Open data des décisions de justice : où en est-on ?

Open data des décisions de justice : où en est-on ?

21.11.2021

Gestion d'entreprise

Les représentants du ministère de la Justice, de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat et des avocats étaient réunis jeudi dernier au RDV des Transformations du droit pour échanger sur le chantier de l'open data. Création d'une autorité de contrôle de la data, certification des données, nouveaux outils souples... Qu'est ce qui pourra changer concrètement ?

L’open data, ce n’est pas pour tout de suite. Le calendrier de mise en oeuvre s’échelonne jusqu’à fin 2025 et l'encadrement juridique demeure incertain. Mais pourquoi ce chantier est-il si long ? Quels sont les défis restant à relever au niveau technique et éthique ? Ces sujets ont été évoqués à l’occasion du RDV des Transformations du droit, jeudi dernier en présence notamment des représentants de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et du ministère de la Justice.

Certification des outils et des données ?

« On n’a pas attendu l’open data. La diffusion des décisions de justice, c’est de l’histoire ancienne », rappelle Emmanuel Wachennheim, magistrate et cheffe du service de l’expertise et de la modernisation au sein du ministère de la justice. « Le cadre juridique fixé est protecteur de la vie privée des personnes physiques », estime-t-elle, notamment par le biais du principe d’occultation systématique des noms et des prénoms des personnes puis du dispositif d’occultation complémentaire qui est laissé à l’initiative du juge. Mais « des interrogations importantes et des risques » subsistent et expliquent pourquoi le processus prend du temps.

Des difficultés tiennent à « la fiabilité des données qui peuvent avoir été altérées ou être modifiées après coup par le biais des dispositifs d’occultation complémentaire » ou encore au « risque de forum shopping et au risque de profilage des avocats, des experts, des entreprises ou des des auxiliaires de justice ».

Pour réfléchir à ces sujets, la Cour de cassation a monté un groupe de travail. « Nous espérons bientôt pouvoir diffuser nos analyses. A ce stade, nous ne nous interdisons rien. Au contraire, nous nous permettons de réfléchir à toutes les possibilités. Outils complémentaires, plus souples… Une charte ? Une certification des outils ou des données ? ». Emmanuel Wachennheim suggère même la création d’une autorité de contrôle pour chapeauter le dispositif, soit pour le monde judiciaire, soit plus généralement celui de la data.

3,9 millions de décisions par an en 2025

« Aujourd’hui, sur Légifrance, il y a un flux de 15 000 décisions publiées par an. A la deuxième étape de l’open data, en avril 2022, on aura un flux de 230 000 décisions. En 2025, il est estimé à 3 ,9 millions de décisions par an », ajoute Estelle Jond-Nécand, conseillère référendaire à la Cour de cassation et directrice du projet Open data.

Aujourd’hui, « les décisions sont relues par des agents humains. Tout le monde peut comprendre qu’on ne peut pas continuer comme ça avec ces flux nouveaux. On doit construire une interface de qualité pour assurer les enjeux de protection de vie privée et de volume ». Une autre préoccupation concerne la « hiérarchisation des décisions » et « l’impact de l’open data sur la notion de jurisprudence ». « Toutes les décisions de justice ne se valent pas. Comment une décision fait jurisprudence ? Seules les décisions de la Cour de cassation ? ».

Ces craintes sont partagées au niveau du Conseil d’Etat. « Obscurcissement de la jurisprudence, engloutissement des décisions les plus importantes dans cette masse considérable déversée sur internet »… Pierre-Yves Martinie, responsable du service de la diffusion de la jurisprudence au Conseil d’Etat formule également des interrogations concernant « l’étendue des fonctionnalités qui seront rendues disponibles sur le site ».

Plus-value des avocats

Des incertitudes mais aussi de l’espoir. L’open data permettra de « rendre l’activité judiciaire accessible à tous et d’amener le juge vers l’essentiel : la spécificité de son dossier », assure Dominique Perben, ancien garde des Sceaux et associé chez Betto Perben Pradel Filhol. Une « meilleure prévisibilité de la décision à venir pourra aussi peut-être freiner certains contentieux ».

Pour Julie Couturier, Bâtonnier désigné du Barreau de Paris, associée chez JCD Avocats, l’open data sera une nouvelle opportunité pour démontrer la plus-value de l’avocat. Lui seul « pourra tenir compte d’une hiérarchie judiciaire » et « mettre en jeu les mécanismes en place pour protéger les données de son client ».

Un avis partagé par Sabine du Granrut, associée chez Fairway Avocats. « Cette mine de décisions pourra aider l’avocat à forger une stratégie et la proposer à son client ». L’enjeu réside désormais dans la formation des avocats, « pour savoir utiliser ces outils et apporter à leurs clients une véritable valeur ajoutée. C’est une mutation de tout l’écosystème », conclut Julia Couturier.

Leslie Brassac

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