Où en est la recherche sur la toxicité des perturbateurs endocriniens ?
19.07.2019
Environnement

De récentes études démontrent que la toxicité de ces substances peut être source d'infertilité, de fausses couches, d'affaiblissement immunitaire, de neurotoxicité, ou encore de cancers. La recherche doit être approfondie dans de nombreux domaines pour mieux connaître le fonctionnement des perturbateurs endocriniens et les effets-cocktails, et être davantage étendue aux substances alternatives et émergentes.
Au regard des incertitudes sur la toxicité de certaines substances dont les perturbateurs endocriniens, la recherche est fondamentale afin de comprendre et d’attester du rôle des expositions environnementales que sont les expositions chimiques dans l’apparition et l’augmentation de certaines maladies.
Environnement
La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)
Lors des Rencontres scientifiques dédiées aux perturbateurs endocriniens organisées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et l’Agence nationale de la recherche (ANR) le 8 juillet dernier, ont été présentés les résultats de projets de recherche sur les risques sanitaires et environnementaux que présentent ces substances chimiques. Ces projets ont été financés par l’ANSES via le Programme national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST) qui est inscrit dans la première stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE 1) et les programmes de recherches l’ANR. Focus sur les avancées scientifiques en la matière.
Trois critères de cause à effet :
- la substance doit avoir un effet adverse ;
- il doit y avoir un mode d’action de perturbation endocrinienne ;
- l’effet adverse doit être une conséquence de ce mode d’action.
La perturbation endocrinienne va dépendre de l’activité intrinsèque de la molécule chimique : a-t-elle une activité oestrogénique, anti-androgénique, anti-thyroidienne ou autre ? Cela va aussi dépendre de la durée et de la fréquence de l’exposition, de la dose de la molécule : l’une des particularités des perturbateurs endocriniens est qu’ils peuvent agir à de faibles doses à savoir en dessous de la dose NOEL (no observed effect level), c’est-à-dire de la dose pour laquelle on n’observe pas d’effet toxicologique. On observe aussi des effets « sexe dépendant » : les effets seront différents entre mâles et femelles car un certain nombre de fonctions dans l’organisme sont sexuellement dimorphiques. Les périodes d’imprégnation aux hormones sexuelles entre mâles et femelles n’est pas du tout la même et cela génère un certain nombre de dimorphisme qui va se répercuter également dans les effets de l’exposition aux perturbateurs endocriniens.
Les modifications épigénétiques peuvent relever de la perturbation endocrinienne. Ce sont des changements qui vont s’opérer au niveau de l’expression d’un gène et donc du phénotype mais sans changer la séquence ADN de ce gène (ce ne sont donc pas des effets mutagènes). Car si ce sont les gènes qui vont coder le phénotype, ce dernier peut être influencé par l’environnement. L’épigénétique est un domaine de recherche récent, qui est pertinent pour connaitre les effets des perturbateurs endocriniens car il permet de voir comment les facteurs environnementaux (comme le stress, l’alimentation ou encore l’exposition chimique) peuvent influencer l’expression des gènes et donc le phénotype et donc de faire le lien entre les deux.
On dénombre environ 50 hormones/peptides dans l’organisme qui ont des fonctions diverses et des rôles très importants dans des grandes fonctions comme la reproduction, la croissance, le métabolisme alimentaire ou encore les fonctions cognitives. Ces hormones sont sécrétées dans des tissus et cellules endocrines et seront relarguées dans la circulation sanguine pour arriver jusqu’aux tissus cibles et agiront de différentes manières : soit en se liant à des récepteurs membranaires (cela engendre une cascade d’activation qui va entrainer la réponse biologique finale), soit en traversant la membrane plasmique comme les œstrogènes ou la testostérone (hormones sexuelles) pour se fixer sur des récepteurs cytoplasmiques qui une fois activés seront transloqués dans le noyau et vont activer la transcription dans les gènes cibles.
On distingue trois principaux mécanismes des modifications épigénétiques :
- la méthylation de l’ADN : cela empêche la transcription de l’information et diminue l’expression du gène touché ;
- la modification de l’histone, qui sont des protéines autour desquelles l’ADN est enroulé, et qui va jouer sur l’état actif ou inactif de l’ADN ;
- les micro-ARN, qui vont empêcher la traduction de l’ARN messager, ce qui se répercute sur l’expression du gène.
Ces modifications épigénétiques peuvent ensuite être transmises aux générations futures par les cellules germinales.
La vulnérabilité d’un organisme dépend aussi des périodes de l’exposition et celles développementales (fœtale, néonatale, postnatale et pubertaire) vont être très importantes et à risque car un certain nombre de systèmes biologiques se mettent en place.
