collectives. Il y a eu un travail énorme dans la métallurgie. Cela a donné lieu à beaucoup de transformations, de changements à tous égards au niveau des règles appliquées et des coefficients à appliquer aux salariés. On a un axe qu'on doit maintenir et qu'on maintient de conformité sur la partie paye.

Il y a une vraie pénurie de gestionnaires de paye

[D'autre part] l'autre axe, c'est toujours plus de digitalisation. C'est-à-dire qu'il y a un besoin constant d'amélioration de productivité pour les gestionnaires de paie. C’est un métier qui est en forte tension en France. Et qui est dur puisque la paye c'est tous les mois, c'est très sensible, puisque ça touche au salaire des salariés, et ça bouge beaucoup. Et il y a une vraie pénurie de gestionnaires de paye.

Tout ce qui peut permettre d'augmenter la productivité du gestionnaire de paye peut permettre de soulager ce métier et d'accompagner la croissance d'externalisation de la paye. Silae est positionné beaucoup sur les professionnels de l'externalisation de la paye, notamment les experts-comptables, mais on a aussi beaucoup de VAR [value-added reseller ; revendeur à valeur ajoutée] et d'intégrateurs d'entreprises. Lorsque l'entreprise considère, et il y en a de plus en plus, que ce n'est pas son core business [cœur de métier] que de faire des payes pour des salariés, elle demande à des acteurs spécialisés dans le domaine de le faire pour elle. Il y a une forte croissance de cette activité-là qui est freinée par le manque de ressources en gestionnaires de paye. Et donc, l'évolution de la paye, c'est aussi de continuer à fournir des outils qui améliorent cette productivité par différents biais.

On travaille beaucoup sur la digitalisation du flux d'informations entre le salarié, le dirigeant et les gestionnaires de paye

On travaille beaucoup sur la digitalisation du flux d'informations entre le salarié, le dirigeant et les gestionnaires de paye. Plutôt que de faire des envois de mails asynchrones qui prennent du temps, le salarié indique, par une application mobile, quand il est présent, quand il ne l’est pas et le dirigeant peut donner au gestionnaire de paye des éléments variables de la paye — est-ce qu'il y a des primes, est-ce qu'il y a des heures supplémentaires, etc.— de manière très très digitalisée.

Et le troisième mouvement qu'on voit, c'est l'évolution fonctionnelle très forte des SIRH [systèmes d’information des ressources humaines]. Il y a un besoin pour le salarié et pour le dirigeant d'avoir des outils de plus en plus intuitifs, beaucoup plus faciles dans la gestion de la relation entre le salarié et le dirigeant et dans le lien de confiance qu'il y a entre les deux. Ce sont des outils de gestion de frais professionnels, par exemple. Ce sont des outils d'entretien individuel... tous ces sujets de gestion de ressources humaines où la la digitalisation par le mobile rend ces processus administratifs beaucoup plus fluides, beaucoup plus simplifiés.

Et vous pensez que dans les années à venir le mouvement structurel de l'augmentation de l'externalisation de la paie va se poursuivre ?

Oui. Je le vois comme un vrai mouvement de fonds par le fait que la législation n'a rien simplifié. Je vous donnais l'exemple de ces fusions de conventions collectives. Il y a eu la métallurgie en janvier. D'ailleurs, certains de nos confrères et néanmoins concurrents ont jeté l'éponge. Ils ont exprimé auprès de leurs clients qu'ils ne couvriraient plus la métallurgie.

Il y a une soixantaine de conventions collectives dans la métallurgie

Il y a une soixantaine de conventions collectives dans la métallurgie. Plutôt que d'en éliminer, la fusion dans ce secteur en a créé des nouvelles qui étaient censées être celles qui allaient centraliser et qui allaient fédérer l'ensemble des conventions collectives initiales. On s'est rendu compte que c'était très compliqué pour certaines catégories de faire passer certains salariés sur les nouvelles conventions collectives. Donc, une vraie complexité qui continue. Nous, on s'est armés. C’est dans l'ADN de Silae de suivre ces évolutions conventionnelles et d’être à jour dès qu’elles sortent.

