Point de départ du délai de prescription de l'action en indemnisation du préjudice anti concurrentiel

19.09.2023

Gestion d'entreprise

Le délai de prescription de l’action en indemnisation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle ne court pas, tant que la victime n’a pas connaissance des faits de nature à manifester l’existence d’un comportement fautif.

Dans un arrêt du 30 août 2023, la Cour de cassation confirme qu’en application de l’article 2224 du code civil aux termes duquel « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer », le délai de prescription de l’action en indemnisation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle ne court pas, tant que la victime n’a pas connaissance des faits de nature à manifester l’existence d’un comportement fautif.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Bien que rendu en application de l’article précité, cet arrêt semble compatible avec l’article L. 482-1 du code de commerce, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, d’où il ressort que le délai de prescription de l’action en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles commence à courir à compter du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative : les actes ou faits imputés aux personnes concernées, le fait qu’ils constituent une pratique anticoncurrentielle qui lui cause un dommage, et l’identité de l’un des auteurs de cette pratique.

En l’espèce, après leur condamnation par l’Autorité de la concurrence par décision du 14 mai 2013 sur le fondement des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce, pour abus de position dominante par dénigrement de médicaments génériques concurrents afin de les évincer du marché, la société mère et sa filiale d’un groupe pharmaceutique avaient été assignées par la CNAM (Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés) en réparation du préjudice causé.

Devant la Cour de cassation, ces sociétés reprochaient à la cour d’appel d’avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la CNAM, en violation de l’article 2224 du code civil alors applicable. Elles rappelaient qu’en application de cet article, la prescription commence à courir à compter du jour où la victime de pratiques anticoncurrentielles a connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits lui révélant l’existence de pratiques lui ayant causé un préjudice, et non du jour où elle a acquis une certitude quant à la matérialité de ces pratiques et à leur illicéité par l’effet de la décision de l’Autorité les sanctionnant.

Elles soutenaient qu’au regard de l’article précité, la prescription de l’action de la CNAM devait être reconnue puisque la cour d’appel avait constaté :

- que la CNAM avait disposé, dès 2009, de remontées de terrain révélant sur tout le territoire national une confusion chez les praticiens faisant suite à des visites commerciales des délégués des sociétés en cause,   

- qu’elle avait disposé des informations résultant de la saisine de l’Autorité par un concurrent des sociétés en cause, faisant état de pratiques de dénigrement consistant dans une communication déformée de leurs visiteurs médicaux sur les génériques concernés auprès des professionnels de santé, et que ces pratiques avaient été décrites avec précision par l’ADLC dans sa décision du 17 mai 2010 statuant sur une demande de mesures conservatoires,

- qu’à la demande de l’Autorité, la CNAM avait entre 2010 et 2011, joué un rôle pivot dans le cadre de l’instruction de la demande précédente,

- que la CNAM avait répondu à quatre demandes d’informations l’invitant à solliciter l’ensemble de son réseau pour connaître la teneur exacte du discours tenu auprès des praticiens de santé.

Selon les sociétés en cause, ces constatations établissaient que la CNAM avait eu connaissance des pratiques anticoncurrentielles à l’origine de son préjudice avant la décision de l’Autorité les condamnant. Elles ajoutaient que dans ces circonstances, la cour d’appel ne pouvait rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la CNAM, d’autant que dans son arrêt, elle avait relevé expressément que cette dernière avait eu connaissance de faits révélant l’existence probable de pratiques de dénigrement et du préjudice qu’elles pouvaient lui avoir occasionné.

Ces arguments sont écartés par la Cour de cassation qui approuve les juges d’appel d’avoir considéré qu’ « il n’apparait pas que les informations à la disposition de la CNAM lui permettaient, sans les pouvoirs d’investigation des services d’instruction et l’analyse particulière de la décision de sanction de l’Autorité, de se convaincre par elle-même de l’illicéité des pratiques concernées ». Elle ajoute qu’il résulte des constatations rapportées dans l’arrêt d’appel que les faits dont la CNAM avait connaissance devaient être rapprochés d’autres éléments matériels issus de l’instruction menée par l’Autorité auxquels elle n’avait pas eu accès jusqu’à la décision de cette dernière, pour déterminer si, examinés dans leur globalité et à la lumière d’une analyse concurrentielle, ils étaient de nature à manifester un comportement fautif.

Elle conclut que la cour d’appel n’a pas subordonné « le point de départ de la prescription à la certitude du caractère illicite du comportement des sociétés » en cause, mais qu’elle « a exactement décidé que seule la décision de l’Autorité avait donné connaissance à la CNAM des faits et de leur portée lui permettant d’agir en réparation de son préjudice ».

Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat
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