Quand un individu est exposé à des perturbateurs endocriniens dans des périodes développementales, cela peut entrainer des changements à long terme, comme modifier le phénotype de l’individu et avoir des effets transgénérationnels. Focus sur les résultats et apports de certaines études.
Toxicité des bisphénols sur le foetus
Le transfert des bisphénols de la mère au fœtus durant la grossesse et ensuite à l’enfant allaité via le lait maternel a déjà été confirmé par de nombreuses études. L’exposition du fœtus au bisphénol A (BPA) pendant la période gestationnelle peut entrainer :
- des modifications comportementales avec des changements dans l’expression du récepteur des oestrogènes alfa. Les régions touchées par une augmentation de la méthylation ne sont pas les mêmes chez les mâles et les femelles ce qui explique le dimorphisme sexuel (test réalisé sur des fœtus de souris pendant la période gestationnelle) ;
- un affaiblissement des réponses immunitaires par les bisphénols (BPA/BPS/BPF) après exposition périnatale orale ou cutanée : les bisphénols entrainent le dérèglement de l’homéostasie immunitaire intestinale et systémique. Il a été démontré que l’on pouvait avoir une intolérance alimentaire suite à une exposition périnatale au BPA et que l’exposition périnatale pouvait induire une prédisposition aux infections parasitaires intestinales. L’exposition lors de la période périnatale peut donc avoir un impact sur la descendance adulte, et engendrer une immuno-toxicité de la barrière intestinale ;
- une infertilité à l’âge adulte : l’exposition fœtale au Bisphenol A diglycidyl ether (BADGE) entraine des altérations germinales à l’âge adulte (comme la diminution du nombre de gamètes et des ovocytes aneuploïdes ne comprenant pas le nombre normal de chromosomes) car cela entraine un retard de l’entrée en méiose ou en quiescence et maintient les cellules germinales dans un état pluripotent et prolifératif. La période fœtale est donc une période critique pour la fertilité future car le nombre de cellules germinales qui se mettent en place durant la vie fœtale va conditionner la fertilité à l’âge adulte.
Les phtalates sont des perturbateurs endocriniens dans le placenta : quid des fausses couches
L’exposition aux phtalates est associé à certaines fausses couches mais également à des naissances prématurées ou à des faibles poids des nourrissons à la naissance sans que le lien de causalité n’ai réellement pu être prouvé. Une étude vient de suggérer pour la première fois que le Mono(2-éthylhexyl)phtalate (MEHP) pouvait perturber l’action du récepteur nucléaire PPARγ (Peroxisome Proliferator-Activated Receptor gamma) qui est essentiel pour le développement placentaire et notamment dans la différenciation trophoblastique.
En effet, son activation induit la différence des cytotrophoblastes bordant le placenta en syncytiotrophoblaste (tissu du placenta). Ce dernier, en contact direct avec le sang maternel, est essentiel pour le maintien de la grossesse car il a pour fonction principale les échanges fœtaux maternels et une production endocrinienne.
Selon cette étude, le MEHP perturberait cette différenciation des trophoblastes en syncytiotrophoblaste et inhiberait également la production de l’hormone hCG (hormone chorionique gonadotrope humaine), qui est essentielle pour la grossesse lors de la nidation de l’œuf dans la muqueuse utérine. Ce qui entrainerait la fausse couche.
Des études réalisées dans le cadre du programme CLARENCE ont permis de démontrer que l’exposition chronique et à faible dose aux deux facteurs environnementaux que sont le BPA et le Benzo[a]Pyrene stimulait l’agressivité des cellules pré-cancéreuses et avait donc un impact sur la progression tumorale du cancer du sein.
Les dioxines sont produites par les activités industrielles, des incinérations non controlées et des feux de forêt. Ce sont des polluants organiques persistants, qui s’accumulent dans la chaine alimentaire et ont une demi-vie dans l’organisme (7 à 11 ans). La famille des dioxines comporte plus de 400 composés dont une trentaine sont toxiques, dont la plus toxique qui est la dioxine seveso. Selon une étude, lorsque cette dioxine se fixe au récepteur AhR (aryl hydrocarbon receptor), essentiel dans le développement du système nerveux, et le détourne, cela entrainant une neurotoxicité.
Les dioxines passent la barrière hémato-encéphalique (membrane qui sépare la circulation sanguine et le liquide céphalo-rachidien, le fluide dans lequel baigne le cerveau et la moelle épinière) ainsi que la barrière placentaire ce qui pose des problèmes pour le développement du cerveau (retards cognitifs).