Il y a bientôt deux ans, vous aviez fait part d'une volonté de forte croissance du chiffre d'affaires. Quel est-il aujourd'hui ?

On ne communique pas sur le chiffre d'affaires. C'est vrai qu'on l'avait fait sur notre statut de Centaure qui avait dépassé les 100 millions d'ARR [annual recurring revenue ; chiffre d’affaires récurrent annuel]. On continue à garder une croissance de 30% par an. Sur le cœur de notre métier, on est proche des 7 millions de salariés qui utilisent nos services tous les mois.

C'est-à-dire proche de 7 millions de bulletins de paie ?

Oui, 7 millions de bulletins de paie et plus de 900 000 entreprises. C'est 50% des entreprises du privé en France et au travers de 5 000 partenaires puisque, comme vous le savez, on est un acteur indirect. Ce n'est pas nous qui produisons la paie pour les entreprises. Ce sont nos partenaires, donc les experts-comptables et intégrateurs qui utilisent les services de Silae pour le faire. On continue à avoir une croissance qui est très forte et qui est présente sur tous les segments de marché d'ailleurs.

L'évolution des SIRH se retrouve surtout chez les PME et ETI, donc plutôt des entreprises de plus de 100 salariés. Silae a 17% de parts de marché sur le [segment de ] 100 à 5 000 salariés. Les capacités du produit et les compétences des partenaires Silae ont fait qu'ils ont été chercher des dossiers de taille de plus en plus importante. On a beaucoup de clients de plusieurs milliers de salariés. On est un acteur qui est maintenant bien réparti de la TPE jusqu'à l'ETI.

Dans les 5 000 partenaires, vous avez combien d'experts comptables ?

C'est 80% de notre base.

L'année dernière, il y avait eu un mouvement de mécontentement d'experts-comptables, via l'organisation Ifec, à l'égard de Silae. Où en êtes-vous ? Il y avait un mécontentement sur une hausse tarifaire et sur une augmentation du périmètre de l’offre que ces experts-comptables jugeaient imposée.
On ne souhaite pas être un acteur statique de la paie

On n'en entend plus beaucoup parlé. Même plus du tout. Je garde cette ambition et cette vision qui est de dire que le domaine des RH est hyper dynamique. On ne peut pas dire que les RH d'aujourd'hui sont les mêmes qu'il y a 5 ans avant le Covid, qu'il y a 10 ans, qu'il y a 15 ans. La vie dans l'entreprise évolue fortement et donc les outils qui sont mis à disposition des entreprises évoluent fortement. Notre ambition et notre conviction c’est de continuer à délivrer des solutions innovantes dans le monde des RH. Ca ne plaira peut-être pas à tout le monde. On ne souhaite pas être un acteur statique de la paie comme d'autres peuvent l'être. On est un acteur dynamique. On continue à investir très fortement sur nos solutions.

On avait intégré à la paie le coffre-fort numérique il y a quelques temps. On est en train d'intégrer l'application mobile My Silae qui permet de digitaliser le flux d'informations entre le salarié, le dirigeant et le gestionnaire de paie.

Justement, c'était un des motifs de mécontentement d'experts-comptables, c’est-à-dire que vous leur imposiez le coffre-fort numérique. Certains disaient on n’en a pas besoin et on nous l’impose.

C’est une différence de vue. Aujourd’hui, ne pas proposer un coffre-fort numérique pour la distribution des bulletins de paie est une erreur. D’ailleurs, le RGPD interdit d'envoyer par email des données confidentielles et notamment des bulletins de paie. Certains n'ont pas la même vision que nous. Ça ne contente pas tout le monde mais le marché est vaste.

Le proposer, c'est une chose, mais l'imposer, en tout cas c'est ce que disaient certains, c'en est une autre.

Quand Apple fait évoluer ses iPhone, il y a sans doute certaines fonctions dont on n'a pas besoin. Pourtant, ça fait partie du produit. Voilà.

