Oui, la France démolit la séparation de l’audit et du conseil pour la plupart des entités

Oui, la France démolit la séparation de l’audit et du conseil pour la plupart des entités

11.04.2019

Gestion d'entreprise

La future loi Pacte, qui doit être adoptée aujourd'hui définitivement, devrait faire tomber la barrière qui sépare le contrôle légal des comptes du conseil pour les entités qui ne sont pas d’intérêt public. Cette libéralisation s'applique aussi aux membres du réseau du commissaire aux comptes. Nous récapitulons ici ce que prévoit le droit de l’Union européenne, le droit français et ce qui devrait changer à très court terme en France.

L'affaire provoque une levée de boucliers. "Un article scélérat dans le projet Pacte remet totalement en cause la séparation de l’audit et du conseil, accuse ECF. Le gouvernement s’apprête, avec l’article 9 Bis A, à permettre aux commissaires aux comptes de [notamment] ne plus avoir de services interdits dans toutes les entités qui ne sont pas d’intérêt public, avec comme seul garde-fou au respect d’indépendance de simples mesures de sauvegarde… La liste de ces services dorénavant autorisés est éloquente : le conseil en matière juridique, les prestations d’externalisation, certains services fiscaux, la comptabilité ou encore le service paie", développe la fédération syndicale présidée par Jean-Luc Flabeau.

Malaise de l’Ifec

A l’Ifec, on essaie de relativiser l'affaire comme s'il n'y avait pas de sujet. "Cet article ne vise qu’à aligner la réglementation française sur la réglementation européenne et à supprimer les sur-transpositions", se défend Denis Barbarossa, président du syndicat aujourd’hui à la tête à la fois de la CNCC (Compagnie nationale des commissaires aux comptes) et du CSOEC (Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables). Mais c’est précisément cet alignement qui va conduire à démolir la séparation de l’audit et du conseil pour une grande majorité d’entités qui font l'objet d'un contrôle légal des comptes. Et l'argument du monopole censé protéger l'expert-comptable de la concurrence du commissaire aux comptes, que brandit Denis Barbarossa, semble très théorique. Le président de l'Ifec cultive d'ailleurs l'ambivalence sur ce sujet. D'un côté, il défend les prérogatives de l'expert-comptable, qui relèvent d'une surtransposition du droit français sur le droit européen, et de l'autre côté il dit comprendre le mouvement de suppression des surtranspositions de la réglementation française en matière d'audit.

La directive sur le contrôle légal des comptes prévoit "seulement" des principes

Pour y voir — plus — clair sur ce sujet, ll faut tout d’abord partir de la PDF icondirective européenne sur le contrôle légal des comptes. C'est elle qui fixe les principes qui s'appliquent à tous les commissaires aux comptes, qu'ils contrôlent des entités d'intérêt public ou non — parallèlement, un règlement européen ajoute des exigences qui ne concernent que le contrôle légal des comptes des entités d'intérêt public (EIP), c'est à dire grosso modo des banques, des assurances, des entités cotées sur un marché réglementé et de certaines très grandes entreprises. Cela revient à dire que le cadre européen qui s'applique au contrôle légal des comptes des entités qui ne sont pas d'intérêt public, c'est à dire aux petites, aux moyennes et aux grandes entités (donc sauf celles qui sont considérées comme des EIP), ne se trouve que dans cette directive.

Alors, que dit cette directive sur le "sujet" de la séparation de l'audit et du conseil ? Elle fixe tout d'abord le principe de l'indépendance du commissaire aux comptes à l'égard de l'entité contrôlée. L'article 22 exige que "les États membres veillent à ce que, lors de la réalisation d'un contrôle légal des comptes, le contrôleur légal des comptes ou le cabinet d'audit, ainsi que toute personne physique qui serait en mesure d'influer directement ou indirectement sur le résultat du contrôle légal des comptes, soit indépendant de l'entité contrôlée et ne soit pas associé au processus décisionnel de l'entité contrôlée". Cette exigence est susceptible d'englober le réseau auquel appartient le commissaire aux comptes. Autre remarque : comme on le voit, la fin de cet article renvoie à un autre principe, celui selon lequel l'auditeur ne doit pas être associé au processus décisionnel de l'entité contrôlée. D'une certaine façon, ce principe trouve son écho, en France, dans celui de non immixtion dans la gestion de l'entité auditée (article L 823-10 du code de commerce). Troisième principe essentiel à respecter, lui aussi exposé à l'article 22, l'absence de situation d'auto-révision (voir le texte ci-dessous).

