Pacte productif 2025 : renforcement de la compétitivité administrative des industries ou régression du droit de l'environnement ?

07.10.2019

Environnement

La mission gouvernementale emmenée par Guillaume Kasbarian recommande de privilégier la consultation du public plutôt que l'enquête publique, de ne pas appliquer les changements de législation en cours de procédure ou encore de rendre facultatif l'avis du CODERST dans certaines circonstances. D'autres mesures, plus consensuelles, prévoient le développement de sites « clés en main », la création d'un portail numérique unique ou encore le pilotage et la coordination des projets par le préfet.

Annoncé par le président de la République le 25 avril 2019, le Pacte productif  2025 se fixe pour objectif d’atteindre le plein emploi d’ici 2025 par l’augmentation de la production en France et l’adaptation de l’outil productif aux mutations économiques, en particulier par la transition écologique.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

Découvrir tous les contenus liés

 

Parmi les 5 axes stratégiques du Pacte figure un volet Industrie, dans lequel trône en bonne place la problématique de la "compétitivité administrative". C’est dans ce cadre qu’une mission a été confiée au député Guillaume Kasbarian. Son objectif : identifier les pistes d’accélération et de simplification des procédures pour les usines qui s’implantent sur le territoire,  dans le respect des exigences sociétales et environnementales.

 

Le rapport de mission, intitulé "5 chantiers pour simplifier et accélérer les installations industrielles", a été rendu public le 23 septembre 2019.

Concilier simplification et protection de l’environnement : mission impossible ?

Dans une tribune publiée le 25 juin 2009 dans le quotidien "Le Monde", un collectif de juristes, dont Corine Lepage, dénonçait la régression continue du droit de l’environnement. Le rapport Kasbarian estime au contraire que concilier simplification et protection de l’environnement est tout à fait possible et s’avère même nécessaire.

 

En effet, la mission estime que "la question n’est pas tant celle de la protection de l’environnement, à laquelle sont sensibles une majorité d’industriels, mais celle de la sécurisation juridique de l’investisseur (en faveur de la stabilité et de la prévisibilité de la norme) et des délais, qui génèrent une augmentation des coûts". Et le rapport de souligner au passage que le classement 2018 du Forum économique mondial place la France au 107 rang sur 140 pays pour le "fardeau administratif".

Cinq chantiers clef

En conséquence, le rapport propose cinq chantiers clef :

- chantier 1 : sécuriser les porteurs de projet notamment face aux changements réglementaire en cours de procédure ;

- chantier 2 : anticiper les procédures en mettant à disposition des entreprises des «  sites industriels clés en main » ;

- chantier 3 : fluidifier l’expérience des industriels notamment en créant un portail numérique unique de suivi des dossiers ;

- chantier 4 : accélérer les délais au cas par cas en tenant compte de la réalité des territoires ;

- chantier 5 : piloter les procédures et assurer la coordination des administrations par le préfet.

 

Certaines des mesures des chantiers 1 sur la sécurisation des projets ou 4 sur l’accélération des délais apportent des assouplissements notables à certaines dispositions du droit de l’environnement quand les chantiers 2, 3 ou 5 comportent des propositions plus consensuelles. Enfin, certaines mesures complémentaires sont préconisées.

Remarque : certaines mesures proposées appellent un texte normatif. La mission a travaillé en amont avec les administrations centrales pour s’assurer de la déclinaison possible des propositions formulées dans des textes, de la simple circulaire à la loi.
Synthèse des propositions

Le tableau ci-dessous récapitule pour chaque chantier les propositions correspondantes.

 

Chantier Propositions de la mission Champs d'application
Chantier 1. – Sécuriser les porteurs de projets

Prévoir une entrée en vigueur différée des normes nouvelles afin qu’elles ne s’appliquent pas à un projet en cours, à partir du moment où l’administration a accusé réception du dossier d’autorisation ICPE :

  • en permettant de considérer les projets d’ICPE en cours d’instruction comme des sites industriels existants, bénéficiant ainsi des mêmes conditions et délais d’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation ;
  • en rendant impossible l’application des dispositions nouvelles de construction touchant au gros-œuvre des projets bâtis en cours d’agrandissement ou de création ;
  • en prévoyant que les services instructeurs s’engagent, avant le dépôt d’une autorisation, à communiquer au porteur de projet, les évolutions normatives à venir ayant un impact potentiel sur le projet.

ICPE

Autorisation d’urbanisme

Améliorer l’élaboration des textes et instaurer une hygiène normative en faveur de la compétitivité industrielle :

  • en améliorant le contenu des études d’impact, de l’évaluation ex ante des projets de textes législatifs et en prévoyant systématiquement des mesures dérogatoires pour les secteurs les plus impactés ;
  • en évaluant le dispositif du « test PME » mis en place sous la mandature précédente et d’en tirer les conséquences ;
  • en évitant au maximum les sur-transpositions de textes européens, voire de revenir sur certaines sur-transpositions qui allongent les délais (dérogation espèce protégée ou seuils d’étude d’impact des entrepôts).

