Il reste difficile aujourd'hui d'échanger sur les modalités d'exécution du travail alors qu'il s'agit bien souvent d'une clef pour dénouer les tensions en entreprise. Fort de ce constat, Etienne Forcioli, président du cabinet Plein Sens, et Pascal Ughetto, sociologue, promeuvent les espaces de discussions au sein des entreprises.
Il y a quelques semaines, la CFDT a lancé une enquête "Parlons travail" afin de "remettre le travail au coeur du débat". Une initiative symptomatique de l'absence du travail dans le débat, qu'il soit politique ou interne aux entreprises. C'est pour libérer la parole et remettre ce sujet au centre que le sociologue Pascal Ughetto et le président du cabinet Plein sens, Etienne Forcioli, militent pour la mise en place, au sein des collectifs de travail, d'espaces de discussion.
Parler du travail ne va pas de soi. C'est ce que constate le sociologue Pascal Ughetto. "Il est difficile pour beaucoup d'acteurs de parler du travail. Il est notamment compliqué pour les organisations syndicales de mettre sur la table des choses qui ne créent pas de l'homogénéité dans l'action. Il est plus simple de parler d'emploi car le travail implique des éléments contradictoires".
Pourtant, cette nécessité d'ouvrir le dialogue se fait de plus en plus pressante au fur et à mesure que le travail change. "Le travail a beaucoup évolué de manière plus ou moins visible sans forcément qu'il existe des espaces pour mettre tout cela à plat", déplore Pascal Ughetto. Des travaux en sciences sociales ont insisté sur le fait que ce qui conduit les salariés à "craquer" ne trouve pas son origine dans une quelconque fragilité psychologique mais avant tout dans le travail et ses conditions de réalisation. Il manque d'espaces pour mettre en discussion les conditions de travail. L'évolution des technologies, de l'organisation de l'entreprise et du travail, des outils de méthode et de gestion font que le travail - matériellement - s'effectue dans des conditions qui ne sont plus exactement les mêmes. Les salariés sont de plus en plus amenés à travailler avec d'autres métiers ou services. Ils sont plus dans l'interaction avec les clients et les usagers et en prise avec les sollicitations de ces derniers. Le travail intègre par ailleurs de plus en plus d'exigences (les normes de qualité par exemple). Les salariés doivent ainsi faire plusieurs petits arbitrages quotidiens qui n'ont l'air de rien mais qui sont coûteux".
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Mais les entreprises peinent à faire de ces problématiques des éléments de débat, constate Pascal Ughetto. "Dans les organisations d'aujourd'hui, on manque de temps pour mettre à plat des contradictions normales qui se jouent dans l'activité du travail. Les entreprises renoncent d'avance car il est difficile de créer une conciliation des points de vue et elles ne sont pas préparées à admettre la diversité des positions. Elles n'ont pas le temps de mettre à plat les divergences qu'elles vivent comme un écart par rapport à ce qu'elles cherchent à mettre en place en termes de stratégie. En France, il est difficile d'accepter des compromis ; or, le travail suppose des compromis. Par ailleurs, d'autres acteurs n'ont pas intérêt à discuter du travail. C'est le cas des personnes qui sont chargées de la norme ; elles ne sont pas prêtes à entendre des salariés qui veulent déficeler ce que ces services se sont évertués à construire. Il est nécessaire que les entreprises accompagnent ces services afin qu'ils soient capables d'accueillir ces mises en cause comme une exigence de mieux s'accorder avec les contraintes du travail opérationnel", prévient le sociologue.
Pour faire face à ces nouvelles attentes, mettre en place des espaces de discussion peut être l'une des solutions en permettant de dénouer des tensions et de hiérarchiser les priorités. "Ces espaces permettent de répondre à une situation concrète en faisant primer un objectif sur un autre", souligne Pascal Ughetto. Le sociologue écarte toute filiation directe entre ces espaces de discussion et les groupes d'expression que l'accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 a tenté de relancer. Il n'est d'ailleurs pas friand de ce terme, "groupe d'expression", qui a un côté "daté" et souligne l'existence de "lieux formels". Or, tout l'enjeu des espaces de discussions est de sortir des cadres formatés, insiste-t-il. "Il ne s'agit pas tant d'un droit formel à l'expression que de simplement vouloir discuter avec ses collègues, sa hiérarchie sur ce qui est réellement attendu. L'enjeu est de discuter, de débattre, d'avoir des controverses sur les finalités et les modalités du travail".
Ces espaces de discussion doivent être adaptés aux enjeux spécifiques de chaque entreprise, à leur fonctionnement propre et à leurs problématiques. "Leur organisation peut être différente en fonction des lieux. Leur conception doit être pensée en fonction des lieux et des contextes de chaque entreprise. Un atelier peut ne pas être organisé comme les autres", souligne Etienne Forcioli du cabinet Plein sens qui accompagne des entreprises. "Nous sommes à la recherche de quelque chose qui n'est pas le dialogue institutionnel car il fige les positions où chacun joue un rôle où l'on ne discute pas authentiquement du travail".
Ce cadre qui doit rester informel peut d'ailleurs permettre de recycler les traditionnelles réunions de service. "Il faudrait des réunions de service qui ne soient pas que de la communication descendante. Il faut organiser les échanges sur le travail, revitaliser les discussions au sein de ce qui existe déjà afin que l'information circule dans les deux sens", insiste Pascal Ughetto.
Reste à savoir si la direction, les organisations syndicales, et plus largement les élus, doivent être associés à ces espaces de discussions. "Dans les entreprises où les relations hiérarchiques ne sont pas excellentes, leur présence peut bloquer l'envie des salariés de porter des contradictions à gérer. Mais la présence de la hiérarchie peut être décisive dans la construction de solutions pour dénouer les problèmes", explique Etienne Forcioli. En revanche, insiste-t-il, "il faut former les managers pour embrasser ces compromis entre la performance attendue, les ordres donnés et la réalité du travail". Mais attention à ne pas alourdir leurs agendas qui débordent déjà. "Ces espaces de discussions ne doivent pas les surcharger mais bien au contraire les décharger !".
La participation des organisations syndicales aux espaces de discussion est une autre question à se poser, estime Pascal Ughetto, dont la réponse dépend -en partie - de chaque entreprise. "Si c'est pour imposer un formalisme de la prise de parole ou importer les clivages qui existent entre eux, ça risque de compliquer la dynamique fragile qu'on essaye de créer. Le problème est plutôt de savoir comment instaurer ces espaces sans qu'ils n'aient l'air de concurrencer et de compromettre le dialogue institutionnel et ne pas le voir comme explicitement ou implicitement conçus pour les contourner".
Et Etienne Forcioli de nuancer. S'il ne s'oppose pas formellement à ce que les syndicats y participent, c'est à la condition qu'ils soient là "seulement en tant que salarié, membre du collectif de travail, et que ce soit utile pour eux en tant qu'observateurs et représentants du personnel". Il insiste toutefois sur la nécessité d'impliquer les élus dans la mise sur pied de ces instances de discussion "afin de construire un consensus sur leur utilité". "Avant d'implémenter un espace de discussion, il est toujours mieux d'instaurer un dialogue avec les organisations syndicales".
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