Dans cette interview, Michel Tudel, ancien président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et de celle des experts-comptables de justice, évoque l'intérêt pour les experts-comptables de se lancer dans un domaine en développement, celui de l'expertise de partie. A cette occasion, il nous livre son opinion sur la financiarisation des cabinets comptables.
Ils doivent être inscrits sur une liste de Cour d'appel ou de Cour de cassation. Ce n’est pas automatique. Auparavant, cette inscription reposait sur une analyse des magistrats à laquelle nous n’avions pas accès. Depuis un décret du 16 juin 2023, la demande d’inscription n’est recevable que si l’on justifie d’une formation en matière de procédures, qu'elle soit civile, pénale ou administrative.
La Compagnie des experts-comptables de justice appelait de ses voeux cette formation en amont. A tel point que j'ai créé il y a cinq ans à Toulouse un diplôme universitaire national d'expertise comptable de justice. Cette idée a fait son chemin. Grosso modo, 67 % des experts-comptables qui ont suivi cette formation obtiennent leur inscription [sur une liste d’expert de justice] lorsqu’ils en font la demande. Ce qui est tout à fait respectable.

Et qu’on demande à être inscrit sur une liste ou non, ces formations-là présentent un intérêt. Elles permettent de pouvoir réaliser des missions d'expertise de partie. Il s’agit d’une mission pour laquelle vous n’êtes pas nommé par la justice. Vous êtes appelé par l’avocat d’une des parties qui souhaite que vous l'assistiez dans les démarches d'expertise auxquelles il est confronté. Il y a assez souvent des litiges et des contentieux qui sont difficiles. Les parties demandent toujours un maximum d’indemnisation alors que les assureurs revendiquent un minimum. L’expert de partie rend un avis en toute indépendance sur le montant du litige et l'indemnisation nécessaire.
L’avocat a très souvent besoin qu’on l’assiste dans le chiffrage du préjudice lequel peut porter par exemple sur des périodes d’indisponibilité ou sur des fonds de commerce détruits. A Paris, il y a des expertises en raison des Jeux Olympiques qui ont rendu de nombreux commerces inaccessibles. Pendant un mois ou un mois et demi, ces commerces n’ont pas pu réaliser leur chiffre d’affaires. Les commerçants demandent donc à être indemnisés. Les avocats savent prouver le lien de causalité mais ont besoin d’un expert pour chiffrer le préjudice.

L’expert de partie a intérêt à connaître la procédure ainsi qu’à savoir chiffrer les préjudices. Il est donc important pour les experts-comptables de pouvoir arguer du fait qu'ils ont suivi la formation d'experts de justice pour se légitimer à chaque fois qu'on fait appel à eux.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Surtout sur l'expertise comptable car ce sont des chiffrages de préjudice de toute nature. Les plus difficiles sont en matière de concurrence déloyale, d’imitations et de copies, c’est-à-dire de contrefaçons pour employer le mot correct. Les pertes de chance se calculent avec des modèles probabilistes. J’ai la plus grande admiration pour les avocats mais ce sont plutôt les experts-comptables qui savent faire ça.
Le préjudice tourne toujours au niveau du bénéfice perdu. Il se calcule par rapport à la marge sur coûts variables [perdue] diminuée des économies qui ont pu être réalisées — par exemple parce qu’une fermeture fait qu’il n’y a plus de personnel à faire travailler et de locaux à louer pendant cette période — et augmentée des frais accessoires occasionnés – par exemple, la période des jeux olympiques a pu occasionner l’embauche de vigiles.
Ce diplôme universitaire nécessite de suivre 180 heures de formation. 90 sont théoriques. Elles portent sur les procédures civile, administrative et pénale. 90 heures sont consacrées à des formations pratiques. Cela concerne la détermination d’un préjudice économique et financier, sous l’angle de la perte de chance, par rapport à un cas d’espèce.

La perte de chance, c'est quelque chose de très compliqué. J'interviens en formation devant des vétérinaires. Il y a un exemple typique qui les ennuie beaucoup. C’est celui d’une jument qui, alors qu’elle est pleine — c’est le terme technique pour désigner une jument qui porte un poulain —, décède suite à un accident lors d’une course de chevaux. Et son poulain décède aussi. Comme cette jument et le père du poulain avaient remporté disons 25 grands prix chacun, se pose la question de savoir si le poulain, lui, aurait effectivement été d'une race qui aurait perduré au niveau des victoires. Autrement dit, il faut chiffrer la perte de chance de continuer à gagner des courses subie par le propriétaire de la jument ou du cheval. Bien évidemment, les assurances sont vent debout. C’est un sujet passionnant qui fait appel à la généalogie des deux animaux, qui nécessite d’examiner les courses qu’ils ont remportés sans parler du fait que la qualité des jockeys entre en ligne de compte. Avec ce travail, l’expert-comptable n’est plus dans la déclaration de TVA.
Pour revenir à votre question, il existe aussi la formation de base délivrée par la Compagnie des experts-comptables de justice. Elle se déroule en deux jours parce que le décret demande une formation minimale de 20 heures. Elle porte sur la description de toutes les procédures, que ce soit civile, pénale ou administrative, et sur des cas particuliers de chiffrage.
Exactement, c'est un sujet d'évaluation. Et surtout, cela constitue des sources de développement et de chiffre d'affaires pour les cabinets.

Cela se développe beaucoup. Pourquoi ? Parce que, d'abord, ça désengorge la justice. Ensuite, dans la mesure où il y a une grande crédibilité, les magistrats suivent. Aujourd'hui, on essaie au maximum, non pas d'éviter les tribunaux, mais d'éviter le procès dans toute sa splendeur. Un magistrat peut très bien rendre un avis sur un rapport d'expert de partie. La Cour de cassation a reconnu que lorsque les deux parties choisissent le même expert-comptable qui n’est pas inscrit sur une liste de cour d’appel, le rapport qu’il rend vaut un rapport d’expert de justice.
Il y a 500 inscrits. Mais maintenant que l’on rentre dans un process beaucoup plus rationalisé au niveau de la présentation des dossiers inscription, il va y en avoir certainement 20 ou 30 % de plus dans les 4 années à venir. Je le vois à Toulouse où on était une vingtaine d'experts-comptables de justice. Depuis qu'on a lancé le diplôme universitaire, on est passé à 50 inscrits.
La profession s'est fondée sur la science, la compétence et l'indépendance. Pourquoi pas la financiarisation mais il ne faudra plus parler d'indépendance ! La problématique de recherche de rentabilité va immanquablement poser des problèmes d'indépendance. Et d'objectivité. Un expert-comptable doit normalement rester objectif et indépendant. Donc je ne vois pas [ce mouvement] d'un très bon oeil par rapport aux valeurs de la profession qu’on a pu connaître. D’ici une dizaine d'années, à ce rythme-là de financiarisation, on va avoir quelques beaux scandales que la France n'a jamais connus mis à part l’affaire Piffaut/William Saurin qui était très particulière.
De plus, cela posera un problème au niveau du recrutement. D’une profession libérale on en fait une profession de «salariés» qui ne conviendra pas à beaucoup de jeunes. Ils vont se sentir corsetés dans des dispositifs qui ne leur conviennent pas.
(*) Précisément, KPMG France est sur le point de s'ouvrir à une société de capital-investissement, TowerBrook Capital Partners, laquelle va devenir co-propriétaire, aux côtés des associés ESC GS, de l'activité d'expertise comptable et de gestion sociale du cabinet destinée aux TPE-PME
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