On continue à faire évoluer le produit. On pense qu'il y a des fonctions qui sont indispensables ou qui sont très importantes, même si elles ne sont pas utilisées par tous, et ça fait partie de l'évolution du produit tel que nous on le perçoit. On n'a pas envie d'être has been dans quelques années.

Quand Apple fait évoluer ses iPhones, il y a sans doute certaines fonctions dont on n'a pas besoin

On a encore plein d'innovations à apporter sans parler de l'intelligence artificielle sur laquelle on est en train de travailler. Le produit fera l'objet d'évolutions. C’est le marché qui régulera et qui nous dira si on avait raison ou pas.

Et sur le sujet de la politique tarifaire, est-ce que vous êtes en mesure dans les grandes lignes de donner votre vision sur le court voire sur le moyen terme. Est-ce que vous êtes dans une logique plutôt de stabilité des prix ou d'évolution faible des prix ou d'évolution importante ? Comment vous vous placez sur ce sujet ?

On n'a pas de politique arrêtée sur les prix, ça dépendra beaucoup de l'innovation qu'on amène. On a fait un gros travail d'animation de notre communauté d’utilisateurs. On a lancé il y a un mois la communauté Silae, un forum d'échange qui, en trois jours, a reçu plus de 6000 inscrits. Le produit Silae est très riche et la matière de la paie aussi, ce qui donne lieu à énormément d'échanges. Il y a une vraie communauté d'utilisateurs Silae. Il y a des passionnés du produit. Il y a des experts très importants.

Il y a une autre organisation d'experts-comptables qui s'est créée l'année dernière, qui s'appelle Ensemble pour agir !, qui a fait des propositions. Parmi elles, celle de créer une agence de notation des éditeurs de logiciels de la profession comptable, un peu par analogie avec les agences de notation financière. Que pensez-vous d'une telle initiative ?

Tout ce qui va dans le sens de la création de valeur pour nos partenaires qui sont les experts-comptables est bonne. Tout ce qui permet d'apporter de la transparence sur les actions des éditeurs et du marché et toute initiative qui permet d'impliquer la profession dans les choix est bonne. On est tout à fait favorable à ce type d'initiative. Ça rejoint un petit peu ce que j'évoquais sur l’animation de nos partenaires, des gestionnaires de paye. On est très très ouvert au retour du marché. On fait beaucoup de programmes de early adopters (primo adoptants) pour tester des nouveaux produits, des nouvelles fonctions, demander l’avis aux utilisateurs.

Est-ce quelque chose qui est réalisable en pratique ? Il faut notamment des personnes compétentes pour faire une telle évaluation. Il faut des personnes indépendantes aussi. On peut trouver des personnes compétentes qui ne sont pas forcément indépendantes et réciproquement. Et puis, il faut aussi, puisque les logiciels évoluent régulièrement en termes fonctionnels, en termes tarifaires potentiellement, que ça puisse être mis à jour assez fréquemment. En pratique, un tel travail est-il possible ?
Les entreprises et les experts-comptables sont libres de leurs choix

Je pense qu'il y a déjà des choses qui existent. Des comparateurs de produits. Après, on n'empêchera jamais les acteurs du marché de prendre leurs décisions au vu de ce que le marché propose. C’est un outil. Il y a souvent la volonté pour certains métiers d'essayer de régir un peu ou de contrôler. Ça, ça ne marchera pas. Il faut le voir comme un outil additionnel. Ce que j'évoquais, la transparence de l'information, la co-construction, c'est hyper positif. Mais il ne faut pas le voir comme un outil de censure. Les entreprises et les experts-comptables sont libres de leurs choix. Et ça ne changera pas.

Sur ce terrain des initiatives d'experts-comptables, il y en a une autre. C'est la société d'investissement Drakarys, initiée par des experts-comptables pour des experts-comptables, qui a investi dans l'éditeur de logiciels de paie Weekera. Que pensez-vous de cette initiative ?

La concurrence est saine. On a un positionnement de leader mais on est très humble, très à l'écoute du marché, de ce qui bouge. Il faut qu'on soit en permanence, nous aussi, à l'affût des nouveautés. Tout ce qui peut amener de la nouveauté, venir challenger, améliorer des positions, des choix techniques, fonctionnels, pour nous c'est bon.

