Pourquoi la procédure de lanceurs d’alerte est un sujet RH et de dialogue social ?

Pourquoi la procédure de lanceurs d’alerte est un sujet RH et de dialogue social ?

22.11.2022

Gestion du personnel

L’association Réalités du dialogue social a pour vocation de promouvoir le dialogue social et de favoriser le partage de connaissances et d’expériences. C’est pourquoi, l’un des thèmes à décrypter en cet automne 2022 est la mise en place du dispositif de protection de lanceurs d’alerte dans les entreprises d’au moins 50 salariés suite à la loi du 21 mars 2022 en vigueur depuis le 1er septembre. Bertrand Merville, associé à La Garanderie Avocats, membre de l’Association, et Maud Stéphan, déléguée générale de RDS, insistent sur l’importance d’en faire un objet de dialogue social.

Une loi qui démultiplie les lanceurs d’alerte potentiels

Les entreprises fonctionnent souvent en silo sur le sujet de l’alerte, initialement circonscrite à la corruption - loi Sapin II - ou à la fraude fiscale. De fait, les DRH se sont trouvés à l’écart, considérant que cela est traité au niveau de la compliance. Or, cela entre dans leur domaine d’activité dans la mesure où d’une part, l’alerte sociale recouvre les discriminations et le harcèlement moral et, d’autre part, deux lois, du 21 mars 2022, ont grandement renforcé le statut et la protection du lanceur d’alerte ainsi que les attributions du Défenseur des droits en matière de signalement. La législation apporte plusieurs nouveautés qui devraient impacter dans la durée la fonction RH mais aussi le rôle des représentants des salariés et organisations syndicales :

  • il existe ainsi un délit pénal pour toute personne, tout dirigeant d’entreprise qui ferait obstacle au signalement d’une alerte ou qui exercerait des représailles auprès des lanceurs d’alerte ; 
  • l’alerte peut correspondre à une révélation d’une information qui concernerait la simple violation de la loi sans même la considérer comme grave et manifeste comme cela a pu l’être par le passé. A titre d’exemple, un collaborateur peut signaler à l’employeur qu’il considère que des heures supplémentaires ne sont pas correctement payées. Il s’agit d’une violation de la loi et cela pourrait conduire l’intéressé à endosser le statut de lanceur d’alerte et la protection qui en découle ;
  • les signalements peuvent être effectués par des catégories externes à l’entreprise (sous-traitants par exemple) et la protection est étendue au-delà des lanceurs d’alerte (toutes personnes en lien avec eux) ; 
  • un dispositif d’alerte, c’est-à-dire une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, doit obligatoirement être mis en place dans les entreprises d’au moins 50 salariés, avec consultation des instances de dialogue social.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Revue de détail

Le statut de lanceur d’alerte

La France a joué un rôle précurseur en créant, avec la loi Sapin II en 2016, le statut de lanceur d’alerte sur les champs économiques, financiers et de la corruption. Depuis la législation de mars 2022, le lanceur d’alerte est une "personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit l’Union européenne, de la loi ou du règlement ".

Le principe posé est que lorsqu’une personne physique obtient des informations dans l’entreprise et les signale, elle prend le statut de lanceur d’alerte ; cela concerne aussi un ancien salarié ou un candidat à l’embauche, qui par exemple, s’il considère ne pas avoir obtenu un emploi suite à une discrimination, peut divulguer l’information et devient ainsi lanceur d’alerte. L’éligibilité à ce statut est donc élargie puisqu’il vise désormais les actionnaires,  associés, membres de direction mais aussi collaborateurs extérieurs ou occasionnels ou encore cocontractants et sous-traitants.

Cette extension du champ au-dehors de l’entreprise requiert un dispositif de signalement suffisamment connu pour être sûr que le mécanisme d’alerte fonctionne correctement, ce qui plaide pour l’association des représentants des salariés à la construction durable de cette procédure.

La protection du lanceur d’alerte

Prévue par le code du travail et résultant de l’application de la loi Sapin II, cette protection permet au collaborateur ou tout individu devenu lanceur d’alerte d’être protégé contre toute sanction, licenciement, mesure discriminatoire directe ou indirecte. Il ne peut pas être pénalisé, par exemple, sur la rémunération, le temps ou le rythme de travail. La protection vise à faire fonctionner le système de signalements dans l’entreprise. Elle est étendue aux facilitateurs - qui ont aidé à divulguer et cela peut être une organisation syndicale - mais aussi aux personnes en lien avec le lanceur d’alerte, par exemple celle ou celui qui partage son bureau.