Une étude réalisée sur des embryons de xénope puis sur les têtards a montré que l’exposition embryonnaire à deux pesticides (amitrole et chlopyrifos) perturbait l’expression des gènes dépendants des hormones thyroidiennes et perturbait l’homéostasie thyroidienne en empêchant le pic thyroidien. De plus, les animaux exposés pendant la neurogénèse (processus de formation d'un neurone fonctionnel du système nerveux à partir d'une cellule souche neurale) avaient des problèmes de morphologie du cerveau par la suite. Ces effets sont transposables à d’autres vertébrés dont l’homme.
De plus, selon le centre Artémis (Aquitaine Reproduction Enfance Maternité et Impact en Santé environnement) mis en place au CHU de Bordeaux, qui est une plateforme de prévention dans le domaine de la reproduction, de nombreux pesticides font partie des substances prioritaires considérées comme perturbateurs endocriniens. Il en ressort que l’exposition aux pesticides, que ce soit pour les hommes ou les femmes, et dans le milieu professionnel ou extra-professionnel, est importante et que cela peut être un facteur de risques pour la reproduction.
Il y a beaucoup de travaux de recherche sur les substances phares comme les bisphénols ou les PCB, et peu sur les substances émergentes et substances alternatives ou alors sur des substances qui ont été interdites il y a longtemps et qui sont encore présentes dans l’environnement.
Souvent utilisé comme substitut au BPA, le bisphénol S (BPS) à une structure pourtant analogue : il présente des propriétés oestrogéniques et anti androgéniques. Pour rappel, le Comité d'évaluation des risques (CER) de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), dans son avis sur le BPA, avait indiqué que le BPS était « soupçonné d'avoir plusieurs des mêmes effets nocifs sur la santé que le BPA ». Une étude a récemment démontré que le potentiel d’exposition fœtale du BPS était similaire à celui du BPA, même si les mécanismes toxicocinétiques sont différents. Sur ce point, il n’est donc par exemple par une bonne alternative au BPA.
Une étude sur les concentrations de plusieurs bisphénols dans des prélèvement de sérum maternel, de sérum du cordon et du lait maternel a permis d’avoir les premières données françaises sur les substituts in vivo du BPA. L’exposition du fœtus ou de l’enfant allaité à ces perturbateurs endocriniens par la mère entrainant des perturbations du métabolome (ensemble des petites molécules, les métabolites, tels que les intermédiaires métaboliques, les hormones et autres molécules) et du lipidome (lipides dans les cellules) a été confirmée. Le BPA, BPF et BPS était les principaux contributeurs de l’exposition. Un résultat marquant : le BPF avait une teneur dix fois plus élevée que celle du BPA. Le transfert dans le lait était pourtant moins important que pour le BPA et le BPS. Pas de trace du BADGE en tant que tel mais 10% des échantillons contenaient une présence de dérivés de bi-hydroxylés et moins de 5% de dérivés mono hydroxylés : cela pose la question de la stabilité chimique de cette molécule. Les études sur la toxicité du BADGE et des autres substituts aux produits classés comme perturbateurs endocriniens devront être approfondies !
De plus la majorité des études concernent le système reproducteur ou nerveux, et des systèmes endocriniens sont très peu documentés comme le tissu osseux, les surénales, le système gastro intestinal…
On connait également peu les effets des mélanges : nous ne sommes pas exposés à une seule mais à plusieurs molécules, et quand il s’agit de mélange cela concerne des molécules de la même famille. Or, la compréhension des effets des perturbateurs endocriniens doit également prendre en compte l’exposition de l’individu à un mélange de substances chimiques afin de comprendre leurs interactions.
Enfin, ce qui ne ressort pas encore c’est l’analyse de l’exposition environnementale dans son ensemble, car si les perturbateurs endocriniens sont un facteur d’exposition (exposition chimique), il y a aussi le stress, le régime alimentaire, etc… qui doivent être pris en compte !
Pour rappel, en 2014 la France était le premier pays à se doter d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE 1), qui concernait la période 2014-2016, afin de réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens. L’ANSES est dans ce contexte chargée d’évaluer un certain nombre de substances par an. Une deuxième stratégie est annoncée pour la période 2019-2022, qui comportera notamment un nouveau volet concernant l’expertise des perturbateurs endocriniens potentiels (le projet a été mis en consultation en janvier et février 2019).
Les axes d’actions attribués à l’ANSES dans le cadre de la SNPE 2 sont notamment de :
- catégoriser les perturbateurs endocriniens (avérés, présumés, suspectés) et de définir une méthodologie pour cette catégorisation ;
- prioriser les perturbateurs endocriniens : l’objectif est d’établir une liste de substances d’intérêt en raison de l’activité endocrine en recensant les substances figurant dans les listes publiées aux niveaux européen et international, complété par un score de priorisation, et ensuite de définir une méthodologie pour cette priorisation (danger intrinsèque, utilisation, exposition population vulnérable.
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