ICPE

Étude d’impact

Dérogation faune-flore

Chantier 2. - Mise à disposition de « sites industriels clés en main »

Création de « sites industriels clés en main » :

  • en imposant à l’administration d’indiquer précisément la durée et les conditions de validité d’une étude faune/flore et des procédures d’archéologie préventive et leur mise à jour régulière ;
  • en s’assurant de la portabilité effective de ces études entre porteurs de projet, pour faciliter l’implantation de nouveaux acteurs en capitalisant sur les études déjà réalisées ;
  • en clarifiant le périmètre de réexamen des études par l’administration, dans le but de le limiter au cadre de l’autorisation sollicitée pour le projet industriel.

ICPE

Étude d’impact

Dérogation faune-flore

Fouilles archéologiques

Conforter les initiatives des collectivités territoriales destinées à faciliter l’installation des industriels sur leurs territoires :

  • en confiant à Business France ou aux CCI une mission d’accompagnement des régions pour mieux connaître et valoriser les atouts des territoires ;
  • en recensant et en diffusant les bonnes pratiques des collectivités en matière d’accompagnement des projets industriels notamment en s’appuyant sur les associations d’élus locaux.
 
Chantier 3. - Fluidifier l’expérience des industriels

Mettre à disposition des porteurs de projet, dans un format pédagogique et facilement accessible, toutes les étapes administratives devant être réalisées :

  • par des guides pédagogiques des différentes procédures ;
  • par des cartes des principaux zonages à prendre en compte lors de l’implantation ;
  • par la mise en place d’une plateforme régionale permettant d’informer les porteurs de projets en fonction du lieu d’implantation.

Autorisation environnementale

Autorisations d’urbanisme

Fouilles archéologiques

Mettre en place un « portail numérique unique » pour faciliter les démarches des industriels et l’instruction de leurs demandes :

  • en mettant en place en 2020 un « guichet unique numérique » permettant la dématérialisation du dépôt et de l’instruction de l’autorisation environnementale puis de l’enregistrement et des procédures annexes (renouvellement, changement de bénéficiaire, cessation d’activité) ;
  • en incitant les collectivités à dématérialiser l’ensemble des procédures liées à l’autorisation d’urbanisme (ndlr : un portail national de l’urbanisme a été créé en 2014 permettant la dématérialisation des documents d’urbanisme) ;
  • en mettant en place en 2021 une API (automate programmable industriel) agrégeant l’information relative à chaque dossier afin de proposer au pétitionnaire et à l’administration un tableau de bord simplifié et des fonctionnalités facilitant l’accès à l’information sur le dossier.

Autorisation environnementale

Autorisations d’urbanisme

ICPE

IOTA

Mettre en œuvre une véritable « démarche qualité » au sein des services chargés d’instruire et d’accompagner les projets industriels au service de l’attractivité des territoires :

  • en instaurant ou en complétant les indicateurs de qualité de service existants (nombre de dossier, durée moyenne d’instruction) ;
  • en donnant la parole aux usagers (questionnaires de satisfaction) ;
  • en prévoyant, en lien avec les industriels, des retours d’expérience (agrégés au niveau national sous couvert d’anonymat).
Information du public/ DREAL

Promouvoir une culture d’accompagnement des porteurs de projets à tous les niveaux de l’administration :

  • en améliorant les relations entre l’administration et les porteurs de projet et en identifiant les obstacles au changement ;
  • en adaptant la formation et le profil des agents chargés de prendre des décisions ou de rendre des avis ayant un impact sur l’industrie ;
  • en accompagnant tout changement de réglementation structurant par une information interactive et pédagogique aux industriels ;
  • en diffusant des guides d’interprétation de la réglementation afin de limiter les divergences d’interprétation du droit ;
  • en mettant en place une gouvernance et un suivi dédié notamment des indicateurs de qualité de service.
Information du public/DREAL
Chantier 4. - Accélération des délais de procédure sur appréciation du préfet

Donner la possibilité au préfet d’autoriser le démarrage de tout ou partie des travaux lorsqu’ils ne nécessitent pas d’autorisation spécifique (dérogation espèces protégées, zones Natura 2000, défrichement)

Dérogation faune-flore

Natura 2000

Défrichement

Laisser le soin au préfet de choisir une consultation électronique du public plutôt qu’une enquête publique pour les projets soumis à autorisation mais non soumis à étude d’impact (250 projets/an)

Débat public

Enquête publique

Laisser le préfet apprécier l’opportunité de consulter le conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) en fonction des circonstances locales

ICPE

Basculement d’un projet d’ICPE soumis à autorisation vers le régime de l’enregistrement

