Pratiques anti-concurrentielles : une amende de 900 000 euros est infligée par l'ADLC

04.06.2019

Gestion d'entreprise

L'ADLC inflige une amende de 900 000 euros à une entreprise pour sanctionner l'infraction d'obstruction résultant du bris de scellés et de l'altération de la réception de courriels sur la messagerie d'un salarié dans le cadre d'une opération de visite et saisie.

Dans le droit interne des pratiques anticoncurrentielles, l’infraction d’obstruction sanctionne le non-respect des obligations qui pèsent sur l’entreprise faisant l’objet d’une investigation ou d’une instruction. En cas de méconnaissance de ces obligations, l’entreprise s’expose à une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser 1 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre (C. com., art. L.464-2-V). Cette sanction tend à garantir l’efficacité des pouvoirs d’enquête dévolus aux services d’instruction par les articles L. 450-1 et suivants du code de commerce, aux fins de rechercher et de constater notamment les infractions résultant de pratiques anticoncurrentielles interdites par les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 dudit code et des articles 101 et 102 du TFUE.

Ces règles trouvent leur pendant en droit européen de la concurrence dans l’article 23, paragraphe 1, du Règlement n° 1/2003 qui prévoit notamment la possibilité pour la Commission de sanctionner l’entreprise qui ne coopèrerait pas dans le cadre d’inspections.

En l’espèce, après que l’ADLC se soit saisi d’office de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans les secteurs de l’ingénierie et du conseil en technologies ainsi que des services informatiques, le juge des libertés et de la détention avait autorisé le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence à faire procéder à des opérations de visite et saisie dans les secteurs considérés et en particulier dans les locaux d’une entreprise. Ce juge avait également donné commission rogatoire à un autre juge des libertés pour désigner les chefs de service de police territorialement compétents pour nommer les officiers de police judiciaire assistant aux opérations effectuées dans le ressort considéré et en contrôler la bonne exécution.

Mais lors des  opérations de visite et saisie, deux incidents ont été constatés dans deux sites de l’entreprise : un bris de scellés apposés sur la porte d’un bureau dans un site, l’altération de la réception de courriels sur la boîte de messagerie d’un salarié dans un autre site. Les services d’instruction de l’Autorité ont alors adressé un rapport à l’entreprise lui reprochant d’avoir fait obstruction aux opérations de visite et saisie considérées en recourant aux deux actes ci-dessus constitutifs de pratiques prohibées par l’alinéa 2 du V de l’article L. 464-2 du code de commerce.

L’entreprise contestait la qualification d’obstruction en l’espèce en soutenant :

- d’une part, que les pratiques reprochées ne pouvaient être ainsi qualifiées au regard du droit interne, les dispositions du deuxième alinéa du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, à la différence de l’article 23 paragraphe 1 du Règlement n° 1/2003, ne mentionnant ni le bris de scellé, ni le refus de se soumettre à une inspection, parmi les pratiques susceptibles de relever de l’obstruction,

- d’autre part, qu’en appréciant de manière extensive le champ d’application de l’infraction d’obstruction et en estimant que celle-ci ne requiert pas la démonstration d’un élément intentionnel, l’Autorité violerait les principes de légalité des délits et des peines et de prévisibilité de la loi,

- enfin, que l’Autorité s’arrogerait les pouvoirs de poursuite dévolus à l’autorité judiciaire, le droit français prévoyant déjà un arsenal de sanctions suffisamment dissuasives à la disposition du juge pénal pour sanctionner les incidents de procédure tels que ceux visés en l’espèce.

L’ADLC écarte ces arguments aux motifs :

- qu’aux termes du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, l’obstruction peut notamment résulter de la fourniture par l’entreprise de renseignements incomplets ou inexacts, ou de la communication de pièces incomplètes ou dénaturées, l’obstruction recouvrant tout comportement de l’entreprise qui, de propos délibéré ou par négligence, tend à faire obstacle ou à retarder, par quelque moyen que ce soit, le déroulement des investigations ou de l’instruction, et qu’il en est ainsi des pratiques visées en l’espèce résultant du bris de scellés ou de l’altération de réception de courriels sur la boîte de messagerie d’un salarié au cours d’une opération de visite et saisie,

- que s’agissant du caractère prétendument intentionnel de l’infraction, celle-ci est définie dans la loi par des comportements objectifs, sans référence à un élément intentionnel quelconque et peut donc parfaitement résulter d’une simple négligence, même si le V de l’article L. 464-2 ne le mentionne pas expressément, une sanction administrative pouvant être prononcée indépendamment de tout élément intentionnel, sauf si le texte considéré en dispose autrement,

- que l’Autorité peut sanctionner des faits constitutifs d’une obstruction ayant également fait l’objet d’une sanction pénale, puisque dans sa décision n° 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, le Conseil constitutionnel a relevé que le refus de communication des informations ou documents demandés peut donner lieu à trois types de sanctions de nature administrative ou pénale, distinctes les unes des autres, à savoir une injonction sous astreinte prononcée par l’Autorité, une amende administrative prononcée aussi par elle, ou une sanction pénale.

Sur la base de ces motifs, l’ADLC sanctionne les faits constitutifs de l’obstruction reprochée d’une amende de 900 000 €.

Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat

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