Précisions sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

22.09.2021

Gestion d'entreprise

Appréciation de l'existence d'une relation commerciale établie, preuve de la rupture sans préavis de la relation commerciale établie, point de départ de la prescription de l'action en réparation du dommage : retour sur les précisions récemment apportées par la cour d'appel de Paris en la matière.

La rupture brutale d’une relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-1, II du code de commerce autorise la victime à exercer une action en réparation du préjudice causé par cette rupture.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Pour mémoire, l’article L. 442-1, II du code de commerce dispose : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté une durée de dix-huit mois… ».

Cet article, issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, a remplacé l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et repris en les simplifiant les éléments constitutifs de la pratique visée par ses dispositions.

Par trois décisions récentes, la cour d’appel de Paris enrichit la jurisprudence relative à plusieurs difficultés souvent rencontrées dans le cadre de l’action en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d’une relation commerciale établie. Ces difficultés concernent l’appréciation de l’existence d’une relation commerciale établie, la preuve de la rupture sans préavis d’une relation commerciale dont l’objet est l’exécution de prestations sur commandes, le point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice causé dans ce dernier cas, la détermination du délai de préavis suffisant et enfin l’évaluation du préjudice causé par une rupture brutale.

L’existence d’une relation commerciale établie

L’action en réparation du préjudice causé par une rupture brutale doit concerner une relation commerciale « établie ». L’existence d’une telle relation n’exige pas l’établissement d’un contrat-cadre (CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/09996).

Selon la cour, une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel ». Elle doit permettre raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité. Une telle relation n’était pas contestée dans l’une des espèces dont la cour était saisie, la relation commerciale concernée consistant dans la commercialisation de vêtements et d'accessoires de grandes marques françaises et européennes au Liban (CA Paris, 1er sept. 2021, RG 19 / 13714). Il en allait de même dans une autre espèce où la relation commerciale en cause avait pour objet la fourniture par une partie de prestations mensuelles de réparation commandées par l’autre partie (CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/00883).

En revanche, l’existence d’une relation commerciale établie était contestée dans une autre affaire en raison de l’aléa qui aurait présidé à la souscription de chaque commande, résultant de la mise en compétition systématique de concurrents préalablement à la passation des commandes. Tout en admettant le bien-fondé de l’argument dans le principe, la cour le rejette au motif que la mise en concurrence systématique de prestataires n’était pas démontrée en l’espèce (CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/09996).

La preuve de la rupture sans préavis d’une relation commerciale établie consistant dans la fourniture de prestations sur commandes

La rupture d’une relation commerciale établie est incontestable lorsqu’elle fait l’objet d’un préavis notifié à son partenaire par la partie qui en prend l’initiative. Il en va différemment de la rupture sans préavis d’une relation commerciale établie fondée sur la fourniture de prestations sur commandes indépendamment de tout cadre contractuel formalisé. En présence d’une telle relation, la cour considère que l’absence de commande est une rupture de cette relation et précise que la preuve de cette rupture résulte du constat de l’absence de commande à l’expiration du délai moyen écoulé entre chaque prestation, à compter de la dernière (CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/00883).

Le point de départ de la prescription de l’action en réparation de la rupture sans préavis d'une relation commerciale établie

Le point de départ de la prescription d'une action en réparation d’une rupture brutale de relation commerciale établie est en principe fixé par la notification du préavis de rupture à celui qui s'en prétend victime dès lors qu’il en a pris connaissance.

En présence d’une relation commerciale établie reposant sur l’exécution de prestations mensuelles sur commandes dont la rupture ne résulte pas de la notification d’un préavis, mais de l’absence de commandes, le point de départ de la prescription de l’action en réparation doit logiquement être fixé à la date d'expiration du délai moyen séparant chaque prestation à compter de la dernière (CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/00883).

La nécessité d’un délai de préavis suffisant de rupture de relation commerciale établie

La rupture d’une relation commerciale établie sans délai de préavis suffisant est une rupture brutale.

Le délai de préavis suffisant s’apprécie au moment de la notification du préavis de rupture (CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/00883). Dans le cas de rupture sans préavis d’une relation commerciale consistant dans la fourniture de prestations sur commandes, ce délai devrait être apprécié au moment du constat de l’absence de commande puisque ce constat prouve la rupture.

Selon la cour, le délai de préavis suffisant doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise « délaissée » pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement (CA Paris, 1er sept. 2021 – RG 19 / 13714 - CA Paris. 8 sept. 2021 – RG 20/00883). Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause (CA Paris. 8 sept. 2021 – RG 20/00883). Compte tenu de ces critères, la cour a estimé qu’un préavis de 24 mois revendiqué par la partie délaissée n’était pas nécessaire, cette dernière ne justifiant ni de la part du chiffre d'affaires réalisé avec son partenaire au regard de son chiffre d'affaires global, ni de difficultés particulières pour retrouver un partenaire commercial et pas davantage de la spécificité de sa prestation.

L’évaluation du préjudice causé par une rupture brutale de relation commerciale établie

Conformément à une jurisprudence constante, la cour rappelle que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture (CA Paris, 1er sept. 2021, RG 19/13714 ; CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/00883 ; CA Paris, 8 sept. 2021, RG 20/09996).

Remarque : les trois décisions de la cour d’appel de Paris ont été rendues sous l’empire de l’article  L. 442-6, I, 5° du code de commerce remplacé par l’article L. 442-1, II issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 qui n’affecte en rien la jurisprudence adoptée par ces décisions telle que rapportée ci-dessus. Cette jurisprudence est donc applicable aux litiges régis par l’article L. 442-1,II du code de commerce.

Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat
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