ICPE
Prévoir une durée d’existence minimale d’un an pour les associations agréées de protection de l’environnement pour déposer un recours contre un projet industriel Associations de protection de l'environnement
Chantier 5. - Pilotage des procédures et coordination des administrations par le préfet Dans chaque département, systématiser la responsabilité du corps préfectoral comme pilote et chef d’orchestre des procédures et faire travailler l’administration « en mode projet » sur les dossiers d’implantation ou d’extension industrielle  
Autre mesures préconisées

Développer des « réserves d’actifs naturels  » (banques de compensation écologique) sur le territoire pour anticiper et mutualiser l’effort de compensation

Mesures compensatoires

Mieux anticiper les enjeux et les risques notamment financiers liés à la dépollution des sites industriels :

  • rendre obligatoire le recours à un bureau d’étude certifié pour attester vis-à-vis de l’administration et du maire qu’il n’y a plus de risque de pollution migrant hors du site et ainsi favoriser son usage futur ;
  • améliorer le système de garantie financière (notamment pour les entreprises en faillite), aujourd’hui à l’œuvre, afin d’assurer à l’aménageur que la dépollution des sites sera menée à bien, mais en minimisant le coût à la charge de l’industriel – afin de ne pas le désinciter à s’implanter sur le territoire.
ICPE

 

En plus de toutes ces mesures, le rapport n’hésite pas à préconiser un certain changement culturel,  aspirant à une administration transformée en "business partner exigeant mais facilitateur" du porteur de projet. Pas si simple pour une administration qui, depuis la réforme de l’autorisation environnementale, poursuit l’apprentissage d’une organisation en mode projet et doit digérer de multiples évolutions réglementaires !

 

Par ailleurs, les mesures  préconisées visant à ce que les nouvelles normes ne s’appliquent pas aux projets en cours ne sont pas sans rappeler « l’esprit » du  certificat de projet sous son ère expérimentale, lequel permettait une cristallisation du droit de 24 mois maximum. Cristallisation qui, rappelons-le, s’est avérée problématique, atteignant certaines limites (pans de droit y échappant,   questions contentieuses…) et soulevant certaines difficultés de compréhension.

 

Enfin, et alors même que le rapport est entièrement dévolu à  l’Industrie, certaines modifications telles que proposées concerneraient au final tous les secteurs soumis à la législation des installations classées, et donc des activités agricoles, énergétiques ou encore tertiaires.

Pas seulement un rapport

Le rapport contient, en annexe, quelques éléments méthodologiques et pratiques.

 

En premier lieu, il présente un parcours de l’industriel qui décortique les démarches à accomplir à chaque étape de la procédure.

 : choix du territoire d’implantation, montage du dossier, dépôt des demandes d’autorisation, examen du dossier par l’administration, préparation de la consultation du public, suivi de la consultation ou de l’enquête publique, attente des autorisations, recours éventuel, mise en route du chantier.

En deuxième lieu, il présente cinq retours d’expériences relatant des réalités concrètes et leurs impacts pour faciliter la résolution des difficultés évoquées et s’inspirer des bonnes pratiques.

Exemples : l’errance administrative, l’hétérogénéité des pratiques, la diversité des modèles d’accompagnement internationaux ; l’opacité dans le traitement des projets ; l’organisation en mode projet de l’administration.

En troisième et dernier lieu, le rapport propose trois procédures environnementales détaillées étape par étape, avec pour chaque étape, les délais légaux maximum et les délais contractuels variables.

Remarque : il s’agit des procédures relatives à la délivrance du permis de construire,  aux ICPE (déclaration, enregistrement et autorisation) et à l’archéologie préventive.
Cinq mesures validées par le Premier ministre

Sur la base des propositions du rapport, le Premier ministre a confirmé le lancement de cinq mesures :

- sécuriser : mieux sécuriser les porteurs de projet en ne réétudiant pas leurs dossiers si une norme nouvelle entre en vigueur après le dépôt de leur dossier : c’est la norme en vigueur lors du dépôt du dossier qui s’applique ;

- anticiper : encourager les collectivités à mener un maximum de procédures en amont de décisions d’implantations industrielles, pour offrir des sites clés en main et concrétiser des projets complexes en moins de 6 mois ;

- fluidifier : simplifier les processus pour les entreprises en dématérialisant les procédures (urbanisme, autorisation environnementale, fouilles archéologiques) puis en créant un portail numérique unique de suivi des dossiers ;

- accélérer : autoriser les préfets à accélérer les délais des procédures (jusqu’à plusieurs mois) au cas par cas : par exemple en permettant  de démarrer les travaux sur une partie de la parcelle si toutes les autorisations de cette partie de la parcelle sont obtenues ;

- piloter : charger les sous-préfets d’un rôle de coordination de l’ensemble des services administratifs en charge d’accompagner les projets d’implantation.

 

Afin de garantir la bonne mise en œuvre de ces mesures, le Premier ministre a confié à M. Simon-Pierre Eury une mission interministérielle de coordination de ces chantiers et de pilotage du portail numérique unique.

Olivier CIZEL et Camille VINIT, Code permanent Environnement et nuisances

Nos engagements