Pratiques commerciales trompeuses : éclaircissements de la Cour de cassation sur l'indemnisation du préjudice subi
03.03.2020
Gestion d'entreprise

Reconnaissance de la difficulté pour les juges de quantifier le parasitisme des efforts, les investissements intellectuels, matériels ou promotionnels d'un concurrent ou l'affranchissement d'une règlementation par un concurrent.
Par un important arrêt daté du 12 février 2020 la Haute juridiction rappelle, dans le cadre d’une action fondée sur les pratiques commerciales trompeuses, les critères et les principes d’indemnisation de la responsabilité civile. Ainsi, l’indemnisation doit rétablir l'équilibre détruit par le dommage et replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Dans l’espèce en cause, une cristallerie spécialisée dans la création et la fabrication de produits d'arts de la table en cristal a engagé une action à l’encontre de l’un de ses concurrents, dont le siège social est situé dans la même rue, commercialisant des produits en cristal fabriqués, taillés et polis en Chine et en Europe, ainsi que des produits en verre, cristallin et luxion. La cristallerie a opposé à l’encontre de son concurrent la présentation dans les catalogues de ce dernier des produits en verre, en cristallin ou luxion mélangés à des produits en cristal afin de laisser croire que l'ensemble de ses produits seraient en cristal. Les produits du concurrent étaient également présentés comme étant "made in France".
La cour d’appel a retenu l’existence d’actes de concurrence déloyale par pratique commerciale trompeuse et tromperie, et a condamné le concurrent à verser la somme de 300 000 € en réparation de son préjudice. Un pourvoi en cassation a été formé; le concurrent a considéré que le préjudice ne pouvait être fixé en considération du profit ou de l'économie réalisé par l'auteur du dommage. Selon le concurrent, les juges auraient retenu l’existence des prix de revient beaucoup plus bas que ceux de la cristallerie, ce qui ne saurait correspondre au préjudice subi par la victime. La Cour de cassation rejette le pourvoi.
La Haute juridiction rappelle que "Le juge apprécie souverainement le montant du préjudice, dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait, sans être tenu d'en préciser les divers éléments" (Cass. 3e civ., 10 mars 2010, n° 08-15.950 et n°08-15.332; Cass. com., 24 mai 2017, n° 15-21.179, n° 802 F-D).
La Haute juridiction précise également que l’évaluation du préjudice dont l’existence a été constatée ne peut être effectuée de manière forfaitaire (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-26.852, n° 1918 F-D; Cass. com., 3 juill. 2019, n° 17-18.681, n° 560 F-D), sans avoir de rapport avec l'étendue du préjudice subi.
Il est constant en matière de concurrence déloyale qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale : les décisions le rappelle régulièrement (Cass. 1re civ., 21 mars 2018, n° 17-14.582, n° 314 F-D; Cass. com., 28 sept. 2010, n° 09-69.272, n° 899 F-D; Cass. com., 11 janv. 2017, n° 15-18.669, n° 19 F-D). Cela étant, le demandeur doit tout de même démontrer l'étendue du préjudice. Pour autant, les juges pourront être moins exigeants lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer.
La Haute juridiction effectue une distinction entre les préjudices qui seront aisément démontrés et d’autres plus difficiles à établir.
Ainsi, la cour relève que les conséquences économiques négatives pour la victime, tels un manque à gagner, une perte subie ou perte de chance relevant des effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s'approprier la clientèle ou à désorganiser l'entreprise du concurrent peuvent être plus aisément démontrés.
En revanche, tel n'est pas le cas des effets des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, ou à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a forcément un coût.
Selon la Haute juridiction, tous actes permettant à l'auteur de telles pratiques de s'épargner des dépenses, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.
La Cour reconnaît explicitement la difficulté pour les victimes de justifier de leurs préjudices sur ce point.
Aussi, dans de telles situations, la Cour considère que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes. Tel est le raisonnement adopté par les juges du fond de cette affaire. En effet, les juges ont pris en considération la taille de deux sociétés en cause, sur un marché restreint où agissent d'autres opérateurs, de plus grande taille et notoriété. Les juges ont retenu qu'en trompant le consommateur sur la composition, l'origine et les qualités substantielles des produits vendus, le concurrent s'est assuré un avantage concurrentiel au préjudice de la cristallerie. Ils ont pris en considération à ce sujet, les prix de revient plus bas, l’effectif salarial inférieur.
Ainsi, la Haute juridiction retient que les juges ont pu valablement évaluer le préjudice subi en tenir compte de l'économie injustement réalisée par le concurrent, qu'elle a modulée en tenant compte des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par les agissements en cause.
Cette décision constitue un enseignement intéressant pour les victimes d’actes de concurrence déloyale.
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