Avec la réforme des retraites qui s’applique dès le 1er septembre, les entreprises qui ont négocié des dispositifs de préretraites maison pour permettre à leurs salariés de partir de manière anticipée sont dans l’embarras. Leur prolongation va coûter cher. Faut-il dès lors combler les trimestres manquants ? Leur demander de revenir au travail ? Ou accorder un trimestre sans solde ? L’heure des comptes a sonné.
L’annonce a fait l’effet d’une douche froide : lorsqu’Orano (ex Areva) a demandé, en mai dernier, à ses salariés de la Drôme, qui bénéficiaient d’un compte épargne-temps, permettant d’anticiper leur départ à la retraite, de travailler un peu plus longtemps que prévu avant de pouvoir partir à taux plein ou de lisser leur rémunération jusqu’à leur nouvelle date de départ à la retraite, l’entreprise a dû faire face à une montée de boucliers des intéressés.
Orano n’est pas un cas isolé. D’autres entreprises ont mis en place des dispositifs de préretraite maison permettant à leurs salariés de partir de manière anticipée. Soit par le biais de congés spécifiques (temps partiels senior, congé de fin de carrière), d’un compte épargne temps (CET) voire d’un plan de départs volontaires ou de ruptures conventionnelles collectives. Ces dispositifs sont issus d’accords d’entreprise qu’il s’agisse d’accords intergénérationnels comme chez Orange ou Barilla France, d’accords de RCC chez Stellantis ou Renault Trucks, d’accord senior comme chez Safran ou de GEPP à l’Afpa.
Or, la loi du 14 avril 2023 sur les retraites reporte, à partir du 1er septembre, date d’application de la réforme, le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier du taux plein pour les salariés nés à compter de septembre 1961. C’est-à-dire sans décote.
De quoi susciter la panique auprès des directions des ressources humaines. Car en décalant l’âge de départ des salariés, les dispositifs de préretraite mis en place pour s’ajuster à la réforme deviennent plus coûteux. Combien de personnes sont-elles concernées ? Pour quel coût ? Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, élude la question, rappelant toutefois, le 20 juin, que "contrairement à ce que pensaient certains dans le camp syndical, la réforme des retraites n’est pas un cadeau pour les entreprises. C’est un coût supplémentaire à plusieurs niveaux".
Rue de Grenelle, Olivier Dussopt minimise le problème. Il a indiqué, le 23 mai, devant l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), qu’une centaine de cas seraient ainsi identifiés, principalement de grandes entreprises "pour lesquelles une différence de quelques semaines n’est pas toujours significative" tout en précisant qu’aucune personne ne "pouvait être rappelée" par son employeur pour jouer les prolongations au travail.
Les DRH sont pourtant moins sereins sur le sujet. Car en interne, la réforme prend des airs de bombe à retardement. Ils doivent s’activer pour se mettre dans les clous de la nouvelle réforme, sans trop délier les cordons de la bourse.
Certains accords prévoient de facto ce prolongement. C’est le cas d’Orange. Les accords négociés depuis 2018 comportent une clause de sauvegarde anticipant ce type de situation. "Dans l'hypothèse d'un allongement des durées de cotisations ou d'une modification de l'âge légal de départ en retraite après l'entrée d'un salarié dans un dispositif TPS [temps partiel senior], le salarié verra son TPS prolongé au-delà de la date initialement prévue, en temps libéré. Cette prolongation fera l'objet d'un nouvel avenant/protocole TPS entre le salarié et l'employeur".
La direction du groupe a confirmé, mi-juin, que les salariés concernés par le temps partiel senior se verront appliquer la clause de sauvegarde. Ce temps partiel senior est scindé en deux : une partie s’effectue à temps plein (les deux premières années), la seconde est totalement libérée (la dernière année).
Pas question donc de revenir au travail : la prolongation concerne bien la seconde partie pendant laquelle le salarié est en inactivité. Les nouveaux départs se feront en fonction de deux paramètres : le nouvel âge de départ à taux plein (62 ans et trois mois pour les assurés nés entre le 1er septembre 1961 et le 31 décembre 1961 inclus, 62 ans et six mois pour les assurés nés en 1962…) et de la nouvelle durée de cotisation (172 trimestres).
Mais toutes les entreprises n’ont pas anticipé de telles clauses de sauvegarde. La DRH France de Stellantis n’a donc pas hésité à transmettre, il y a quelques jours, un courrier à l’ensemble des directeurs de site et aux délégués syndicaux centraux pour confirmer la poursuite des dispositifs jusqu’au départ des salariés concernés par le nouvel âge légal, selon Brahim Ait-Athmane, secrétaire FO de Stellantis Poissy.
Le groupe dispose, depuis 2022, avec l’accord sur les ruptures conventionnelles collectives (RCC), d’un congé senior qui prend la forme d’une dispense d’activité (payée à 70 % du salaire brut antérieur) durant la période qui précède la retraite.
Cette dispense d'activité est au maximum de 24 mois pour les cadres et de 36 mois pour les autres catégories (ouvriers et Etam).
De même la direction de Renault Trucks SAS, alertée par les organisations syndicales lors d'un récent CSE central, a indiqué, qu’elle "prendrait ses responsabilités" en comblant les trimestres manquants. Selon la CFDT, "quelques personnes sont concernées, uniquement celles qui font valoir leurs droits à partir du 1er septembre, date d’entrée effective de la réforme. Elles resteront donc en dispense d’activité pendant trois mois supplémentaires, après le 31 décembre 2023", date normale de la fin du dispositif selon l'accord de RCC conclu en 2020.