 

Extraits de l'article 22 de la directive sur le contrôle légal des comptes

"Les États membres veillent à ce que, lors de la réalisation d'un contrôle légal des comptes, le contrôleur légal des comptes ou le cabinet d'audit, ainsi que toute personne physique qui serait en mesure d'influer directement ou indirectement sur le résultat du contrôle légal des comptes, soit indépendant de l'entité contrôlée et ne soit pas associé au processus décisionnel de l'entité contrôlée.

[...]

Le contrôleur légal des comptes ou le cabinet d'audit n'effectue pas un contrôle légal des comptes s'il existe un risque d'autorévision, d'intérêt personnel, de représentation, de familiarité ou d'intimidation lié à une relation financière, personnelle, d'affaires, d'emploi ou autre entre :
— le contrôleur légal des comptes, le cabinet d'audit, son réseau et toute personne physique en mesure d'influer sur le résultat du contrôle légal des comptes, et

— l'entité contrôlée,
qui amènerait un tiers objectif, raisonnable et informé à conclure, en tenant compte des mesures de sauvegarde appliquées, que l'indépendance du contrôleur légal des comptes ou du cabinet d'audit est compromise."

 

Ces exigences européennes de principe sont aujourd'hui implémentées, en France, dans un cadre selon lequel tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. Ce qui revient à dire qu'il est fixé une liste de services systématiquement interdits qui, d'une certaine façon, précise la séparation de l'audit et du conseil (voir les articles L 822-11 du code de commerce et l'article 10 du code de déontologie des commissaires aux comptes) posée par la directive européenne sur le contrôle légal des comptes. Cette liste d'activités aujourd'hui prohibées en France comprend notamment le conseil juridique, l'externalisation, certains services fiscaux, la comptabilité, etc. Et elle s'applique tant au commissaire aux comptes qu'aux membres du réseau auquel il appartient (voir le tableau récapitualtif ci-dessous). Cette liste française est presque la même quelle que soit l'entité auditée, d'intérêt public ou non — pour le contrôle légal des EIP, il existe une nuance pour les membres du réseau du commissaire aux comptes qui exercent ailleurs dans l'Union européenne.

Plus aucun service ne sera systématiquement interdit pour le contrôle des entités qui ne sont pas d'intérêt public

A moins d'une énorme surprise, la future loi Pacte, qui doit être adoptée définitivement aujourd'hui par le Parlement et qui pourrait faire l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel, va supprimer tous les services que le commissaire aux comptes d'une entité qui n'est pas d'intérêt public n'a pas le droit de fournir aujourd'hui. Cela signifie que ne subsisteront que les trois principes fondamentaux à respecter que sont l'indépendance, l'absence d'auto-révision et l'absence d'immixtion dans la gestion de l'entité auditée. Il reviendra au commissaire aux comptes d'apprécier lui-même les services non audit qu'il a le droit d'accepter sur la base essentiellement du futur article L 822-11 du code de commerce selon lequel "il est interdit au commissaire aux comptes d’accepter ou de poursuivre une mission de certification auprès d’une personne ou d’une entité qui n’est pas une entité d’intérêt public lorsqu’il existe un risque d’autorévision ou que son indépendance est compromise et que des mesures de sauvegarde appropriées ne peuvent être mises en oeuvre". Autre remarque : ce futur dispositif ne fixe plus aucune limite pour les membres du réseau auquel appartient le commissaire aux comptes. Il semble donc bien que ces membres soient sur le point de pouvoir fournir n'importe quel service.

Articulation avec des prérogatives d'exercice

Cette libéralisation des services non audit doit toutefois être appréciée au regard des éventuelles prérogatives d'exercice. Ainsi, la fourniture de conseil juridique et la rédaction d'actes sous seing privé par un commissaire aux comptes ne pourra se faire qu'à titre accessoire, comme c'est d'ailleurs déjà le cas pour les experts-comtpables (à ce sujet, voir l'article 59 de la loi n° 71-1130). A noter que toutes les prestations juridiques ne font pas l'objet d'une prérogative. Ainsi, le secrétariat juridique et la documentation juridique peuvent être fournis par tout un chacun. Bref, on le voit, il n'y a pas que l'avocat qui a le droit de faire du droit, contrairement à ce que prétendent certains. D'autant plus que certaines missions juridiques réglementées sont réservées à d'autres professions juridiques que l'avocat.