La mise en place du dispositif d’alerte

La loi rend obligatoire mais ne définit pas le dispositif d’alerte, c’est-à-dire une procédure qui reçoit et traite des signalements, de faits ou d’informations. Il est précisé que les instances de dialogue social - comme telles - doivent être consultées pour la mise en place de ce dispositif. Le grand changement, depuis le 1er septembre, est la possibilité donnée au lanceur d’alerte de saisir directement une autorité extérieure, comme par exemple le Défenseur des droits, le juge ou passer à de la divulgation publique (médias, réseaux sociaux). Avant la loi de mars 2022, sauf rares exceptions, le collaborateur devait d’abord informer un supérieur hiérarchique, l’employeur, avant de passer, en l’absence de réponse dans un certain délai, à un signalement extérieur. Et seulement si l’autorité extérieure ne répondait pas, il pouvait basculer vers de la divulgation publique.

En France, sur la base de la définition donnée par le Conseil de l’Europe en 2014, l’alerte a pour vocation d’abord de veiller au maintien de l’intérêt général. Si elle va imprégner l’entreprise, elle la dépasse également puisque le lanceur d’alerte peut venir de l’extérieur et le signalement effectué directement en dehors de son périmètre. Par conséquent, la question à se poser tant au niveau RH qu’à celui de l’éventuel département compliance est au-delà de remplir l’obligation de mise en place d’un dispositif, d’en bâtir un efficace, connu et durable. Il s’agit en réalité d’avoir une démarche de compliance sociale. A défaut, le risque est de confronter l’entreprise à une montée en puissance des alertes externes que cette dernière ne connaîtra pas immédiatement et ne pourra traiter.

Cela invite à créer un dispositif pour collecter de la donnée, connaître la nature des informations et éviter que les faits ne se reproduisent. Ce travail d’efficacité dans le temps nécessite que les représentants du personnel soient au minimum informés et consultés, concertés, voire associés dans la construction de cette procédure.

Un nouvel objet de dialogue social

L’alerte : un enjeu RH ? Sans aucun doute. Un sujet pour les représentants des salariés ? Vraisemblablement. Ces derniers semblent peu mobilisés sur les nouvelles dispositions de la loi visant la protection des lanceurs d’alerte qu’il ne faut pas confondre avec les alertes émises en CSE lorsqu’il y a atteinte aux droits des personnes. C’est peut-être considéré comme une concurrence au mécanisme propre au CSE ; or, cela ne vient pas s’y substituer.

Au lieu de laisser le terrain vacant, il faut au contraire l’investir parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde qu’une information remonte ; c’est probablement aussi de la bonne gouvernance que d’avoir des élus embarqués au minimum dans la construction et l’information relative au mécanisme d’alerte. Diligenter ensuite une enquête pour traiter le signalement permettra à l’employeur de connaître la réalité, la nature et l’ampleur des faits. Se pose alors la question de savoir avec qui mener l’enquête (une direction spécialisée, un comité ad hoc, un expert extérieur…) et s’il faut y associer les représentants des salariés pour garantir son objectivité.

Il existe plusieurs réserves à les intégrer dans la gestion même du signalement, notamment une majeure tenant à la confidentialité. Faut-il alors élaborer des chartes d’engagement, voire mieux, un accord collectif ? Chaque entreprise et chaque représentant du personnel a évidemment son histoire, sa culture et des convictions. Il semble néanmoins pertinent de tenter de surmonter ces hésitations par le dialogue, la formation et la confiance. A l’évidence, cette phase de mise en place du système d’alerte constitue l’opportunité de se poser la question à froid plutôt que de réagir à vue moment d’un signalement.

La loi impose la consultation du CSE mais l’implication des représentants des salariés peut être examinée, comme nous l’avons décrit, à plusieurs niveaux : construction du dispositif et plus précisément du système de signalement ; participation au processus d’information des salariés pour les sensibiliser au sujet et leur faire connaître l’aspect protection ; définition des besoins de formation de représentants qui seraient dédiés aux alertes (référent) ; participation ou information relatives aux travaux des comités d’enquête …

Pour favoriser le dialogue social et la prise en compte de ce sujet par les organisations syndicales, il semble pertinent d’aller au-delà du seul phénomène d’alerte et de la personne qui en est à l’origine pour s’interroger sur des sources éventuelles telles que l’organisation du travail ou des pratiques managériales. Il s’agit de dépasser l’alerte individuelle pour appréhender la problématique sous l’angle du collectif et de l’intérêt général. L’objectif des deux parties, employeur et organisations syndicales, est que cela ne se reproduise pas, d’où l’importance de gérer l’alerte au sein de l’entreprise et de cartographier au plus près les risques, à l’heure où le recours à l’externe vient concurrencer le système interne avec le risque de pertes de données sans oublier l’impact potentiel sur la marque employeur.

Il y a nécessité de bâtir et de s’approprier au plus vite des processus de signalement et de traitement au regard de l’émergence de contentieux avec des salariés qui commencent à utiliser l’alerte et revendiquer immédiatement leur nouveau statut.

Bertrand Merville et Maud Stephan
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