La concurrence est saine

Après, un autre élément que je peux apporter, c'est que chacun son métier. À la fois celui de fonds d'investissement, qui est un métier à part entière, celui d'éditeur de logiciels, un métier à part entière qui est très différent de celui de fonds d'investissement. Et les deux sont très différents du métier d'expert-comptable. Je ne suis pas sûr qu'en voulant mixer les trois on arrive à quelque chose d'efficace. Ce n'est pas ce que j'aurais recommandé si on m'avait posé la question.

Il y a eu de nombreux experts-comptables bloqués en fin d'année dernière du fait de la cyberattaque qu'a subi Coaxis. Je ne sais pas si votre société a déjà été victime d'une cyberattaque mais si ça arrivait demain dans quelle mesure Silae pourrait-il garantir aux experts-comptables de poursuivre leur activité de production de la paie ?

Tout ce qui est lié à la cybersécurité est fondamental. Il faut avoir l'humilité de dire que personne n'est à l'abri. C'est une vraie menace qui concerne toutes les entreprises. Les premiers gros investissements qui ont été faits dans Silae au moment où l'entreprise a changé de propriétaire ont été justement liés à la sécurisation des plateformes. Notamment, ça a donné lieu à un changement d'hébergeur. D’un cloud privé, on est passé sur un cloud public, Microsoft Azure, justement pour être capable de renforcer de manière très importante et fondamentale toutes les couches basses de sécurité.

La cybersécurité, c'est un métier

On pense que l'affaire Coaxis nous confirme dans le choix qu'on a fait qui est de dire la cybersécurité, c'est un métier. Et il faut, comme tout métier d'expertise, le confier à des experts. C'est fondamental de faire appel aux meilleurs experts pour ce domaine-là.

Ça rejoint aussi un autre mouvement fort que j'ai évoqué, celui d'externalisation de la paie. Je me souviens, il y a quelques années, il était très compliqué pour une entreprise de penser que des données si fondamentales et si sensibles que celles de paie puissent être hébergées en dehors de l'entreprise. On a connu le passage du on-premise vers le SaaS [software as a service]. En réalité, qu'est-ce qu'on constate aujourd'hui ? Que ce sont ceux qui hébergent chez eux leurs données qui se font hacker et qui ont ces problèmes de cybersécurité. Ça milite pour le fait d'aller vers des solutions de SaaS robustes.

On parlait d'externalisation de la paie. C'est peut-être encore un autre argument à donner à des entreprises qui se demandent si avoir la paie chez elles sur des serveurs qui sont chez elles est la bonne solution versus passer par des experts de la paie et de l'externalisation de la paie reposant sur les solutions Silae, par exemple, qui ont des serveurs qui sont hébergés là où toutes les couches de sécurisation sont les meilleures.

Il y a ce volet préventif qui est essentiel. Mais avez-vous un plan B ? Dans l'hypothèse où vous êtes, ou via votre hébergeur, victime d'une cyberattaque qui vous imposerait de couper le chemin d'accès habituel, pourriez-vous proposer à vos clients, notamment aux cabinets comptables, un autre chemin, une solution de secours pour qu'ils puissent continuer à travailler ?
Nos plateformes sont totalement redondées sur différents sites

Oui, ça fait partie de nos process de plan de retour à l'activité (PRA) qu'on met en place, bien évidemment, comme tout éditeur. Nos plateformes sont totalement redondées sur différents sites. Nos données sont stockées à différents endroits. Donc on est capable de reprendre, et on le fait couramment, les bases de données de nos partenaires pour les installer ailleurs, sur d’autres plateformes. On a tous ces systèmes de sauvegarde et de PRA qui sont éprouvés régulièrement. De la même manière, on fait très couramment des tests d'intrusion sur nos systèmes par des sociétés externes pour aller vérifier la robustesse de nos systèmes.

Donc concrètement, vous seriez en mesure d'offrir une solution de secours si vous étiez victime d'une cyberattaque ?

Oui. On a tout en place pour le faire.

Propos recueillis par Ludovic Arbelet

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