La séparation du contrôle légal des comptes et du conseil pour les entités qui ne sont pas d'intérêt public
Ce que dit le droit français aujourd'hui

Principaux principes que doit respecter le commissaire aux comptes à l'égard de l'entité auditée :

- indépendance

- absence d'auto-révision

- non immixtion dans la gestion

Services systématiquement interdits au commissaire aux comptes ainsi qu'aux membres de son réseau :

► La comptabilité et la préparation de registres comptables et d'états financiers ;

► Services juridiques ayant trait à : i) la fourniture de conseils généraux ; ii) la négociation au nom de l'entité contrôlée ; et iii) l'exercice d'un rôle de défenseur dans le cadre de la résolution d'un litige

► Certains services fiscaux (sauf cas particulier) tels que : conseil, établissement de déclarations fiscales, assistance lors de contrôles fiscaux, calcul d'impôt direct et indirect, etc

► Les services qui supposent d'être associé à la gestion ou à la prise de décision de l'entité contrôlée ;

► Les services de paie ;

► La promotion, le commerce ou la souscription de parts de l'entité contrôlée ;

► Les services ayant pour objet l'élaboration d'une information ou d'une communication financière ;

► La prestation de conseil en matière juridique ainsi que les services qui ont pour objet la rédaction des actes ou la tenue du secrétariat juridique ;

► Les missions de commissariat aux apports et à la fusion ;

► La prise en charge, même partielle, d'une prestation d'externalisation ;

► Le maniement ou le séquestre de fonds.

Etc.

Ce que prévoit le projet de loi Pacte (source : deuxième lecture par l'Assemblée nationale)

Principaux principes que doit respecter le commissaire aux comptes à l'égard de l'entité auditée  :

- indépendance

- absence d'auto-révision

- non immixtion dans la gestion de l'entité auditée

Plus aucun service ne sera systématiquement interdit — il faudra toutefois analyser l'articulation avec les éventuelles prérogatives d'exercice. Il reviendra au commissaire aux comptes d'analyser la situation eu égard aux risques de perte d'indépendance et/ou d'auto-révision étant précisé que cette dernière limite n'existera pas pour les membres du réseau du commissaire aux comptes lesquels seront donc, semble-t-il, libres de fournir n'importe quel service.

 

Articulation avec les prérogatives exclusives de l'expert-comptable

Une question pratique se pose concernant les services comptables : le commissaire aux comptes peut-il aller sur ce terrain-là qui relève, en principe, du monopole de l'expert-comptable ? La réponse à cette question est complexe tant les prérogatives de l'expert-comptable sont ébranlées. Ainsi, on peut se demander, si la question se pose encore, si la tenue comptable fait partie du monopole de l'expert-comptable, tant pour des raisons qui tiennent à la jurisprudence qu'à celles, de plus en plus imposantes, qui tiennent à la perspective de l'automatisation de cette tâche.

En pratique, on peut aussi se demander comment les choses s'organisent. Interrogés, plusieurs professionnels du chiffre nous disent que le commissaire aux comptes marche déjà sur les plates-bandes de l'expert-comptable. Par exemple pour établir une liasse fiscale sur la base des écritures que l'entité auditée a elle-même passées, pour passer des écritures de consolidation pour un groupe qui ne disposerait pas de ces compétences comptables en interne ou encore pour la comptabilité d'une association. Mais ce mouvement serait marginal. "Il n'existe plus de commissariat aux comptes élargi comme c'était le cas avant les années 2000", estime un professionel. Mais demain, quand sera-t-il ? Les largesses de la future loi Pacte en ce qui concerne le contrôle légal des entités qui ne sont pas d'intérêt public combinées aux évolutions technologiques ne vont-elles pas faire voler en éclat ce qu'il reste des prérogatives exclusives de l'expert-comptable. Une évolution qui ferait surtout les affaires des grands et moyens cabinets. Car ils vont pouvoir proposer potentiellement toutes les grandes lignes de services que sont l'audit, l'expertise comptable et le conseil, en utilisant si nécessaire des structures satellites pour respecter les prérogatives d'exercice et — théoriquement — les principes d'auto-révision. "On aura vraisemblablement des scandales", prévenait récemment Michel Tudel, président de la Compagnie nationale des experts-comptables de justice.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Ludovic Arbelet
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