Des start-up, telles Payfit et Ezbeez, bousculent le marché de l'établissement des bulletins de paie grâce à des tarifs agressifs. Des modèles qui attirent ou agacent au sein de la profession comptable.
Il n’y a pas que sur le terrain de la comptabilité que la concurrence aux experts-comptables se fait de plus en plus pressante. Dans le domaine social aussi.
Payfit a commercialisé une offre à toutes les entreprises en avril dernier. Cette start-up parisienne génère elle-même des bulletins de paie grâce à un logiciel en mode SaaS, sur la base d’informations transmises par l'employeur. "Lors de son inscription sur Payfit, [ce dernier] doit renseigner certaines données à propos de son entreprise et de ses employés (dont le salaire brut). Ensuite la plupart des éléments seront déduits automatiquement", explique la société que nous avons contactée. Par exemple, "pour un salarié en CDD de 9 mois et assujetti à la convention collective Syntec - ingénieurs & cadres - position 150 : à partir du moment où l’employeur aura rempli ces données, PayFit saura directement le salaire minimum que l’employeur doit au salarié".
D'autres données sont également disponibles : le nombre de congés payés dont dispose le salarié, ou encore le nombre de titres-restaurants dont il peut bénéficier mensuellement (qui "se mettra automatiquement à jour en fonction des congés payés, ou des absences pour maladie que l'employé aura pris le mois concerné"). Payfit effectue également toutes les déclarations sociales : calcul des cotisations, déclarations aux différents organismes, paiement des charges... De plus, la société indique avoir "codé" le code du travail et les conventions collectives. "Le langage créé permet d’envisager tous les cas légaux possibles.(…) Dès qu’une nouvelle loi devient applicable, PayFit est automatiquement mis à jour pour éviter les erreurs commises par les logiciels de paie classiques", précise-t-elle. Le tout pour un forfait de base de 29 euros par mois pour chaque entreprise, auquel s’ajoutent 9 euros par employé.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Un autre acteur bouscule peut-être encore davantage la profession comptable. Il s’agit d’Ezbeez, une entreprise lorraine qui a lancé en janvier dernier une plateforme d’établissement des bulletins de paie et de gestion sociale via l’Urssaf. "Nous sommes un intermédiant du web entre nos clients et l’administration, déclare son dirigeant Ugo Loustalet. On s’appuie sur le dispositif de l’Urssaf, le Tese [titre emploi service entreprise], qui permet notamment de faire des bulletins de paie gratuits". C'est donc l'organisme social qui produit le bulletin de paie. Grâce à "une architecture logicielle de « collecte » des déclarations sociales de nos clients en amont, nous avons créé des automates qui intègrent ces informations dans les serveurs de l'Urssaf et qui collectent en échange les documents créés (feuille de paye, DPAE, contrats de travail), nous indique Ugo Loustalet. Cela permet de ne pas générer d'erreurs de traitements, notamment sur les calculs de bases salariales, de congés, de maladie". C'est l'employeur qui renseigne (notamment) le salaire brut, et qui établit ses déclarations sociales chaque mois pour ses salariés au travers de l'extranet et c'est l' Urssaf qui effectue, en tant que "guichet unique" les prélèvements des charges sociales et patronales chaque mois.
Quel est l'intérêt pour une entreprise de passer par Ezbeez, et non pas directement par l'administration ? "Notre extranet client rend le dispositif plus simple et lisible. Il n'y a plus qu'un seul connecteur au lieu de 4 ou 5 chez l'Urssaf", justifie Ugo Loustalet. De plus, Ezbeez propose à ses clients des services complémentaires, tels que la gestion intégrale de la paie, du recrutement intégré, dans le même applicatif. "C'est un service intégral comme si vous mettiez dans une même application l'Urssaf, Pôle Emploi, un job-board, un secrétariat digital, un porte monnaie électronique, et une conciergerie...", souligne son dirigeant.
Le tarif est de 5 euros par mois par entreprise, pour "la prestation de service et les services annexes". Des options "de confort" sont proposées en supplément au chef d’entreprise (compteurs de congés payés ou de RTT, contrat de travail, personnalisation…). Le panier moyen par client est aujourd’hui de 30 euros, indique Ugo Loustalet. Cette solution est limitée à 20 salariés, le dispositif du Tese s’adressant aux entreprises en-dessous de ce seuil. Pour celles qui le dépassent, Ezbeez est en train de développer une autre solution pour janvier 2017, basée sur le développement d’un logiciel propre, en open source.
