Où va le droit du travail ?

Où va le droit du travail ?

01.04.2016

Gestion du personnel

Michèle Rescourio-Gilabert, directrice du développement d’Entreprise & Personnel Relations Sociales*, analyse les enjeux de la loi Travail. Et pointe, avec la mise en place du compte personnel d'activité, le transfert des droits collectifs vers des droits individuels.

Ecrire une chronique sur "où va le droit du travail ?"  n’est pas sans risque tellement les tensions sont fortes sur le sujet depuis quelques semaines. Tensions politiques au sein de la gauche, entre la droite et la gauche, tensions au sein du monde syndical avec un fossé croissant entre les acteurs notamment depuis le projet de loi Travail, tensions dans l’opinion avec plus d’un million de signatures récoltées, tensions dans le débat intellectuel où la radicalité s’est peu à peu installée. Partisans des réformes contre conservatismes, les camps se sont structurés avec un durcissement croissant des discours et des actes. Le droit du travail est un thème clivant  "pour ou contre", "régression sociale ou nouveaux droits"…

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le propos dans cette chronique n’est pas de rentrer dans ces débats mais de donner quelques clés de lecture, de compréhension sur là "où va le droit du travail ?" pour que chacun puisse se faire sa propre opinion.

 

Avec une première question : pourquoi le droit du travail est-il si contesté ? Deux raisons principales expliquent cette remise en cause :

- Le droit du travail régit aujourd’hui la plus grande partie de la population active alors que les premières lois du travail concernaient une classe ouvrière homogène. Aujourd’hui le monde du travail est complexe et hétérogène. Le code du travail dont l’objectif principal est de regrouper tous les textes s’est alourdi au fil du temps, de la volonté de répondre à des attentes toujours plus nombreuses à prendre en compte, de situations de plus en plus diverses… Mais nous pouvons dire de même du code général des impôts ou du code du commerce qui comptent pas loin de 3800 pages. Si seules les lois applicables aux entreprises de moins de 11 personnes étaient codifiées, le Dalloz serait bien plus mince !

Le droit du travail est dénoncé comme le seul obstacle à la réalisation du droit au travail. 

- Le droit du travail est devenu face à la crise un instrument de politique économique notamment pour fluidifier le marché du travail et faciliter la création d’emploi.  Le professeur Supiot donne, dans l’introduction au dernier ouvrage collectif qu’il a dirigé "au delà de l’emploi" l’exemple de la loi Macron qui a rajouté pas moins d’une quinzaine d’articles sur le travail dominical et de la loi Rebsamen qui elle a rajouté 43 pages tout cela pour "simplifier les obligations d’informations et de consultations et de négociation dans les entreprises".

Ainsi l’économique surplombe tout le droit du travail comme sous l’influence de la Commission Européenne et la BCE. La France n’est pas le seul pays à se voir acculer à ces réformes dites structurelles. L’Espagne, le Portugal, la Grèce sont passés par ces réformes pour rendre les marchés du travail plus flexibles. Dans ce contexte, le droit du travail n’est plus vu que comme un ensemble de rigidités nuisibles à l’emploi. Les droits collectifs empêcheraient la compétitivité des entreprises et la création d’emplois. Le droit du travail est dénoncé comme le seul obstacle à la réalisation du droit au travail.

Moins de droits ou d’autres droits…

L’évolution des nouvelles formes de travail salarié, indépendant, le passage d’un état de formation à celui de demandeur d’emploi plaide pour des droits attachés non plus à un statut collectif mais à la personne elle-même. La personne aura désormais son petit sac à dos (portabilité des droits) avec son compte personnel de formation (CPF), son compte pénibilité (C3P), son compte engagement citoyen (CEI), tout cela regroupé dans son compte personnel d’activité (CPA) et elle le transportera où elle sera. Pourquoi ne pas envisager les droits acquis pour le chômage, la protection sociale et autres droits ? Mais comment sont qualifiés ces nouveaux droits ? Sont-ils de nouveaux droits de nature patrimoniale (c’est mon patrimoine, mon capital ) ou au contraire ces nouveaux droits sont-ils des droits collectifs s’exerçant individuellement, c’est-à-dire des droits personnels adossés à des mécanismes de solidarité ? L’esprit sous-jacent à l’acquisition de ces droits liés à la personne ne relève-t-il pas d’un vrai choix de société ?

Pourquoi ne pas envisager les droits acquis pour le chômage, la protection sociale et autres droits ?  

Le débat est-il posé autour de la compatibilité de ces droits avec le modèle social à la française ?

Ce débat aurait pu être posé lors de la mise en place du CPA programmé par la loi Rebsamen. "Chaque personne dispose d’un CPA qui rassemble dès son entrée sur le marché du travail et tout au long de sa vie professionnelle, indépendamment de son statut, les droits sociaux personnels utiles pour sécuriser son parcours professionnel".Cela n’a pas été vraiment le cas.

La référence à la sécurisation des parcours reprend plutôt le vocabulaire de la CFDT, la CGT mettant, quant à elle, en avant le projet d’une "sécurité sociale professionnelle ».

La sécurisation des parcours pourrait restreindre le CPA aux "accidents de parcours" et sa mise en œuvre risque de se limiter à l’accompagnement social de la précarisation de l’emploi.

La sécurité sociale professionnelle, quant à elle, s’enfermerait dans une logique de risque à assurer impérativement.

Vive l’individualisation des droits ?
Le temps passé "à être son premier RH soi-même" ne serait-il pas mieux employé par l’entreprise 

Le droit du travail s’oriente vers ce transfert des droits collectifs vers cette individualisation des droits. Mais les personnes sauront-elles utiliser ces nouveaux droits ? Quels temps passeront-elles à les "incarner" dans une situation professionnelle bien réelle ? Le temps passé "à être son premier RH soi-même" ne serait-il pas mieux employé par l’entreprise ? Et enfin, comme le soulignent Patricia Blancart et Jean-Paul Boucher, dans un article publié dans la revue de la CFDT-Cadres de 2015, "nous négocions des droits mais somme-nous capables de les rendre tangibles? Le syndicalisme… n’échappe pas au descendant, à une certaine forme d’un “pour eux pensé par nous“...

Perdre des droits collectifs et en contrepartie avoir des droits personnels potentiels ... Est ce cela qu’attendaient les salariés ?

 

 

*Michèle Rescourio-Gilabert est directrice du développement d’Entreprise & Personnel Relations Sociales. Elle co-écrit chaque année la note de conjoncture sociale d’E&P, note attendue et reconnue pour son analyse sur le climat social. Elle a été par ailleurs, avocate et DRH dans de grands groupes pendant une vingtaine d’années.

Michèle Rescourio-Gilabert
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