Pas d'escroquerie par simples mensonges

19.12.2022

Gestion d'entreprise

Les prétextes avancés par les commerciaux de la société du prévenu, intermédiaire d’assurances, auprès d’assurés, pour les déterminer à résilier leurs contrats d’assurance conclus avec une société courtier en assurances partie civile, s’analysent en de simples mensonges et ne constituent pas des manœuvres frauduleuses caractérisant le délit d’escroquerie.

Une première société, courtier en assurances, conclut - à une date non précisée - avec une seconde société un mandat d’intermédiaire d’assurances pour la distribution de contrats d’assurances dépendance et obsèques. Aux termes de ces contrats la première société verse à la seconde une commission d’acquisition d’un montant de 10 % de la prime annuelle du client sous forme d’un précompte pour la première année, puis de commissions sur encours à partir du treizième mois. En cas de résiliation du contrat d’assurance par le client durant les trente-six premiers mois, la seconde société doit restituer à la première la commission initiale. Mais à compter de l’été 2013 les commerciaux de la seconde société, sur instructions de son gérant, déterminent des assurés ayant souscrit des contrats auprès de la première société à les résilier sous des prétextes fallacieux (difficultés financières de la société, fin de la couverture des assurés par elle, fusion avec la Mutualité française) afin d’en souscrire de nouveaux auprès de courtiers concurrents. Aussi la première société porte-t-elle plainte le 17 octobre 2014 contre le gérant indélicat et sa société pour des faits d’escroquerie et de banqueroute par détournement d’actif commis à son préjudice. Le tribunal correctionnel déclare ce gérant coupable notamment d’escroquerie en bande organisée.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

Découvrir tous les contenus liés

En appel les juges du second degré confirment cette condamnation, énonçant que les faits visés à la prévention concernent la souscription de contrats obsèques et dépendance par des assurés démarchés par des commerciaux de la société du prévenu, puis leur résiliation sur la base de prétextes fallacieux par ces mêmes commerciaux, aux fins de souscrire de nouveaux contrats auprès d’un autre assureur et de maximiser le versement des commissions au profit de la société précitée. Les juges ajoutent que la résiliation d’un contrat est un acte immatériel susceptible de faire l’objet d’une escroquerie et qu’en l’espèce l’objet de la remise ne peut être que la résiliation du contrat passé que les manœuvres visent exclusivement à obtenir, les flux de commissionnement n’étant que la conséquence de la souscription du contrat puis de sa résiliation. Ils en concluent que les manœuvres des commerciaux ont eu pour effet la résiliation des contrats souscrits par les assurés.

Au visa de l’article 313-1 du code pénal la chambre criminelle de la Cour de cassation censure cet arrêt. Il résulte de ce texte que le délit d’escroquerie est caractérisé par l’emploi, par son auteur, de manœuvres frauduleuses aux fins de déterminer la victime à lui remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. En statuant comme elle l’a fait, alors que les prétextes avancés par les commerciaux auprès des assurés s’analysent en de simples mensonges, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’existence de manœuvres frauduleuses destinées à déterminer la victime à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, ou éventuellement obtenir un acte opérant obligation ou décharge, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ; la cassation est par conséquent encourue.

Elle était inévitable, la cour d’appel ayant qualifié manœuvres frauduleuses de simples mensonges, ignorant une règle classique en matière d’escroquerie posée par la chambre criminelle il y a plus de deux siècles (Cass. crim., 7 mars 1817 : Bull. crim. n° 18) et depuis constamment réaffirmée. Selon ce vieil arrêt « les simples mensonges, même réitérés et produits par écrit, ne peuvent constituer les manœuvres frauduleuses constitutives de l’escroquerie s’il ne s’y joint aucun fait extérieur ou acte matériel, aucune mise en scène ou intervention d’un tiers destinés à leur donner force et crédit ». En l’occurrence d’ailleurs ces mensonges ne sont même pas adressés à la victime mais aux assurés personnes âgées crédules.

Ce ne sont pas les seules erreurs commises par l’arrêt attaqué qui adopte une curieuse conception de la remise. Pour la cour d’appel cette remise porte sur les biens immatériels que représentent les résiliations de leurs contrats d’assurance par les assurés qui, trompés par les mensonges des commerciaux, remettent les résiliations au courtier. La remise est ainsi opérée par des tiers à la victime. On est loin du schéma habituel de l’escroquerie où la remise est faite par la victime à l’escroc. Ce raisonnement des juges du fond est étrange et néglige de surcroît le fait que cette résiliation est par essence défavorable à l’intermédiaire escroc, entraînant pour lui l’obligation de restituer les commissions. Il y a méprise sur l’objet de la remise. En vérité ce qu’a bien remis la société victime, ce sont les commissions qui ne pourront jamais être restituées, le gérant de la seconde société étant simultanément poursuivi pour banqueroute par détournement d’actif, ce qui suppose une cessation des paiements de sa société. Reste à savoir si la remise des commissions par la partie civile a été provoquée par des manœuvres frauduleuses. En apportant au courtier des clients éphémères, soit de vrais faux clients, personnes âgées vulnérables, manipulées par ses commerciaux qui peu après la conclusion du contrat leur dictaient à leur domicile la lettre de résiliation et se chargeaient de son expédition, l’intermédiaire a mis en place une véritable machination, allant jusqu’à échelonner les résiliations afin de ne pas éveiller les soupçons de la victime, pour qu’elle verse un maximum de commissions indues jamais restituées. L’escroquerie en bande organisée semble bien constituée.

Wilfrid Jeandidier, Professeur agrégé des facultés de droit, Doyen honoraire
Vous aimerez aussi