Ce business model agace certains experts-comptables. Charles-René Tandé, président de l’Ifec, accuse Ezbeez de "recycler le service gratuit mais très limité de l’Ursaff". "Le fait que le Tese soit vendu à 5 euros n’en fait pas pour autant un service permettant de répondre à l’ensemble des problématiques des entreprises en matière de paie", relevait-il dans une récente tribune. D’autant que cette entreprise privée est financée en partie par la Banque publique d’investissement (BPI). "Après avoir « étatisé » la fourniture de la fiche de paie en élargissant le périmètre du Tese, on le privatise à nouveau à grand renfort d’argent public ! Quelle belle opération !", ironise le chef de file du syndicat.
Quelle est la puissance de frappe de ces nouveaux concurrents ? Après avoir déjà levé 700 000 euros, Ezbeez espère réaliser une levée de fonds de plusieurs millions d’euros entre septembre et octobre prochains, nous indique la société. Quant à Payfit, une levée de fonds de 500 000 euros a été réalisée en janvier dernier auprès de Kima Ventures (fonds de Xavier Niel) et de business angels.
Ceci au service d’une ambition forte. Payfit revendique une centaine de clients (qui ont entre 1 et 100 employés) et entend servir environ 700 entreprises d’ici la fin de l’année. Ezbeez comptabilise lui aussi 100 clients pour l’établissement de bulletins de paie depuis janvier et indique avoir pour objectif 100 000 clients pour 700 000 paies par mois d’ici 2021. En plus de se consolider en France, la start-up lorraine entend exporter son modèle à l’étranger. Un déploiement est prévu en Europe, avec l’ouverture de trois marchés d’ici fin 2017. Et évoque aussi le "rêve américain" grâce à un éventuel rapprochement avec la société US Zenefits.
L’objectif de ces acteurs est clairement de "détruire les pôles sociaux" des cabinets comptables, affirmait Sébastien Grenier, dirigeant de la start-up Novigotech, lors du dernier salon social et RH de l’Ifec fin mai. Peut-être mais Payfit déclare offrir "un service complémentaire aux cabinets comptables". Et leur faire gagner du temps pour se concentrer sur leurs coeurs de métier (comptabilité et conseil). "D’ailleurs, de plus en plus de cabinets commencent à utiliser Payfit pour gagner en productivité !", indique la société.
Même constat du côté d’Ezbeez. "De plus en plus de cabinets comptables se rapprochent de nous. Pour eux, nous avons une offre de distribution qui propose Ezbeez en marque blanche. Les cabinets n’ont rien à faire : on gère le social de tous leurs clients, on leur facture 5 euros par société et les cabinets appliquent les marges qu’ils veulent à leurs clients. Devenir revendeur de cette solution est rentable pour l’expert-comptable et pour ses clients chez qui seront impactées une partie des économies ainsi réalisées", précise Ugo Loustalet. Autre preuve de l’intérêt de la profession du chiffre elle-même : l'entreprise lorraine annonce de futurs partenariats avec deux grands réseaux de cabinets comptables, qui utiliseraient ainsi cette solution en marque blanche. Mais cela ne présenterait-il pas un risque de désintermédiation ?
Ne parlez pas d’ubérisation au dirigeant de Ezbeez. "C’est un retour aux années 70 et 80 où le bulletin de paie était gratuit. Faire payer une feuille Excel 40 euros, c'est du vol", selon Ugo Loustalet. Qui estime, avec sa plateforme, avoir créé un "précédent". Dès lors, un nouveau paradigme doit-il être recherché par les cabinets comptables ? "Il va falloir qu’on s’adapte", concédait Charles-René Tandé, lors du salon social et RH de l'Ifec. Selon lui, une réflexion doit être menée, notamment sur l’opportunité de distinguer entre traitement opérationnel de la paie et service apporté. Aujourd’hui, les cabinets pratiquent des tarifs plus élevés car ils "intègrent tout dans la facturation du bulletin de paie", relève le président de l'Ifec. Alors que les prix affichés par ces nouveaux concurrents ne comprennent que le traitement de la paie.
Or, bon nombre d’entreprises estiment que la production du bulletin de paie est une prestation sans aucune valeur ajoutée. Dans "l’acceptation du chef d’entreprise", "faire un bulletin de paie c’est juste appuyer sur un bouton", affirme Sébastien Grenier. Mais pour lui, pas question pour autant d’externaliser la paie. "Les cabinets qui ne font plus de paie perdent une occasion de connaître leur client", explique le président de Novagotech. La solution n’est donc pas de se décharger du social et de la comptabilité car il faut garder une proximité avec le client pour le fidéliser, justifie-t-il.
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