Celui-ci intègre, en effet, une dispense d’activité qui permet au salarié, justifiant du nombre de trimestres requis et de l’âge pour bénéficier d’une retraite de base à taux plein, à la date de leur "départ effectif", de percevoir une allocation (entre 70 % et 75 % du pourcentage de salaire mensuel moyen) totalement prise en charge par l’entreprise. Cette dispense était proposée pendant 30 mois maximum.
Reste que la note pourrait s’avérer salée. Les DRH sont très discrets sur le sujet. Chez Orange, pourtant 8 000 à 9 000 personnes seraient impactées par cette réforme, soit environ 60 % à 70 % des salariés inscrits dans le dispositif. Le coût est estimé entre 180 et 200 millions d’euros, selon Sébastien Crozier, président du syndicat CFE-CGC du groupe Orange. Ce surcoût comprend la rémunération (70 % du salaire brut antérieur pendant la période d’inactivité) à laquelle s'ajoute le maintien des cotisations retraites à taux plein, la prévoyance santé, la participation/intéressement, l’abondement dans le Perco/PEG et les activités sociales et culturelles".
Pour éviter une telle dérive, la direction de Safran va relancer des négociations en début de semaine pour statuer sur le sort des salariés expérimentés qui ont quitté l’entreprise, avant la promulgation de la loi du 14 avril.
En effet, plusieurs dispositifs permettent de partir de l’entreprise jusqu’à trois ans avant la date effective de la retraite : les mesures relatives à la pénibilité, le temps partiel senior, le compte épargne-temps mais aussi la conversion de l’indemnité supra légale de départ à la retraite en temps (jusqu’à quatre mois). "La direction de Safran ne souhaite pas faire revenir les salariés mais elle pourrait leur proposer d’utiliser en priorité leur éventuel reliquat des droits relatifs à l’indemnité supra légale de départ à la retraite en temps et/ou au CET, pour combler les trimestres manquants avant une participation de l’entreprise ", indique Patrick Potacsek, coordinateur national CFE-CGC pour le groupe et délégué syndical central de la société Safran Aircraft Engines.
Une proposition qui entraîne, selon le syndicaliste, un traitement très discriminatoire entre les salariés concernés. Les discussions étaient en stand-by depuis plusieurs semaines.
Néanmoins, toutes les entreprises n’ont pas les moyens d’assurer cette rallonge. "Économiquement, ce n’est pas possible", tranche Jean-François Poupard, directeur des affaires sociales de l’Afpa (7 000 salariés) qui estime que compenser l’allongement de la durée de cotisation représenterait un "coût exorbitant". Devenue Epic, l’agence a conclu un accord de GEPP, en septembre 2022, prévoyant un temps partiel aidé trois ans avant le départ à la retraite. Avec maintien des cotisations de retraite sécurité sociale et complémentaire calculées sur le salaire reconstitué à temps plein. Cumulé à l’octroi de deux mois d’absence rémunérée et à l’utilisation de son CET, ce temps partiel permet au salarié de partir jusqu’à plus de 16 mois avant l’âge légal de départ. Pas question toutefois de combler les trimestres manquants. La réintégration n’est pourtant à l’ordre du jour, les postes ont d’ores et déjà été pourvus. Jean-François Poupard prévoit donc de recontacter les salariés qui ont quitté l’entreprise afin de proposer aux salariés lésés trois options : revenir pour effectuer une mission ponctuelle si cela s’avère possible, donner un trimestre sans solde, voire lisser leur rémunération jusqu’à leur nouvelle date de départ à la retraite.
Mais une chose est sûre : l’Afpa va inscrire le sujet à l’agenda social de l’année prochaine pour adapter l’accord à la nouvelle donne. Du côté d’Orange, le dispositif a tout simplement été interrompu le 31 décembre dernier. 5 040 personnes ont sollicité un temps partiel senior avant la date butoir, soit une évolution de 29 % par rapport à 2021…
Tenter une renégociation des accords ? |
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Pour Henri Guyot, avocat associé au sein de brl avocats, les entreprises peuvent, se retrouver dans des situations délicates si elles n’ont pas prévu de clauses de révision de leurs accords. "La clause de revoyure est le seul moyen de limiter l’impact d’une éventuelle réforme des retraites. A défaut, l’entreprise risque de devoir fait le joint jusqu’à la retraite à taux plein des salariés pour respecter ses engagements. En clair, elle risque de devoir porter les salariés en tenant compte de leur âge de départ légal", affirme-t-il. L’employeur peut-il toutefois invoquer l’article L.1195 du code civil ? Lequel indique que "si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant". Henri Guyot reste réservé. "Tout l’enjeu est de savoir si une réforme des retraites constitue un changement de circonstances imprévisible. Cette règle peut toutefois constituer un levier pour amener les organisations syndicales à renégocier". Parmi les solutions, l’avocat avance l’idée "de prévoir dans les accords non pas un pourcentage du salaire à allouer mensuellement au salarié mais de définir une enveloppe globale financière qui permettrait au salarié de moduler le montant (ne pas être payé pendant trois mois, lisser la rémunération sur les mois suivants) pour limiter l’impact des évolutions réglementaires qui s’imposent à eux". L’affaire se corse encore un peu avec le CET. "Il s’agit ici d’une autre logique, le salarié était parti parce qu’il avait du temps épargné. Mais une fois que le CET est liquidé, le salarié n’a plus droit à absence". Un coup dur pour ceux qui avaient déjà fait des projets retraite avant la fin de leur retraite. La réforme va entraîner un décalage. "Les salariés pourraient demander à revenir, pour éviter une décote de leur pension. Attention, toutefois, l’employeur n’a aucune obligation dès lors que le salarié a fait valoir ses droits à la retraite". |
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